L'exemple de Caton l'Ancien
2e partie: Moeurs et croyances au temps de la République: l'exemple de Caton l'Ancien
2e partie
Quant aux citoyens de mœurs honorables, nous avons au vif le portrait de leur vie privée dans l'image qui nous a été laissée du vieux Caton. Homme d'état, avocat, écrivain, spéculateur tout à la fois, c'est dans la famille cependant que sa principale activité se renferme et se concentre; mieux vaut, selon lui, être bon mari qu'illustre sénateur! La discipline domestique était sévère. Les serviteurs ne sortaient pas sans l'ordre du maître: ils n'auraient osé, avec un étranger, s'entretenir des affaires de la maison. Les châtiments les plus graves n'étaient point arbitraires: le maître les prononçait et les faisait exécuter après une sorte de procédure domestique. Mais leur rigueur était grande: ce qui le prouve, c'est qu'un des esclaves de Caton apprenant que le maître avait eu vent d'un marché fait sans son ordre, se pendit. Pour ce qui était des fautes légères, des bévues commises dans le service de table, par exemple, le vieux consulaire, après le repas, administrait de sa main la correction au coupable, et faisait tomber sur son dos le nombre voulu de coups d'étrivières. Non moins sévère au regard de sa femme et de ses enfants, il l'était d'ailleurs d'une autre sorte, et eût tenu à crime de les frapper, comme il faisait pour ses esclaves. Dans le choix d'une femme, il méprisait la course à l'argent, voulant seulement qu'elle fût de bonne naissance. Dans sa vieillesse, il se remaria avec la fille d'un client pauvre. Quant à la continence envers le sexe masculin, il se comportait comme il est d'usage dans tous les pays à esclaves. Une épouse était à ses yeux un mal nécessaire: à chaque ligne, dans ses écrits, on le rencontre grondant le beau sexe, ce sexe bavard, raffolant de la parure désordonnée. «Toutes les femmes sont fâcheuses et orgueilleuses,» à son sens; et «si les hommes pouvaient se débarrasser d'elles, leur vie n'en serait que plus honnête! .» En revanche, il avait à cœur l'éducation de ses enfants légitimes, et s’en faisait gloire. La femme, à son dire, n'était bonne que pour les lui mettre au monde. À elle de les nourrir: si parfois elle les portait au sein d’une esclave, d'autres fois elle mettait au sein les enfants de celle-ci. Occasion trop rare et touchante où l'humanité tempérant les rigueurs de l'institution servile, l'épouse, un instant mère nourricière de ces malheureux, les faisait les frères et sœurs de lait de sa noble primogéniture! Pour le vieux soldat, il assistait volontiers à la toilette de ses enfants, et se plaisait à les voir laver et emmailloter. Il veillait avec soin sur leur jeune innocence. Comme s'il eût été, dit-il, «en face des vierges vestales,» jamais il ne se serait permis devant eux un mot scabreux; jamais en leur présence il n'eût embrassé leur mère; «à moins pourtant qu'un orage ne l'eut effrayée.» Bref, l'éducation de son fils est la plus belle partie de ses travaux multiples et marqués toujours au coin de l'honorabilité. Fidèle à sa maxime, que chez l'adolescent. mieux vaut dos basané que peau trop blanche, il le conduisait lui-même aux exercices gymnastiques, lui enseignant la lutte, l'équitation, la natation, l'escrime; et l'endurcissant au froid et à la chaleur. A coté de cela, il avait su comprendre que le temps n'était plus où il avait suffi au citoyen romain d'être bon laboureur et bon soldat. Il avait compris aussi quelle impression fâcheuse ressentirait son fils, s'il devait un jour reconnaître un simple esclave dans le pédagogue ayant aujourd'hui le droit de réprimande et de punition. C'est pourquoi il avait pris le parti de lui montrer lui-même tout ce que les Romains d'alors devaient savoir, la lecture, l'écriture et le droit national; et dans sa vieillesse, il voulut étudier les lettres grecques, et se mettre, par là, à même de faire connaître à son fils, dans l'idiome original, tout ce qu'il estimait y avoir rencontré d'utile. Dans tout ce qu'il écrit, il a son fils en vue; et de sa main il transcrivit, à l'usage de celui-ci, en gros et lisibles caractères, ses recherches historiques sur les Origines.
