La métamorphose de l'âme

Jean-Jacques Wunenburger

«La métamorphose de l'âme, vocation oubliée de l'école.» Texte de la conférence prononcée par Jean-Jacques Wunenburger le dimanche 1er mai 1988 à l'occasion du colloque Éducation: le temps des solutions.

C'est au point que nos écoles et nos maîtres
font maintenant abstraction de toute éducation morale
ou qu'il se tirent d'affaire avec des formules: et le mot
vertu est un mot qui ne dit plus rien ni au maître
ni à l'élève, un mot de l'ancien temps dont on sourit...
Jamais on n'a eu davantage besoin d'éducateurs moraux
et jamais il ne fut plus improbable qu'on les trouverait.

F. NIETZSCHE, Considérations inactuelles


Tout être humain est comparable à une forme vivante, plante ou animal, qui a cependant la particularité de ne pas se former tout seul, de ne pas trouver sa forme achevée sans l'aide d'un être déjà formé. Le problème vient donc de ce que nous ne savons pas toujours quelle forme donner, ni comment donner cette forme, ni quel être est le plus apte à guider l'éveil de la forme. Et plus que jamais aujourd'hui nous sentons le besoin de réformer ce qui est en usage dans nos sociétés parce que nous avons le sentiment que l'on déforme beaucoup trop le jeunesse. Mais comment faire pour nous accorder sur un modèle d'éducation qui ait la précision d'une technique, car il faut de l'artifice pour faire ce que la nature ne fait pas d'elle-même, la finesse d'un art, car il faut que la forme achevée soit belle et pas seulement utile, la profondeur d'une éthique, car c'est d'un bien, sans prix, qu'il s'agit dans nos choix.

Deux modèles antagonistes
Les erreurs et les errances de l'éducation, qui ne sont pas d'aujourd'hui 1, sont peut-être plus aisées à désigner pour commencer. N'est-il pas frappant de voir que nos systèmes éducatifs ont tendance à osciller entre deux modèles opposés et également déséquilibrés et mutilants? Tantôt il s'agit avant tout de former uniformément les esprits pour les intégrer dans le corps social, dont ils deviennent des membres dociles et utiles. De Sparte, en Grèce, à l'idéologie républicaine du XIXe siècle en France, l'école, placée sous l'égide de Prométhée, aspire à former de bons citoyens à qui l'on fait partager les mêmes savoirs, croyances, valeurs. Sous une forme plus feutrée, l'éducation contrôlée par l'État moderne ne vise souvent qu'à l'intégration et l'adaptation socioprofessionnelle des nouvelles classes d'âge, qui seules peuvent justifier les lourds investissements financiers des institutions éducatives. Tantôt au contraire, en réaction à ce modèle dirigiste et niveleur, l'éducation se laisse entraîner, sous l'égide de Dionysos, vers une satisfaction des seules aspirations spontanées des êtres, dont elle attend la liberté et le bonheur. L'école n'est plus conçue alors comme un lieu de dépassement des tendances et aptitudes naturelles, mais comme une occasion de se délivrer des contraintes intérieures et extérieures. Depuis les trois derniers siècles, de l'éducation des Pères Jésuites jusqu'aux enfants de Summerhill, n'a-t-on pas fait alterner un mode d'éducation par dressage collectif, emprunté à la discipline militaire et destiné à l'appareil politique et économique de l'État, et un autre, exaltant le libre développement de l'enfant, caractérisé par l'absence d'apprentissage et de savoir, qui par laxisme et particularismes a produit l'ensauvagement de la culture? 2 Ces modèles éducatifs ne sont-ils pas en fait les héritiers d'un même présupposé philosophique et anthropologique, le dualisme de l'esprit et du corps, qui conduit à laisser libre cours ou à tenir la bride à l'un ou l'autre des deux composants de l'humain? Mais si toute éducation doit veiller à satisfaire aux exigences sensibles du corps et aux aspirations au développement intellectuel, elle ne saurait oublier de donner une forme individualisée à ce qui, jusqu'à la Renaissance, apparaissait comme le noeud vital de l'être c'est-à-dire l'âme, la Psyché, devenue le psychisme. Car il ne sert à rien d'exercer le corps ou d'instruire l'esprit si l'on néglige l'âme, centre de la vie personnelle, principe d'«animation de l'être». On ne peut former un homme adulte qu'en prenant soin de son âme qui seule le rendra capable de perfectionnement et de liberté. Être vigoureux dans son corps, être savant par son esprit ne forment une personnalité achevée que si ces qualités sont éclairées, unifiées, équilibrées par une force intérieure qui les met au service d'une réalisation de soi d'un Moi.

