du premier séjour à Rome à la statue de saint Mathieu (1496-1503)

Anatole Montaiglon
XV. Premier voyage à Rome. Statues de Bacchus et de l'Amour. — XVI. La Piéta de Saint-Pierre. — XVII. Statues de la Chapelle Piccolomini — XVIII. Le premier David de marbre. — XIX. Le David de bronze du Château de Bury. — XX. Statue de l'apôtre saint Mathieu.
XV. PREMIER VOYAGE À ROME. STATUES DE BACCHUS ET DE L'AMOUR. — Dans tous les cas, si le cardinal de Saint-Georges s'est fait peu d'honneur de garder le Cupidon, ce fut lui qui fut la cause du voyage de Michel-Ange à Rome, où il est probable qu'il est allé avec le gentilhomme en question qui était venu à Florence. Arrivé à Rome le 5 juin 1496, il vit le cardinal sur le champ, et après une visite de celui-ci il acheta un marbre pour faire pour lui une statue grande comme nature, qu'il devait commencer immédiatement. Dans la même lettre écrite à Lorenzo Pier Francesco de Médicis, qui lui avait donné des lettrés pour le cardinal, il parle aussi de la façon dont il avait voulu reprendre le bambino au Milanese, qui se refusait à le lui rendre 235,5, de sorte que nous ne savons pas de quelles mains l'a tenu le duc d'Urbin.

Son premier ouvrage à Rome, dit le Vasari (p. 169), fut un carton d'un Saint Francois recevant les stigmates; il le dessina pour le barbier du cardinal, qui peignait lui-même à la détrempe et qui mit son œuvre, maintenant perdue, dans une chapelle de San-Pietro-in-Montorio 236,1.

On ne sait ce qu'il fit pour le cardinal chez lequel il demeura presque toute une année 236,2. On pourrait supposer que ce fut soit le Bacchus, maintenant aux Uffizi, soit le grand Cupidon, entré au musée de Kensington avec la collection Gigli. Tous deux avaient été faits pour un gentilhomme romain nommé Jacopo Galli 236,3, et ils se voyaient, du temps de Condivi, chez Giuliano et Paolo Galli, dont Michel-Ange resta l'ami, et qui devaient être les fils ou au moins les héritiers de Jacopo.

XVI. LA PIÉTA DE SAINT-PIERRE. — Une autre œuvre plus importante encore est la Notre-Dame-de-la-Fièvre, le groupe de la Vierge tenant sur ses genoux son fils mort, qui se trouve dans Saint-Pierre. Nous en possédons le marché 236,4, en date du 26 août 1498. Il est à remarquer que l'acte est en réalité fait par Jacopo Galli, qui s'oblige envers les deux parties et qui les oblige l'une envers l'autre, promettant que «ce sera le plus bel ouvrage de marbre qui sera aujourd'hui à Rome et qu'aucun maître ne ferait mieux». C'était un Français, nommé en 1493 cardinal au titre de Sainte-Sabine, Jean de Groslaye de Villiers, abbé de Saint-Denis en France, et ambassadeur de Charles VIII, qui la fit faire pour la Chapelle des Rois de France dite de Sainte-Pétronille, qui était voisine de la sacristie, et que Vasari (p. 170) appelle le temple de Mars, parce qu'elle passait pour se trouver sur l'ancien emplacement de celui-ci. Michel-Ange devait être payé 450 ducats d'or par quartiers de 100 ducats, et avoir terminé son ouvrage en une année.

Il y avait eu auparavant de premières conventions, puisqu'il est dit que l'acte annule les écritures antérieures soit de Galli, soit de MichelAnge, et que Galli, en y donnant quittance de 50 ducats, reconnaît en avoir déjà reçu 100.

Le 18 novembre, le cardinal écrivit auz Anciens de Lucques pour leur recommander Michel-Ange; le terme de «présent porteur», dont il se sert à son propos, ferait croire que Michel-Ange se rendit alors à Carrare, où il devait si souvent retourner et séjourner; mais l'affaire des marbres offrit quelques difficultés, puisque le 7 avril 1498 un certain M. de Sasso-Ferrato écrivait, au nom du cardinal, au Gonfalonier et aux Prieurs de Florence pour faire lever les difficultés qui s'opposaient à la venue des marbres à Rome.

