Les livres consolateurs

Madame de Staël
Extrait de: De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales. Discours préliminaire (1800)

Cette tristesse aride qui naît de l'isolement, cette main de glace, qu'appesantit sur nous le malheur, lorsque nous croyons n'exciter aucune pitié, nous en sommes du moins préservés par les lettres. Elles élèvent l'âme à des méditations générales qui détournent la pensée des peines individuelles; elles créent pour nous une société, une communication avec les écrivains qui ne sont plus, avec ceux qui existent encore, avec les hommes qui admirent comme nous ce que nous lisons. Dans les déserts de l'exil, au fond des prisons, à la veille de périr, telle page d'un auteur sensible a relevé peut-être une âme abattue; moi qui la lis, moi qu'elle touche, je crois y retrouver encore la trace de quelques larmes; et par des émotions semblables j'ai quelques rapports avec ceux dont je plains si profondément la destinée. Dans le calme, dans le bonheur, la vie est un travail facile; mais on ne sait pas combien, dans l'infortune, de certaines pensées, de certains sentiments qui ont ébranlé votre coeur font époque dans l'histoire de vos impressions solitaires. Alors que le criminel éprouve l'adversité, il ne peut se faire aucun bien à lui-même par ses propres réflexions, aucune parole douce ne peut se faire entendre dans les abîmes de son coeur. L'infortuné qui, par le concours de quelques calomnies propagées, est tout à coup généralement accusé, serait presque aussi lui-même dans la situation d'un vrai coupable, s'il ne trouvait quelque secours dans ces écrits qui l'aident à se reconnaître, qui lui font croire à ses pareils, et lui donnent l'assurance que, dans quelques lieux de la terre, il a existé des êtres qui s'attendriraient sur lui et le plaindraient avec affection s'il pouvait s'adresser à eux.

Qu'elles sont précieuses ces lignes toujours vivantes, qui servent encore d'ami, d'opinion publique et de patrie! Dans ce siècle où tant de malheurs ont pesé sur l'espèce humaine, puissions-nous posséder un écrivain qui recueille avec talent toutes les réflexions mélancoliques, tous les efforts raisonnés qui ont été de quelque secours aux infortunés dans leur carrière! Alors du moins nos larmes seraient fécondes!

Le voyageur que la tempête a fait échouer sur des plages inhabitées grave sur le roc le nom des aliments qu'il a découverts, indique où sont les ressources qu'il a employées contre la mort, afin d'être utile un jour à ceux qui subiraient la même destinée. Nous, que le hasard de la vie a jetés dans l'époque d'une révolution, nous devons aux générations futures la connaissane intime de ces secrets de l'âme, des ces consolations inattendues, dont la nature conservatrice s'est servie pour nous aider à traverser l'existence.

Autres articles associés à ce dossier

Le livre dans la Renaissance italienne

Jacob Burckhardt

Bien que l'on attribue l'invention des techniques de l'imprimerie en Occident à Gutenberg et ses associés, l'Italie de la Renaissance fut un des pr

À propos d'un film

Jean Guehenno


Lecture

Franz Kafka


Lettre à ma petite-fille

Pierre-Paul Roy





Articles récents