Malnutrition du Moi
L'oubli ou l'atrophie de l'âme, quelles que soient par ailleurs la force du corps et la puissance de l'intellect, conduit inévitablement à un affaiblissement, à une malnutrition du Moi. Car tout vivant, individu ou peuple, a besoin pour se développer d'une force intérieure qui rend possible la croissance de sa vie, qui permet de s'approprier et de concrétiser une vocation, une destination. 3 Sans âme, les hommes sont privés d'une source d'énergie, d'un centre de gravité, d'un gyroscope personnel, pour agir et penser par eux-mêmes; ils sont réduits à demeurer pure nature, traversée par des impulsions ou des influences qui leur échappent, à ne se développer que par imitation servile, soit imposée par une contrainte répressive, soit suscitée par les influx des désirs instables et contradictoires.

Assigner à l'éducation, en même temps que le développement du corps et de l'esprit, la tâche primordiale de forger l'âme, c'est s'assurer que les compétences personnelles, savoirs et savoir-faire qu'on transmet, ne seront pas gaspillés en pure perte, ni mis au service d'intérêts collectifs aliénants, mais qu'ils fourniront l'assise, le marchepied d'une création continue de soi. Éveiller et fortifier en l'enfant l'âme, c'est lui donner la force de prendre possession de soi et d'actualiser toutes ses vraies potentialités.

L'élan et le but
Qu'est-ce alors qu'éduquer l'âme? Comment faire naître cette force? Peut-être n'est-elle justement pas à créer, ou à donner de l'extérieur, mais à recueillir et faire croître, comme la vie d'une plante. Encore faut-il rassembler des conditions favorables et connaître les règles permettant d'intervenir à bon escient. Or deux formes d'intervention extérieure semblent nécessaires pour l'éducation de l'âme: l'une lui donnant l'élan, l'autre un but.

Les potentialités psychiques qui sommeillent en chaque enfant ne peuvent prendre une forme unique et achevée que si elles se trouvent fortifiées, c'est-à-dire ni brusquement brisées ou rigidement réprimées, ni à l'inverse laissées en friche, abandonnées à elles-mêmes sans contraintes. Une force quelconque ne croît et ne s'amplifie que dans la mesure où elle se heurte et trouve par là-même une nouvelle forme. L'âme est comparable aux vagues de la mer qui, en se brisant sur les rochers, se trouvent élevées vers le haut, décuplées en force. C'est pourquoi éduquer consiste d'abord à donner du ressort à un être, agir sur lui, avec lui, comme avec un ressort, que l'on va comprimer intentionnellement pour lui donner une force nouvelle capable de le projeter loin au devant de lui-même. Car chaque enfant est une réserve d'énergie inemployée, disponible selon des quantités propres à chacun, mais qu'il s'agit de rendre active par un mouvement de pression qui n'est ni répression ni inaction. Sans obstacle ni contrainte, la force d'âme végète ou meurt. Pliée par une autorité extérieure, elle n'est pas détruite mais au contraire resserrée sur elle-même, préparée pour une expansion proportionnelle à la contraction. Telle est une des lois les plus secrètes de la vie, qui se trouve en fin de compte organiser même des machines simples comme le ressort en spirale, où le mécanisme se règle sur le vivant.
Mais un élan n'est qu'énergie dilapidée s'il n'est pas orienté dans la bonne direction, tendu vers un but, conforme à la réalisation de soi de l'homme. Trop souvent l'éducation ne développe en l'enfant des qualités qu'en vue de servir des fins utilitaires qui le dépassent. Or une de ses premières tâches consiste à se mettre au service de la croissance de la personne, non en la soumettant à un résultat fixé à l'avance, mais en l'entraînant dans une conquête incessante de son propre accomplissement, de son propre perfectionnement. C'est ce qu'avaient compris les Grecs qui concevaient la paideia, de Homère à Aristote, comme une grandeur d'âme aspirant à la manifestation supérieure de la personnalité morale et intellectuelle. 4 L'éducation est bien en ce sens un processus aristocratique consistant à devenir le meilleur, à réaliser la plus haute figure de l'homme. Les aristoi ne sont pas des êtres supérieurs par quelque prérogative de naissance ou privilège acquis, mais des êtres qu'on a aidés à aller de l'avant, à monter au front de la vie, pour être présents sur une ligne qui se déplace toujours au fur à mesure qu'on avance, qui monte de plus en plus haut.