On sait que c'est la seule œuvre que Michel-Ange ait signée, et Vasari (p. 471) raconte dans quelles circonstances. L'ayant entendu attribuer par des Lombards à leur Gobbo de Milan, c'est-à-dire à Cristofano Solari, il vint une nuit avec une lanterne et ses ciseaux, et grava en lettres monogrammatisées, sur la ceinture qui soutient la robe de la Vierge, ces seuls mots:
MICHIELANGELUS BONAROTUS FLOREN FACIEBAT.

La chapelle de Sainte-Pétronille fut naturellement détruite pour la reconstruction de Saint-Pierre; dans la nouvelle basilique, le groupe est dans la. Chapelle de la Pitié, qui lui doit son nom.

Je n'ai pas à dire ici la beauté de l'œuvre pas plus qu'à répéter la belle réponse si connue qu'il fit à ceux qui lui reprochaient la jeunesse de sa Vierge. Il suffira d'en rappeler le succès et le retentissement. C'était à qui en aurait des reproductions. Nanni di Baccio Bigio en fit deux copies de marbre, dont l'une est à Rome, dans l'église SantaMaria-dell'Anima, l'autre à San-Spirito de Florence, et l'on a imprimé plus d'une fois la lettre écrite par François ler de Saint-Germainen-Laye, le 8 février 1546 (n. s.), à Michel-Ange, par laquelle il introduit près de lui le Primatice et lui demande «de vouloir être contant, pour l'amour de lui, qu'il molle le Christ de la Minerve et la Notre-Dame de la Fèbre, afin qu'il en puisse aorner l'une de ses chapelles comme de chose qu'on lui a asseuré estre des plus exquises et excellentes qui soient en son art, pryant Dieu qu'il l'ayt en sa sainte garde 238,1».

XVII. STATUES DE LA CHAPELLE PICCOLOMINI — C'est en juin 1501, encore avec la souscription de Jacopo Galli, que fut passé entre Michel-Ange et le cardinal Francesco Piccolomini, neveu du pape Pie II, un marché relatif à des statues pour sa chapelle du Dôme de Sienne, à côté de la Bibliothèque. Nous avons une première note de Michel-Ange, de Florence le 22 mai 1501 238,2; le marché, signé à Rome le 5 juin 1501, ne l'est par Michel-Ange que le 19 238,3. Comme on le voit, Michel-Ange n'était plus à Rome, mais à Florence, où il venait de revenir auprès de soit père, qui désirait depuis longtemps sa présence 238,4. Les statues, en marbre de Carrare, devaient être au nombre de quinze, représenter des apôtres et des saints et avoir deux brasses de haut. Michel-Ange devait donner, par suite de leur position, un peu plus de hauteur au Christ, à saint Thomas et à saint Jean, un peu moins au contraire à deux anges, pour se conformer au plan général de l'autel, qui avait été construit et sculpté, en 1485, par le Milanais Andrea Fusina 239,1, enfin, pour qu'il ne parût pas être d'une autre main que la sienne, terminer le saint François de marbre commencé par le Torrigiano, le tout dans l'espace de trois ans et pour la somme de 500 ducats d'or, non compris le transport à Sienne, dont le cardinal se chargeait.

Celui-ci, couronné pape sous le nom de Pie III, le 8 octobre 1503,. mourut le 18 du même mois, laissant par testament 239,2 à ses frères Jacopo et Andrea le soin de faire continuer les statues de Michel-Ange, comme les peintures qu'il avait commandées au Pinturicchio, probablement en même temps. De deux conventions intervenues à Sienne le 15 septembre, et à Florence le 11 octobre 1504 239,3, il résulte que Michel-Ange avait livré quatre figures, qu'il en avait été payé et avait même 100 ducats d'avance, qu'il lui était accordé à nouveau deux ans pour faire les onze autres figures, et qu'il n'avait pas à retourner à Sienne voir la chapelle, parce qu'il y avait déjà été pour cet objet au moment du premier marché.

Michel-Ange, du reste, ne s'occupa jamais plus de ce travail, si bien qu'en 1537 Antonio Mario Piccolomini cédait à un certain Panciaticho de Pistoie tous ses droits de recours contre Michel-Ange pour les 100 ducats d'or qu'il avait reçus en trop 239,4, et l'affaire n'était pas réglée en 1561, puisque Michel-Ange en écrit le 20 septembre 239,5 à son neveu Leonardo et se préoccupe de la terminer lui-même pour n'en pas laisser l'ennui à ses héritiers.