Sa vie était simple et frugale. Aucune dépense de luxe n'était tolérée dans sa maison. Il ne voulait pas donner plus de 1500 deniers (460 thal., = 1,725 fr..) d'un esclave; et plus de 100 deniers d'un vêtement . (30 thal., = 112 fr. 50 c.). Chez lui, point de tapis; et, durant longtemps, les murs nus, sans enduit. D'ordinaire, il se nourrit, boit et mange comme ses domestiques: ne tolère pas qu'on dépense par repas plus de 30 as (21 silbergros, = 2 fr. 20 c.) en argent déboursé. Au camp, le vin est banni de sa table: il n'y boit plus que de l'eau, ou parfois de l'eau mêlée d'un peu de vinaigre. Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant, il ne hait point le festin donné à des hôtes; en ville avec ses associés de club, aux champs avec ses voisins de campagne, il s'attarde volontiers à table: là; sa longue expérience en toutes choses, et son esprit s'échappant en vives saillies en font un aimable et. agréable compagnon: il joue son coup de dés: il lève plus d'une fois le coude; et consigne au besoin dans son livre de recettes un remède sûr et facile pour le cas où un honnête homme s'est oublié à trop manger et trop boire! Jusque dans l'âge avancé, vivre, pour lui, c'est agir. Tous ses moments sont comptés et remplis: chaque soir il fait l'inventaire des choses qu'il a entendues, qu'il a dites, ou qu'il a faites. Aussi a-t-il du temps pour ses propres affaires, pour celles de ses relations, et pour celles de la cité. Il lui en reste pour la conversation et le plaisir. Il fait tout vite et sans phrases: dans son activité consciencieuse et sérieuse, il ne hait rien tant que de s'affairer à cent choses à la fois, ou à des bagatelles. — Tel fut Caton. Aux yeux de ses contemporains et de la postérité il est demeuré le vrai type du citoyen romain. En lui s'étaient incarnés, sous une rude enveloppe, je ne le nie pas, l'esprit d'action et la droiture des vieux républicains, faisant honte à l'oisiveté malsaine et déréglée des Grecs. Il a bien mérité que le poète dit de lui plus tard: «Toutes ces pratiques étrangères ne sont qu'innombrables roueries. Nul dans le monde ne se conduit mieux que le citoyen romain: cent Socrate, pour moi, ne valent pas un Caton!»
L'histoire n'acceptera pas, nous le voulons, un tel jugement à la lettre; mais pour qui assiste à la révolution complète de la vie et de la pensée apportées dans Rome par un hellénisme abâtardi, il semble d'abord que loin d'adoucir la sentence, il convienne de la prononcer plus sévère!»
En effet, les liens de la famille se relâchaient avec une effrayante rapidité. Les habitudes de débauche dans la compagnie des courtisanes et des jeunes garçons gagnaient partout comme une lèpre, et la loi devenait impuissante à y porter le remède. En vain Caton, étant censeur (570), établit une lourde taxe sur le luxe abominable des esclaves entretenus à de telles fins. Sa tentative resta sans effet; et la taxe au bout de deux ans disparut dans l'impôt proportionnel sur l'ensemble des biens. Les célibataires, dont le nombre avait, dès 520, provoqué de sérieuses plaintes, allaient de même en augmentant, et le divorce devenait quotidien. D'épouvantables crimes se commettaient au sein des plus notables familles. Le consul Gaius Calpurnius Pison, pour en citer un exemple, avait été empoisonné par sa femme et par son beau-fils, afin de donner matière à une seconde élection et de fournir à celui-ci l'occasion d'une candidature au consulat: ce qui eut lieu. Il fut nominé (574)! ….
