La France quand on la voit en malle poste

Victor Hugo
Le poète est voyageur.
Ce que j'ai fait depuis avant-hier 18 juillet? Cent cinquante lieues en 36 heures. Ce que j'ai vu? J'ai vu Étampes, Orléans, Blois, Tours, Poitiers, et Angoulême.

En voulez-vous davantage? Vous faut-il des descriptions? Voulez-vous savoir ce que c'est que ces villes, sous quels aspects elles me sont apparues, quel butin d'histoire, d'art et de poésie, j'y ai recueilli chemin faisant, tout ce que j'ai vu enfin? Soit. J'obéis encore.

Étampes, c'est une grosse tour entrevue à droite dans le crépuscule au-dessus des toits d'une longue rue et l'on entend des postillons qui disent: «Encore un malheur au chemin de fer! Deux diligences écrasées, les voyageurs tués. La vapeur a enfoncé le convoi entre Étampes et Etrechy. Au moins, nous autres, nous n'enfonçons pas».

Orléans, c'est une chandelle sur une table ronde dans une salle basse où une fille pâle vous sert un bouillon maigre.

Blois. c'est un pont à gauche avec un obélisque pompadour. Le voyageur soupçonne qu'il peut y avoir des maisons à droite, peut-être une ville.

Tours, c'est encore un pont, une grande rue large, et un cadran qui marque neuf heures du matin.

Poitiers, c'est une soupe grasse, un canard aux navets, une matelote d'anguilles, un poulet rôti, une sole frite, des haricots verts, une salade et des fraises.

Angoulême, c'est une lanterne éclairée au gaz avec une muraille portant cette inscription: Café de la Marine, et à gauche une autre muraille ornée d'une affiche sur laquelle on lit: la Rue de la Lune, vaudeville.

Voilà ce que c'est que la France quand on la voit en malle-poste. Que sera-ce lorsqu'on la verra en chemin de fer?

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