Quant aux statues elles-mêmes, à part le saint François du Torrigiano, qui paraît bien terminé par Michel-Ange, les annotateurs de Vasari, XII, 388, et celui des Contratti, p. 627, ne sont pas d'accord; les uns n'osent pas se prononcer, et le dernier lui attribue les quatre figures des saints Pierre, Paul, Pie et Grégoire.

XVIII. LE PREMIER DAVID DE MARBRE. — Revenant à 1501, il est facile de comprendre que, même au premier moment, Michel-Ange avait un travail bien autrement intéressant pour lui que les statues de l'autel de Sienne. C'est alors, en effet, qu'il eut à faire son fameux David 240,1.

Le sculpteur florentin Agostino di Duccio, ou Gucchio, qui avait déjà fait un premier Géant, avait été chargé, le 18 avril 1468, par les membres de l'Œuvre de Notre-Dame-des-Fleurs, d'ébaucher à Carrare, d'amener à Florence et de terminer en dix-huit mois pour la somme de 300 florins une statue de prophète de neuf brasses de haut qui devait être posée sur un des contre-forts de l'église. Elle devait être en quatre morceaux; Agostino tint évidemment à honneur de n'en employer qu'un, mais l'on ne fut pas content du commencement de son travail, puisque, par une délibération du 26 décembre 1466, on lui alloua, comme payement définitif, 224 livres pour en rester là et laisser telle quelle, à l'Œuvre, la figure commencée 240,2.

Si l'on croit Vasari, Pietro Soderini avait eu l'intention de faire conduire le marbre à Leonardo Vinci, et Andrea Contucci del Monte Sansovino cherchait à l'avoir pour l'employer à nouveau, en n'y ajoutant que quelques morceaux 240,3. Toujours est-il que, le 2 juillet 1501, on décida de faire dresser la figure qui gisait à terre dans la cour de l'Œuvre, pour voir s'il serait possible d'en tirer parti et de le finir. Il faut remarquer qu'elle est désignée «l'homme ou le géant de marbre appelé David 240,4». Le prophète d'Agostino était déjà un David; c'est donc le nom et le sujet premier qui ont donné à Michel-Ange le motif du David jeune se préparant à sa victoire sur Goliath.

La décision ne tarda pas à être prise. C'est le 16 août que le marbre fut confié à Michel-Ange pour être achevé en deux ans, aux gages de 6 florins d'or par mois, et avec la promesse d'une allocation ultérieure, si l'ouvrage terminé en méritait une. L'artiste se mit à l'ouvrage le lundi matin 13 septembre 1501, après avoir quelques jours avant enlevé un nœud qui se trouvait sur la poitrine de la statue.

On n'attendit pas l'achèvement pour décider ce qui serait donné à l'artiste en sus de ses gages mensuels; une délibération du 28 février 1502 240,5 fixa cette somme à 400 livres en or. Le 25 janvier 1504, la statue était terminée, puisqu'une commission, composée des plus illustres artistes de Florence, dont quelques-uns avaient été les camarades de MichelAnge dans les jardins du Magnifique, et parmi lesquels se trouvaient Filippino Lippi, Sandro Botticelli, Léonard de Vinci et Pierre Pérugin, fut réunie pour décider où on la placerait. Les avis furent très-partagés. On proposa successivement de la mettre sur le contre-fort de NotreDame-des-Fleurs, où l'œuvre devait être originairement, à côté de l'église ou sur la place du Baptistère, au milieu de la salle du conseil, au milieu de la cour du Palais-Vieux, place très-honorable, mais bien étroite pour le Géant, devant la porte du palais à la place de la Judith du Donatello, et enfin sous la Loggia des Lanzi. Les deux derniers avis réunirent le plus de suffrages, surtout la Loggia, à cause de cette raison excellente que le marbre était tendre et avait besoin d'être à couvert. Mais, devant l'opinion très-judicieuse aussi de Lippi et de l'orfèvre Salvestro di Lavacchio: que l'artiste devait avoir mûrement réfléchi à la place de son couvre et qu'il serait bon de le consulter, il est probable que ce fut sur l'avis et le désir de Michel-Ange qu'il fut décidé, le 24 mai 1504, que le David remplacerait la Judith, qui passa dans la Loggia, et serait mis à la gauche de la porte du Palais-Vieux. Lorsque, pour ôter la Judith, on donnait pour raison qu'il n'est pas bien que la femme tue l'homme et qu'elle avait été posée sous une constellation funeste au moment de la perte de Pise, il n'est pas étonnant que Michel-Ange ait préféré mettre son œuvre à la porte du palais de la Seigneurie; David, le sauveur et le juste administrateur de son peuple, était dans sa pensée un exemple offert aux magistrats de Florence pour les engager à la défendre avec courage et à la gouverner avec justice 241,1.