A cette même époque se répand aussi l'usage d'émanciper les femmes. Dans l'ancienne loi, l'épouse vivait sous la puissance maritale, qui n'était autre que celle du père de famille: la femme non mariée appartenait à la tutelle du plus proche agnat mâle, tutelle dotée de presque tous les pouvoirs du père. L'épouse n'avait point de biens en propre: la jeune fille et la veuve n'administraient pas leur avoir. Mais aujourd'hui les femmes prétendent à l'indépendance dans leur personne et dans leur fortune: par des procédures mauvaises et détournées, par des mariages apparents, elles se débarrassent de tutelles qui leur pèsent, et reprennent la gestion de leur fortune; ou bien même, dans l'état conjugal, elles savent, par de non moins tristes moyens, se soustraire à la puissance que la loi leur avait imposée dans ses prévisions jusqu'alors inévitables. La masse des capitaux qu'elles détiennent devient un sujet de préoccupation pour les hommes d'État. Afin de parer à un abus dangereux, on défend d'instituer par testament les femmes à titre d'héritières (585: loi Voconia, p. 96, en note); et une pratique d'ailleurs passablement arbitraire leur enlève en grande partie le bénéfice des successions ab intestat en ligne collatérale. La juridiction de famille, à laquelle elles obéissaient et qui se rattachait à la puissance maritale et paternelle, devient surannée et tombe tous les jours. Il n'est pas jusqu'aux affaires publiques où les femmes ne veuillent aussi avoir la main, et, selon le mot de Caton «dominer les maîtres du monde»: elles agissent et influent dans les comices: déjà, dans les provinces, des statues ont été élevées à quelques dames romaines.
Le luxe gagne dans le costume, dans la parure, dans le mobilier: il éclate dans les constructions et sur les tables. Au lendemain de l'expédition d'Asie Mineure (en 564), il déborde de l'Orient et de la Grèce, d'Ephèse et d'Alexandrie; il inonde Rome de ses raffinements vides, de ses futilités ruineuses pour la bourse, pour le temps et les joies austères de la vie: Ici encore les femmes marchent en tête: peu après Cannes (539), une loi leur avait interdit les bijoux d'or, les habits multicolores, et les chars. La paix conclue avec Carthage, elles font tant, malgré les vives rebuffades de Caton, que les prohibitions sont levées (559), et leur rude adversaire se voit réduit au vieux moyen d'un lourd impôt sur leur luxe (570). Une masse d'objets nouveaux et frivoles presque toujours afflue dans Rome, vaisselle d'argent à figures ciselées, lits de festin à ornements de bronze, étoffes dites d'Attale, tapis épais de brocart d'or!
Mais c'est le luxe de la table qui a fait les plus grands progrès. Jusqu'alors, sauf un seul, les repas ne consistaient qu'en une collation froide: maintenant, au second déjeuner (prandium), on sert souvent aussi des plats chauds; et au repas principal (cœna), les deux services frugaux du temps jadis ne suffisent plus. Auparavant, les femmes cuisaient elles-mêmes le pain et les autres aliments dans l'intérieur de la maison; sauf, au cas d'un banquet donné à des invités, à louer un cuisinier de profession, qui cette fois dirigeait la paneterie et apprêtait les mets. Mais voici que l'art culinaire prend son essor. Toute bonne maison veut.avoir son cuisinier. Le travail de la cuisine se divise: la boulangerie, la pâtisserie se font à part; et vers 583, on voit s'ouvrir dans les rues les premières boutiques de boulangers.