Deviens ce que tu es
Ainsi se précise la véritable voie de l'éducation, qui est aussi éloignée d'une répression de la nature que de son maintien dans les formes embryonnaires initiales. La devise de l'éducation pourrait être elle de Goethe: «Deviens ce que tu es» marche progressivement à la rencontre de ta véritable identité encore à naître qui est plutôt devant toi que derrière toi, mais en traversant des formes successives qui t'enrichissent et se conservent en une totalité nouvelle. Éduquer c'est métamorphoser celui que l'on a en charge, c'est-à-dire rendre possible le triomphe du Même à travers le passage par la différence. Le développement de l'enfant est bien préfiguré par celui des vivants: ainsi, comme le disaient les philosophes allemands à propos de la Bildung, la formation de soi, le germe se métamorphose-t-il en fruit et celui-ci en fleur. Telle est aussi la voie suivie par la chrysalide qui devient cocon puis papillon, métaphore doublement symbolique du développement de l'âme, si l'on sait que pour les Grecs, psychè désignait à la fois le papillon et l'âme immortelle.

En ce sens la métamorphose nous immunise d'abord contre les risques d'aliénation, contre la tentation facile d'imiter autrui, de le plagier, en renoncant à advenir à notre propre singularité, à notre identité pour nous conformer à des modèles préfabriqués. Rendre conforme est le désir des âmes faibles et des tyrans qui ne supportent pas la vraie liberté et ne cherchent qu'à dresser des meutes ou des masses. Mais inversement, en prenant comme but la métamorphose, la transformation de soi, nous sommes invités à ne pas nous contenter d'une subjectivité immédiate, à ne pas nous replier sur une expression inachevée du Moi, qui est généralement considérée à tort comme l'être véritable. À l'opposé d'une psychologie de la transparence et de l'immédiat et qui viserait à «être soi-même», il convient de considérer que notre être véritable n'est pas un point de départ mais un point d'arrivée, un appel à consentir à notre vocation et non un attrait vers ce qui nous est donné au commencement.

L'école, lieu des disciples d'Hermès
Comment alors mettre en oeuvre une culture de l'âme, de quelle manière peut-on instituer un milieu favorable pour la conquête de la force de soi? Sans nul doute faut-il voir dans l'école un milieu transitionnel irremplaçable dans l'éducation. Là peuvent se tenir les Maures, qui ne sont plus des tuteurs (ou des tutelles) affectifs comme les parents, et ne sont pas encore des représentants impersonnels de la volonté de la collectivité. L'école est le lieu des disciples d'Hermès, ce dieu grec dédié aux échanges, à la circulation, mais aussi au passage de l'âme vers l'au-delà, vers la Vérité. Élèves et Maîtres constituent donc une communauté initiatrice ou même initiatique, où les apprentissages ne se font ni selon le bon plaisir ni selon l'injonction aveugle. Comme dans toute initiation, les acquisitions de ce qui est tenu pour vérité formatrice, se font progressivement, selon une succession d'épreuves durant lesquelles le néophyte assimile une substance nouvelle qui offre une résistance, en fonction de sa réceptivité et de sa préparation. L'éducation est ainsi un voyage, une montée marqués par des épreuves où l'on est récompensé à mesure des efforts faits pour être à la hauteur, à la bonne hauteur. Et le Maître est un guide qui fait accéder à des paliers supérieurs de savoir et savoir faire, en faisant franchir à l'élève des seuils auxquels seule sa force propre permet d'accéder.