On pense bien que le transport d'une pareille masse demanda des architectes habiles. Un historien contemporain, Pietro di Mario Parenti, en attribue le mérite au Cronaca 241,2, et le Vasari (p. 175), à Giuliano et à Antonio de San Gallo. Tous deux ont raison puisque les délibérations publiées par Gaye (II, 462-3) donnent les noms de Simone del Pollajulo, qui est le Cronaca, d'Antonio de San Gallo et de Bernardo della Ciecha.

Le transport occupa du 14 au 18 mai 1504 et la statue fut dressée le 8 juin 241,3. Le 11, la Seigneurie chargea le Cronaca de donner avec Antonio de San Gallo le dessin de la base du David, et le 8 septembre tous les travaux de la statue étaient terminés 241,4.

Jusqu'à la fin de juillet 1873 où il fut transporté à l'Académie 241,5 le David n'a plus d'histoire, si ce n'est l'accident qui lui arriva dans les tumultes de 1527. Un meuble, jeté d'une fenêtre sur ceux qui assaillaient la porte, tomba sur le bras gauche de David et le brisa en trois morceaux. Comme personne ne les avait relevés, le troisième jour Francesco Salviati et Vasari, qui étaient alors tout jeunes 242,1, allaient au milieu des soldats ramasser les morceaux qu'ils portèrent chez le père de Salviati. Celui-ci les rendit plus tard au duc Côme, qui les fit remettre en place et consolider avec des goujons de cuivres. 242,2

XIX. LE DAVID DE BRONZE DU CHATEAU DE BURY. — Vasari et Condivi parlent très rapidement d'un second David de bronze, grand comme nature, avec la tête de Goliath sous les pieds, qui fut commandé par Piero Soderini et envoyé en France. Les documents publiés par Gaye 242,3 ont été si bien réunis et commentés dans un excellent mémoire de M. Reiset 242,4 que nous pouvons les résumer assez rapidement.

Pierre de Rohan, maréchal de Gié, continuait d'être en grande faveur à la cour de Louis XII; c'était aussi un homme de goût, ce dont témoignait la beauté de son château du Verger, en Anjou. La Seigneurie, qui avait tout intérêt à être dans ses bonnes grâces et à se servir de son influence sur le roi, tenait à lui être agréable et lui avait déjà envoyé en 1499 sept bustes de marbre et deux de bronze, dont l'un était désigné comme un Charlemagne. En 1501, il exprima le désir d'avoir une reproduction du David du Verrocchio qui était dans la cour de la Seigneurie, en offrant pour la forme d'en payer les frais. On finit le 12 août 1502 par se décider à commander à Michel-Ange un David de bronze de deux brasses et un quart de haut, qui devait être terminé dans six mois. Les années 1502 à 150à sont occupées par les instances du maréchal et les réponses florentines; la statue partirait pour Livourne aussitôt qu'elle serait achevée. Puis le silence se fait; le maréchal de Gié, bien qu'il fût devenu duc de Nemours par son mariage avec la sœur de Louis d'Armagnac, tué à Cerisoles en 1503, avait blessé Anne de Bretagne. Il était tombé en disgrâce et n'était plus bon à rien, mais il se trouva quelqu'un pour recueillir l'héritage du David.