Les poètes s'en mêlent: il se rencontre un public pour leurs vers sur l'art de bien manger, avec longue nomenclature des meilleurs poissons et des meilleurs fruits de mer. La pratique va du même pas que la théorie. Les comestibles délicats de l'étranger, les sardines du Pont, les vins grecs sont en grande faveur, et quant à la recette de Caton, qui conseille de donner au vin de pays «le goût du cru de Cos, en y mêlant un peu de saumure,» il est difficile de croire qu'elle ait fait un sensible tort aux débitants de vins exotiques à Rome. Les joueuses de harpe, venues d'Asie, ont fait oublier les vieux chants, les antiques récits des convives et des enfants qu'ils emmenaient avec eux (I, p. 299). Certes, on buvait largement dans le bon temps, mais on ne buvait qu'aux repas, et on ne se réunissait point exprès pour ne faire que boire (comissari): maintenant, la débauche de taverne est chose coutumière; le vin est versé à pleines coupes et sans mélange, ou peu s'en faut (merum, meracius bibere); le premier qui boit donne la mesure obligée (rex ou arbiter bibendi); on boit «à la grecque».enfin (grœco more bibere); on «grécise» (pergrœcari, congrœcare), comme disent les Romains 18.
Depuis longtemps on jouait aux dés, mais dans les piques-niques à la grecque le jeu prend des proportions telles que la loi est forcée d'intervenir. La paresse, la flânerie des oisifs vont de pair 19. Caton proposa un jour de paver le Forum «en pierres pointues», pour mettre ordre aux promenades des badauds: le public de rire, et badauds et flâneurs de revenir de plus belle.
Déjà nous avons dit l'extension effrayante prise par les jeux publics. Autrefois, si l'on excepte quelques courses à pied ou en char sans importance et rattachées à quelques solennités religieuses, il n'y avait qu'une seule grande fête populaire (Ludi maximi), tombant en septembre, durant quatre jours, et ne dépassant pas un chiffre maximum de frais (II, p. 293). A la fin de l'époque actuelle, les grands jeux durent six jours: au commencement d'avril, on célèbre la fête de la Grande mère Idéenne ou les Mégalésiaques (Megalesia, Megalenses. ludi 20); à la fin du même mois, celle de Cérès et de Flore; en juin, celle d'Apollon; en novembre, celle des Plébéiens (Cerealia, Floralia ou Florales ludi, Apollinares ludi, Plebeii ludi), qui toutes se prolongent vraisemblablement durant plusieurs jours. Venaient ensuite et en grand nombre d'autres Instaurations (Instaurare ludos) dont tels scrupules pieux n'étaient que le trop facile prétexte; puis des fêtes populaires extraordinaires, mais quotidiennes, parmi lesquelles je ne citerai que les banquets pour l'accomplissement d'un vœu, avec contributions de dîmes (p. 162), les banquets en l'honneur des dieux, les fêtes triomphales et funéraires (ludi funebres, triumphales), et surtout les jeux séculaires (ludi sœculares), célébrés pour la première fois en 505, à la clôture d'un long cycle de temps appelé sœculum, et délimité conformément au rit tusco-romain 21). Les fêtes domestiques allèrent de même en se multipliant. Pendant la seconde guerre punique, l'usage s'établit, chez les riches et les nobles, des banquets échangés au jour anniversaire de l'arrivée de la Grande Mère dans Rome (550); et chez les petites gens (en décembre), se célébraient de même les saturnales (saturnalia), à dater surtout de l'an 537. Dans l'un et l'autre cas dominait l'influence combinée et toute puissante des prêtres étrangers et des artistes culinaires venus d'Orient. On touchait presque à l'idéal de l'oisiveté: tout paresseux avait chaque jour de quoi occuper ses heures, et cela, dans une ville où pour le peuple