Une fraternité initiatique
Dans cette perspective, la véritable inspiration de l'école pourrait se trouver dans l'institution médiévale du compagnonnage. 5 Né dans la confrérie des tailleurs de pierre des cathédrales, le compagnonnage constitue une sorte de fraternité initiatique et hiérarchique qui conduit chaque apprenti à une perfection technique, selon des degrés ritualisés, inséparable d'une transformation morale d'une haute rigueur. Symbolisée par la fabrication du chef-d'œuvre, la métamorphose de l'apprenti en compagnon s'achève en celle de maître, qui le rend à son tour responsable de la transmission des rites et mythes de la confrérie.

Cette comparaison nous rappelle à bon escient que toute œuvre à faire, toute forme à développer, qu'elle soit d'esprit, d'âme ou de corps, nécessite la médiation de rites qui conduisent les formes vivantes hors du désordre spontané (educare signifie bien conduire hors de) et leur permettent de «prendre possession de la beauté» pour, reprendre l'expression qu'Aristote applique à l'arêtè. L'éducation ne saurait donc être coupée d'une sorte de dimension esthétique, liturgique même, des comportements. Etre éduqué c'est progressivement répéter des manières d'être; de faire, de parler, qui perfectionnent celui qui les acquiert jusqu'à ce qu'elles soient tellement intériorisées qu'elles vont constituer sa nature, sa seconde nature. Les conduites rituelles de l'école, parce qu'elles nous éloignent de la spontanéité appauvrissante, constituent une véritable stylisation de l'être, lui conférant une forme nouvelle, mûrie par le temps, épurée jusqu'à la beauté et qui sert alors d'idéal supérieur à atteindre. Les codes ritualisés qui doivent régir la vie à l'école, les rapports aux autres, les relations à soi, la rencontre avec la culture, deviennent un moyen insensible pour discipliner la subjectivité, pour l'orienter vers des formes communes où chacun se reconnais. Loin d'être des sources de contraintes et de frustrations, les ritualisations libèrent chacun des innombrables et fastidieuses inventions de réponses face aux situations, et créent un langage commun à partir duquel chacun trouve l'occasion de sortir de soi. Les rites éducatifs sont les barreaux non d'une prison mais d'une échelle qui permet à l'âme de l'enfant de se fortifier dans la résistance, tout en balisant son chemin qui mène au dépassement de soi. 6

L'éducateur architecte et jardinier
La vie à l'école et de l'école se laisse ainsi tout naturellement comparer à une lente édification, construction d'une oeuvre de vérité et de beauté, ce qui rapprocherait l'éducateur autant de l'architecte que du jardinier. À l'image des bâtisseurs de cathédrales, nous devons tendre à faire de l'école et des élèves les pierres vivantes d'un vaste édifice de culture, où les êtres tiennent ensemble dans un équilibre harmonieux, où chacun tient debout, tout en prenant place dans un Tout qui monte toujours un peu plus haut. Eduquer et bâtir sont deux expressions d'un même art de composer ensemble les formes et les forces, la pesanteur des entablements et la résistance opposée des colonnes et piliers. Des soubassements à la flèche, en passant par la poussée des piliers et la résistance des arcs-boutant, la cathédrale comme l'école est une totalité vivante qui résulte de ce que chaque partie trouve sa place dans un plan qui doit exprimer le passage de la terre au ciel, du bas vers le haut. Et l'oeuvre éducative peut être assimilée à l'élévation d'un Temple où l'homme et son milieu cherchent à se rapporter à une beauté cosmique et divine. 7