Florimond Robertet était Secrétaire des Finances, de tous points un personnage fort important, et la Seigneurie devait au roi de France pas mal d'argent qu'elle aurait voulu faire attendre ou même ne pas payer. Le Trésorier était donc un homme à gagner, et nous voyons par une longue lettre de l'ambassadeur, du 27 septembre 1507, que Robertet ne demandait pas mieux. Il y avait été évidemment question du David du maréchal; on y revient en 1508. Il était coulé sans doute avant le départ de Michel-Ange, car celui-ci est à Rome et le pape ne veut pas même le laisser venir à Florence vingt-cinq jours. L'on finit en octobre 1508 par le faire réparer par un artiste qui peut être Benedetto de Rovezzano et on l'envoie en novembre, par terre, — il pesait 700 à 800 livres et la voie de l'Arno, souvent très-bas, aurait pu être impossible —, de Cascina à Livourne. On voit aussi que Robertet se propose de le mettre sur une colonne de marbre avec les armes de la République, et qu'il voudrait bien qu'on le lui envoyât, mais Soderini fait la sourde oreille en lui donnant là-dessus les meilleurs renseignements pour se procurer des marbres à Carrare.

Dans deux de ces documents, il est dit que «Robertet veut mettre le David à Blois dans la cour d'un sien palais nouvellement construit», et il ne peut s'agir que du charmant hôtel d'Alluye, bâti dans la rue Saint-Honoré par Robertet, qui avait une baronnie de ce nom, au commencement du XVIe siècle 244,1.

La statue put y être d'abord, mais elle y serait restée bien peu de temps, puisque le château de Bury, où elle demeura plus d'un siècle, fut bâti par Robertet, de 1501 à 1504 244,2, et pouvait donc être terminé avant l'arrivée en France du David.

Ce n'est plus maintenant qu'une ruine perdue à deux grandes lieues de Blois, le long de la Cisse et sur le bord. de la forêt de Blois, entre Orchaise et Saint-Secondin. La tour, où l'on peut monter à cheval comme à Amboise, existe encore, comme aussi de longs pans de murs de pierre blanche ornés seulement de bandeaux droits; mais pour revoir le château dans sa splendeur il vaut mieux consulter les planches que lui a consacrées Ducerceau à la fin du second volume de ses Excellents Bâtiments de France publiés en 1579.

Prud'homme, dans son Dictionnaire géographique de la France publié en 1804, suffirait déjà pour constater à Bury la présence du David de bronze; mais son livre, qui n'est qu'une compilation d'ouvrages bien antérieurs, ne signifie rien comme date, et nous avons beaucoup mieux. D'abord la planche de Ducerceau, où la statue sur une colonne se voit au milieu de la cour et où, si petite qu'elle soit, elle concorde très bien avec le dessin de Michel-Ange, acheté pour le Louvre à la vente du roi de Hollande, et dans lequel M. Reiset a si judicieusement signalé le motif du David de bronze col Golia sotto 244,3. L'Itinerarium Gallice de Jodocus Sincerus l'y mentionne en 1616, comme aussi, en 1655, un Guide en France du sieur du Verdier et les Délices de la France, en 1728. Le David en avait pourtant disparu; les vues de Bury par Silvestre (1654) et par P. Costal montrent à la place une fontaine, Bury étant passé par les femmes dans les mains de Charles de Villeroy d'Halaincourt, celui-ci l'échangea en 1653 pour une rente avec les Rostaing, mais le David en avait déjà été emporté. Un singulier écrivain, Henri Chesneau, dont la plume ne s'est employée qu'à l'état de dithyrambe en l'honneur des Rostaing, avait dit en 1650, lorsque dans la description de Bury il parle de la fontaine de la cour:
    Autrefois dans cet endroit même
    Il y avoit un beau David;
    Mais tout à coup l'on le ravit
    À cause de son prix extresme
    Et emporta-t-on ce grand Roy
    Dans le château de Villeroy,
    Où l'on en fait un si grand compte
    Que chaque sculpteur va disant
    Qu'il vaut sa grosseur d'or pesant,
    Tant il est d'une heureuse fonte.

    Outre le grand David qui manque
    Dans le point milieu où je suis ... 245,1

M. Eugène Grésy 245,2 a réimprimé un inventaire, dont Chesneau attribue la rédaction à la femme même de notre Robertet sous la date de 1532 et qu'il doit avoir au moins remanié. Il n'est pas possible ici de ne pas en citer ce passage:
    Finalement et triomphamment notre beau David de bronze qui est au milieu du château... et faisons aussi beaucoup d'état des vers italiens que Michel-Ange, statuaire de ce chef-d'œuvre, fit graver au piédestal et que le sçavant Ronsard a traduits en ce sens:
      Moy, David, en moins de trois pas
      Que je fis devant tout le monde,
      Je mis Goliath au trépas
      D'un seul juste coup de ma fronde...

