Hymnes à la nuit

Friedrich Novalis
Où l'on voit que ce n'est pas en se tournant vers la lumière, comme dans le mythe de la caverne que l'âme est libérée, mais en accédant à la nuit.
Hymne III
Un jour que je versais amèrement des larmes, que défaite en douleur, mon espérance allait s'évanouir, — et j'étais solitaire, debout près de ce tertre aride qui, dans son lieu obscur et resserré, détenait l'être de ma vie — solitaire comme aucun solitaire n'avait jamais été -- oppressé d'une angoisse indicible, à bout de force, plus rien qu'un souffle de détresse... Comme alors je quêtais des yeux quelque secours, ne pouvant avancer ni reculer non plus, un immense regret me retenait à la vie qui fuyait, s'éteignait; — alors, du fond des bleus lointains, de ces hauteurs de ma félicité ancienne, vint un frisson crépusculaire, — et par un coup se rompit le lien natal : la chaîne de la lumière.

Loin s'est enfuie la terrestre splendeur, et avec elle ma désolation : — le flot de la mélancolie est allé se résoudre en un nouveau, un insondable monde. O nocturne enthousiasme, toi le sommeil du ciel, tu m'emportas : — le site s'enlevait doucement en hauteur, et sur le paysage flottait mon esprit libéré de ses liens, né à nouveau. Le tertre n'était plus qu'un nuage de poussière, que transperçait mon regard pour contempler la radieuse transfiguration de la bien-aimée. L'éternité reposait en ses yeux — j'étreignis ses mains, et ce fut un étincellent, un indéfectible lien que nous firent les larmes. Les millénaires passaient au loin comme un orage. Et ce furent des larmes d'extase que je versai sur son épaule, au seuil de la vie nouvelle.
Ce fut là le premier, l'unique rêve, — et depuis lors, à jamais, je sens en moi une foi éternelle, immuable, en le ciel de la Nuit et sa lumière, la Bien-Aimée.

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