Grandir dans l'école suppose donc qu'on puisse s'y nourrir du decorum et de la liturgie qui aident à faire vivre, à animer, l'espace d'élévation d'une cathédrale. Dans les deux cas, les gestes et les paroles, débarrassés des scories prosaïques de la vie commune, déploient un espace de miroitement de la perfection. Peu à peu comme par un rayonnement irradiant, la beauté devient un bien indispensable pour l'âme, qui finit par se loger dans les recoins les plus infimes de la vie. Car rien n'est trop beau pour accueillir un être sur la voie royale de son perfectionnement. Et dans l'éternel débat sur la pauvreté et la richesse des biens divins, il faudrait résolument que l'école prenne le parti de l'abbé Suger contre Saint Bernard, lorsque celui-là voulut embellir le Temple de Dieu, en l'occurrence la Basilique Saint Denis en France, jusqu'à la plus solennelle magnificence. 8 Et si chaque école pouvait devenir un espace sacré où l'âme baigne dans la beauté, rien ne serait négligé pour que chaque enfant trouve les conditions pour monter, dans son ordre propre, vers la perfection, ce qui est la plus haute fin que l'éducation puisse atteindre lorsqu'elle renoue avec la sagesse.


Notes
1. Des témoignages significatifs de la crise de l'éducation se trouvent déjà dans l'Antiquité (Voir Aristote, La politique, livre VIII), et au Moyen-Âge (Voir par exemple la Lettre de Gozzechin à Vaucher au XIe siècle) «Une avarice infernale usurpe toutes les récompenses de la vertu, et, dans ce royaume de l'argent, l'ambition tarifie ses marchandises. De cette racine empoisonnée, de cette semence pestilente, naît et pullule chaque jour la ruine des moeurs et de l'instruction. On résiste à tout système régulier, et la sévérité, la férule de nos pères, sont passés de mode. Si, en voyant suivre les tortueux sentiers du vice, vous étendez la baguette pour diriger ou retenir, aussitôt vient en aide aux plus âgés la foule de ceux qui pratiquent les mêmes habitudes et qui ne prêchent que l'argent. Pendant ce temps les plus jeunes reçoivent une liberté prématurée ou se délivrent par une fuite aussi rapide que s'ils avaient des ailes...

Ceux qui devraient encore s'instruire sous la férule de l'école, ils se sont abandonnés à la paresse, à l'indolence; ils ont fait leur Dieu de leur ventre. Rebelles à l'enseignement grave de la morale, ils se laissent emporter comme une paille légère au vent de toute doctrine. Ils se font esclaves de vaines et pernicieuses nouveautés de langage ou de système. Eux qui, argile encore molle et pure, sur la route de l'instruction, devaient être façonnés en vases de gloire par le doigt d'un ouvrier actif et habile, se rejetant brusquement en arrière, ils dégénèrent en vases d'ignominie. Recueillent-ils par hasard quelques fragments d'une science infirme et bavarde, dans de prétendues écoles savantes, ils errent çà et là sans pouvoir se fixer à rien. Comme il n'y a pas de place pour la morale dans leur éducation, ils rentrent dans leurs familles, après avoir secoué de leur front indompté le joug de la crainte, après avoir brisé le frein de la discipline. Ils tombent dans l'abîme, par les désordres de leur vie, et ils y précipitent les autres en leur communiquant la corruption.