Il pouvait y avoir des vers italiens sur la base de la colonne sans qu'ils fussent pour cela de Michel-Ange, mais Ronsard a dans ses œuvres 245,3 plus d'une pièce adressée à Fleurimont Robertet, seigneur de Fresne, qui était certainement de la famille.

De tout ceci il résulte qu'au milieu du XVIIe siècle le David avait passé du château de Bury à celui de Villeroy, près Mennecy (Seine-et-Marne), — celui même qui a donné au Louvre la belle cheminée de Germain Pilon, — ce qui rend bien inespéré de revoir jamais ce que Lenoir n'a pas trouvé à sauver à la fin du XVIIIe siècle.

XX. STATUE DE L'APÔTRE SAINT MATHIEU. — Florence était pour Michel-Ange une bonne mère; sa gloire y grandissait chaque jour, et il semble qu'on s'ingéniât à le charger de travaux pour y retenir en quelque sorte toute sa vie et toute son œuvre aussi bien que sa personne.

Après le Géant de marbre, un nouveau marché 246,1, du 24 avril 1503 246,2, est conclu par les Consuls de l'art de la laine et la Fabrique de Sainte-Marie-des-Fleurs dans lequel Michel-Ange s'engage à faire, en douze ans et à raison d'une par an, les statues des douze apôtres, en marbre de Carrare et de la hauteur de deux brasses un quart, pour être mises dans le Dôme, soit à la place des peintures de Bicci di Lorenzo, soit ailleurs. Du jour où il aurait été à Carrare faire extraire les marbres, ou s'il n'y allait pas, du jour où il aurait commencé la première statue, on lui payerait ses frais, ceux d'un seul aide, et, pendant les douze ans, des gages mensuels de deux florins d'or. On lui construirait de plus une maison dans le faubourg de Pinti près du monastère de Cestello, dont l'érection, confiée à Cronaca, ne devait pas dépasser 600 florins d'or et dont la pleine propriété lui serait acquise par douzièmes à mesure de l'achèvement de chaque statue.

En réalité Michel-Ange n'en commença qu'une, le Saint Mathieu qui est maintenant à l'Académie des Beaux-Arts et qui n'est même qu'ébauché. Sur la face presque droite de ce marbre encore en éclats, où palpite une violence singulière, rien de plus intéressant que de voir ainsi à nu la fierté en quelque sorte farouche du travail de Michel-Ange. C'est devant ce marbre, brisé plutôt que sculpté et qui pourtant s'éveille déjà à une vie pleine de grandeur, qu'en reconnaît la vérité du témoignage de Blaise de Vigenère. Il est bien connu, mais il est si caractéristique qu'il est toujours bon de le répéter.

C'est dans ses annotations sur les Tableaux de Philostrate 246,3. Après avoir raconté qu'il lui vit commencer à Rome en 1550, dans un des chapiteaux du temple de la Paix, «un crucifiement composé de douze figures de grandeur naturelle», — c'est, sans doute, la Déposition du Dôme de Florence, — il ajoute:

À ce propos je puis bien dire avoir veu Michel-Ange, bien que âgé de plus de soixante ans et non des plus robustes, abattre plus d'escailles d'un très dur marbre en un quart d'heure que trois jeunes tailleurs de pierres n'eussent peu faire en trois ou quatre, chose presque incroyable qui ne le verroit, et y alloit d'une telle impétuosité que je pensois que tout l'ouvrage deust aller en pièces, abattant par terre d'un seul coup de gros morceaux, de trois ou quatre doigts d'espoisseur, si ric à ric de sa marque que, s'il eust passé oultre tant plus qu'il ne falloit, il y avoit danger de perdre tout.

On s'aperçut bien vite, en voyant ce que le pape commandait à .Michel-Ange, qu'il fallait, bien que la plus grande partie des marbres fût arrivée 247,1; abandonner l'idée que Michel-Ange continuerait ce travail; aussi, le 18 décembre 1505, la Fabrique prit la résolution de mettre à loyer la maison construite pour lui, et, le 18 mars 1508, elle fut louée à lui-même pour un an, au prix de dix forts florins de gros 247,2.

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