comme pour l'individu, l’action avait été la grande affaire de la vie, où les mœurs et la loi avaient jadis flétri les jouissances désœuvrées. Que d'éléments démoralisateurs et dissolvants au sein de ces fêtes perpétuelles! Les luttes de chars étaient restées la partie brillante et dernière des solennités populaires; et un poète du temps nous fait voir la foule «anxieuse, attendant, les yeux fixés sur le consul, qu'il donne le signal du départ.» Mais bientôt les festivités ordinaires ne suffisent plus, on en veut de nouvelles et plus compliquées. A côté des lutteurs et jouteurs nationaux, il faut aussi avoir des athlètes grecs (pour la première fois en 568). Nous parlerons plus loin des représentations dramatiques. La comédie et la tragédie grecques, importation d'une valeur en soi douteuse, étaient encore ce qu'il y eut de moins mauvais dans toutes les innovations du siècle. Depuis quelque temps, sans doute, on avait lancé et couru des lièvres et des renards devant le public assemblé: mais ces chasses innocentes n'émeuvent plus; on a recours aux bêtes sauvages de l'Afrique: les lions et les panthères (vers 568 probablement) sont amenés à grands frais: massacrant et massacrés, les monstres repaissent les yeux du peuple de Rome. Enfin les gladiateurs plus odieux encore, et depuis longtemps en faveur en Étrurie et en Campanie, sont admis dans la ville. En 490, déjà, le sang humain avait arrosé le Forum pour l'amusement des spectateurs. Certes, ces jeux immoraux encouraient un juste et sévère blâme: Publius Sempronius Sophus, consul en 486, notifia à sa femme des lettres de divorce, pour s'être montrée à des jeux funèbres. Le Sénat fit voter une loi défendant d'amener des bêtes étrangères dans Rome, et il tint la main d'abord à exclure les gladiateurs des grandes fêtes de la cité: mais la puissance ou l'énergie firent défaut à l'efficacité des prohibitions; et si les combats d'animaux féroces cessèrent pour un temps, les combats de gladiateurs se continuèrent dans les fêtes privées, dans les solennités funéraires notamment. Comment empêcher le peuple de préférer les gladiateurs aux danseurs de corde, les danseurs de corde aux comédiens, les comédiens aux acteurs tragiques? Le théâtre se souille de toutes les turpitudes de la vie familière des Grecs. Les jeux de la scène et des muses ont certes leur utilité civilisatrice, mais ces éléments meilleurs, on les rejetait sans merci; et l'ordonnateur des fêtes romaines n'avait cure d'agir sur les spectateurs par la puissance salutaire des vers; de les transporter, ne fût-ce que pour un moment, sur les hauteurs du beau et du bien, comme l'avait fait le théâtre grec dans sa fleur première; ou, comme l'ont fait du moins nos théâtres modernes, de préparer à leur public choisi des jouissances tout artistiques. Direction et auditoire, tous voulaient autre chose à Rome: Témoins les jeux triomphaux de 587, où les premiers joueurs de flûte qui fussent venus de Grèce ayant été mal accueillis, il leur fallut laisser là leurs mélodies, et se battre à coups de poings par ordre du régisseur. Alors la foule d'applaudir sans fin, et de se récrier de joie!
Bientôt la corruption grecque se vit dépassée par celle des mœurs italiennes, et les élèves à leur tour achevèrent la démoralisation des maîtres. Antiochus Épiphane, singeant les Romains par profession et par goût (579-590), introduisit à la cour de Syrie les gladiateurs, jusqu'alors inconnus en Grèce (III, p. 361). Son peuple, encore artiste et humain, retira de ces combats plus d'horreur que de joie! Mais peu à peu il s'y accoutuma, et les gladiateurs firent aussi quelques progrès en Orient.