II s'est élevé quelques faux professeurs de ces doctrines inventées par euxmêmes, qui, n'ayant pas d'asile assuré, et ne pouvant pas se retirer dans leur domaine, parce qu'ils n'en possèdent pas, vagabondent çà et là dans les campagnes, les bourgs et les villes, donnent de nouvelles interprétations des psaumes, des lettre de saint Paul, de l Apocalypse, et entraînent après eux dans le sentier glissant des plaisirs une jeunesse avide de nouveautés, folle de légèreté quia pris en aversion la grave discipline de l'étude.
Lettre de Gozzechin à Vaucher, (P.L.) CXLIII, 888.
2. Cette oscillation entre la répression et le laxisme est observée par de nombreux philosophes. Ainsi Hegel critique-t-il la pédagogie infantilisante qui fait réellement violence au «besoin d'obéir», au «besoin d'être éduquée» qui «existe chez les enfants sous la forme d'un sentiment qui leur est propre, celui de l'insatisfaction d'être tels qu'ils sont», elle méconnaît profondément «le penchant qui les incite à appartenir au monde des adultes, qu'ils pressentent comme quelque chose de supérieur au leur, ou encore le désir de devenir grands». Hegel s'en prend avec une vigueur toute particulière à la pédagogie fondée sur le jeu. En posant que l'enfance a une valeur pour elle-même, «en s'appliquant à représenter les enfants comme parvenus à maturité et satisfaits de l'état où ils se trouvent, alors qu'en réalité, cet état, ils le sentent eux-mêmes comme un état de non-maturité», elle les trouble intimement et bloque leur développement; dans l'oubli de l'élément sérieux où se révèle la substance de l'esprit, elle produit chez l'individu le sentiment vaniteux de sa suffisance et le mépris des hommes, qui se sont montrés originellement comme des pédagogues puérils. Hegel adjure donc les parents, aussi satisfaits qu'ils puissent être de leurs enfants, de ne pas leur lâcher la bride et renoncer à leur contrôle: < Cette liberté qu'on leur laisse en leur faisant confiance comporte, la plupart du temps, le risque, pour eu,, de sombrer dans des sottises, de mauvaises habitudes, voire même dans le dérèglement et le délit.» (Cité dans B. Bourgeois: La pédagodie de Hegel (Vrin) p. 38); à l'opposé Hegel prend soin de dénoncer un enseignement qui émascule la liberté de l'élève: «Dans le climat de sociabilité propre à l'étude -souligne Hegel-, dans le commerce dont le lien et l'intérêt sont constitués par la science et l'activité de l'esprit, ce qui convient le moins, c'est un ton excluant la liberté; une société de gens qui étudient ne peut pas être considérée comme un rassemblement de domestiques, et ils ne doivent pas en avoir la mine ni la démarche» (Idem p. 39)
3. Sur la force de l'âme, voir G Gusdorf: La vertu de force (PUF): «La force humaine est une vertu; non pas une qualité donnée mais le résultat d'une lutte, l'enjeu de ce débat de soi à soi pour l'affirmation de la personnalité. La force est cette valeur qui per met l'édification de la personnalité pa, la réconciliation de toutes les puissances intimes» (p. 42)
4. Voir W. Jaeger: Paideia (Gal limard). Un idéal proche se trouverait dans la conception de l'éducation de F. Nietzsche.
5. Voir L. Benoist: Le compagnonnage, Que sais-je? (PUF): «Le métier au sens ancien, épousait la nature de l'homme et pouvait devenir un art c'est-à-dire une activité conforme à une certaine perfection. Cette conformité donnait au travail un prolongement sur naturel qui l'assimilait à la contemplation et à la prière. Elle donnait à l'artisan la conscience de travailler, comme «le Grand Architecte de l'univers» et de devenir lui aussi un créateur. II collaborait humainement à l'oeuvre divine dans une mesure d'autant plus forte qu'il acceptait cette coopération jusqu'à l'illusion de la continuer et de la parfaire, ce que saint Paul ose exprimer superbement lorsqu'il déclare «accomplir en lui «ce qui manque à la Passion du Christ» (p 62-63)
6. Sur l'importance des rites dans la vie communautaire, un contre-exemple frappant est donné par le psychiatre E. Goffman dans Les rite d'interaction (Editions de Minuit, p 974)
7. Il conviendrait de se rappeler que discipline, avant d'avoir son sens militaire renvoie dans le vocabulaire religieux à la voie qui mène vers Dieu comme on le voit dans les règles de saint Benoit. Voir Dom. J. Leclercq L'amour des Lettres et le désir de Dieu (Cerf 1957) p. 98 sq.
8. Sur cet épisode voir E. Panovski, Architecture gothique et pensée scolastique (Editions de Minuit, 1967)

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