La Fondation Lionel Groulx sous le parapluie intellectuel de Wikipedia

Jacques Dufresne

Le 2 avril dernier, nous en étions à faire le point sur l’affaire de l’Encyclopédie nationale « en alliance non fortuite avec Wikipedia », quand, sur le site de la Fondation Lionel-Groulx, nous avons appris cette nouvelle étonnante : « Dans la foulée (sic) de l’obtention d’une importante subvention de 65 000 $ CA de la Fondation Wikimédia, la Fondation Lionel-Groulx lance officiellement son grand projet » : le projet  numérique en histoire du Québec, « en partenariat avec l’Acfas, BAnQ, et Wikimédia Canada, et de plusieurs wikipédiens dévoués. »

On n’abuse pas de l’esprit critique dans la suite de ce communiqué : « le Québec est toujours à la traîne quant à la participation à la plus importante entreprise de partage de connaissances de l’histoire de l’humanité que représente cette encyclopédie universelle devenue la première source d’information des jeunes Québécois. »

Subvention importante, vraiment ? N’est-ce pas Wikimédia qu’il faudrait féliciter d’avoir obtenu à si peu de frais un tel engagement de la part d’une institution prestigieuse engageant toute une nation dans son sillage? 65,000 $, c’est le tiers du salaire annuel d’un technicien de la Silicon Valley.

Honte d’être à la traîne! L’honneur consisterait-t-il donc dans la servitude volontaire ? Au lieu de se flatter de recevoir une subvention, la FLG ne devrait-elle pas exiger d’être payée en millions de dollars pour les services qu’elle s’engage à rendre à Wikipedia, et par là à Google, et indirectement à l’ensemble des autres gros sites?  Ces millions proviendraient de la publicité associée à des œuvres d’auteurs non rémunérés pour la plupart. Le 26 mars dernier, le Parlement européen donnait raison à ces auteurs. France Culture a résumé ainsi la nouvelle loi : « Derrière ce face à face avec les géants du numérique se joue aussi l'avenir d'un modèle de société : vers un internet plus régulé, "à l'européenne", où les créateurs sont mieux rémunérés et où les grandes plateformes sont moins libres et moins riches. »1 Europe à la traîne, le Québec à l’avant-garde ?

L’Europe ne discrédite- t-elle pas ainsi le bénévolat ? Ce principe dont il tire son autorité morale, le site Wikipedia le trahit lui-même de concert avec la FLG, qui joue un rôle de passeur, en rémunérant des coordonnateurs wikipédiens, en résidence si nécessaire.

C’est un système que je critique ici et non le travail fait par les contributeurs vraiment bénévoles, le plus honnêtement du monde, sauf exception. L’essentiel de notre argumentaire se trouve dans un article et une émission de radio du mois dernier.

Retour de l’argument d’autorité

Nous nous limiterons ici à quelques remarques et d’abord à rappeler que le premier rang accordé automatiquement par Google à Wikipedia a un effet dissuasif catastrophique sur les auteurs indépendants : pas vu pas noté, pas noté pas vu ! Cette logique, paraissant innocente parce qu’elle est algorithmique, est l’équivalant d’un anathème. Si bon que soit l’article que vous publiez, quel espoir avez-vous qu’il sorte et reste au premier rang? En faisant ce jeu de Wikipedia, la FLG jette dans l’ombre tous les Québécois travaillant à la même cause de manière indépendante.

La logique algorithmique de Wikipédia c’est l’argument d’autorité déguisé en statistiques neutres.  Le procédé est insidieux. On ne vous impose rien, on vous conditionne. Le premier n’est-il pas le meilleur là comme en classe et comme aux Olympiques?.2

Séduire la jeunesse en la trompant

Sous prétexte de séduire une génération nouvelle, à la fois mondialiste et individualiste, la Fondation Lionel Groulx la trompe en la faisant régresser vers une idéologie progressiste dérivée sous une forme participative moins cohérente que l’Encyclopédie de Diderot au XVIIIe siècle...

Ce n’est pas un sentiment identitaire qui m’inspire ici, mais une ouverture sur un monde vraiment nouveau, celui de la science réparatrice, par rapport à la science conquérante, du biomimétisme, par rapport au bio technicisme, de la réconciliation avec Gaia plutôt que de son exploitation, de l’entraide plutôt que de la compétition. Il y a certes de l’entraide dans Wikipédia, mais c’est celle d’une termitière qui n’aspire qu’à éliminer toutes les autres.

Pour plus de précisions sur le nouveau monde que les jeunes attendent et qui attend tout d’eux, je renvoie le lecteur à un article de cette Lettre : « Un livre pour la génération de la transition ». Titre: Une autre fin du monde est possible.  Sous-titre : vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre).
 



[i] https://www.franceculture.fr/droit-justice/droits-dauteur-vers-un-modele-europeen-de-linternet

[ii] Nous savons cela en raison d’une expérience de vingt ans. Entre 1998 et 2002, les dossiers de l’Agora étaient presque toujours au premier rang dans les moteurs de recherche. Les efforts que nous faisions pour monter des dossiers de premier ordre étaient toujours récompensés. Et quand nous occupions une première place que nous ne méritions pas, nous nous efforcions de la mériter en remettant le dossier en question sur le chantier. À compter de 2008, nous ne pouvions espérer survivre qu’en retenant l’attention de 10 000 lecteurs fidèles au moyen d’une Lettre mensuelle. Pour cent initiatives qui ont commencé ainsi, quatre-vingt- dix-neuf ont disparu, au détriment de cette diversité culturelle indissociable de la diversité biologique et aussi précieuse qu’elle.

 

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