Tous ces changements dans les habitudes et les mœurs amenèrent, on le conçoit, une révolution économique non moins grande. La vie devint tous les jours plus enviée et plus chère dans la métropole. Les loyers s'y élevèrent à l'excès. Les articles du nouveau luxe s'y payaient à des prix extravagants: un petit vase de sardines de la mer Noire contait 1,600 sesterces (120 thal., = 450 fr.), plus cher qu'un bon valet de labour: un jeune et bel esclave, 24,000 sesterces (1,800 thal. = 6,750 fr.), plus cher que bien des métairies. L'argent, l'argent seul, voilà le mot d'ordre pour tous, petits et grands! Depuis bien des années en Grèce, nul n'obtenait rien pour rien: les Grecs en convenaient avec une naïveté peu louable. Après la seconde guerre macédonienne, il en arrive de même à Rome, et l'imitation des Grecs est en cela complète. Il faut que la loi contraigne les gens au respect d'eux-mêmes; et un plébiscite défend à l'avocat de se faire payer ses services. Les juristes consultants font seuls exception, et s'honorent en se maintenant dans la vieille règle de leur office, spontané et désintéressé. Sans pratiquer le vol direct et brutal, on se croit permis tous les moyens tortueux qui aident à faire fortune: on pille et on mendie; les spéculateurs et les entrepreneurs trompent et escroquent; les usuriers et les accapareurs pullulent; les liens moraux et purs de l'amitié, le mariage, s'exploitent en vue du gain. Le mariage, surtout, n'est plus qu'une affaire, des deux parts: les mariages d'argent sont chose de tous les jours; et le magistrat en arrive à invalider les donations mutuelles entre époux! Faut-il s'étonner, après tout cela, qu'il reçoive l'avis de complots formés pour mettre le feu aux quatre coins de la ville? Quand le travail honnête a perdu toute faveur; quand l'homme ne travaille plus que pour conquérir fiévreusement les jouissances des sens, c'est grand hasard s'il ne devient pas criminel. La fortune avait versé à pleines mains aux Romains les splendeurs de la puissance et de la richesse; mais la boîte de Pandore (on ne le sait que trop!) enfermait à la fois tous les biens et les maux!
Notes
18. On boit le nom (nomen bibere), ou, en d'autres termes, on se porte des santés, dans lesquelles il est vidé autant de coupes, que le nom du convive à qui l'on boit contient de lettres. — V. la jolie épigramme de Martial, I, 72.
- — Nœvia sex cyathis, septem Justina bibatur,
Quinque Lycas, Lyde quatuor, Ida tribus.
Omnis ab adfuso numeratur amica Falerno.)
- Sed dum hic egreditur foras
Commonstrabo, quo in quemque hominem facile inveniatis loco,
Ne nimio opere sumat operam,…
Les vers «Dites damnosos maritos sub Basilica querito: Ibidem erunt scorta exoteta, quique stipulari solent»...
semblent une interpolation postérieure à la construction de la première basilique ou Bazar (570). Alors, les boulangers (pistores) vendaient des articles de fine gourmandise, et tenaient cabinets de société (V. Festus, V° Alicariœ, p. 7, Müller. — Plaut. Capt. 160. — Pœnul. 1, 2, 54. — Trinum. 407.) Il en faut dire autant des bouchers. — Leucadia Oppia était sans doute une teneuse de mauvaise maison.
* (Partie du Forum où se rend la justice, et où les plaideurs prêtent serment.)
** (Aussi dans le Forum, à l'entrée de la Via Sacra. — Vénus cluacine ou purifiée. — Les Romains et les Sabins se purifièrent en ce lieu, après l'intervention des épouses sabines, enlevées par ordre de Romulus.)
*** (La basilique (ou portique) Porcia.)
**** (D'où Canalicolœ, qu'un étymologiste soutient être l'origine de notre mot canaille.)
***** (Le Lac Curtius, Tite-Live, 1, 13, 7, 6.)
****** (Les vieilles boutiques: celles non brûlées dans l'incendie de 542 Les autres prirent le nom de boutiques neuves. — Près du temple de Castor, se tenaient les préteurs ou banquiers de l'État. Ceux des boutiques étalent les banquiers privés.)
20. (V. Dict de Smith, v. Megalesia, et Preller, t. c., pp. 445 et suiv., 735 et suiv.)
21. (V. Dict. de Smith, ces divers mots. Le sœculum, ici, ne désigne en aucune façon la période séculaire ordinaire de cent années, mais plutôt celle étrusque de cent dix années lunaires.)