À propos d'un film

Jean Guehenno
Fahrenheit 451. C?est son titre et la température à laquelle le papier, les livres prennent feu. Nous sommes entre le réel et le fantastique, dans une sorte de "meilleur des mondes" où tout ce qu'il y aurait de bonheur tiendrait à ce que les hommes ne pensent plus, une société à l'envers, confortable, conformiste, pleine d'ennui, naïvement assurée contre les périls, ceux du corps, mais surtout ceux de l'esprit, comme contre les incendies, et où les pompiers, n'ayant plus rien à faire dans des villes aux maisons ignifugées, n'ont plus charge d'éteindre le feu, mais de l'allumer, et de voler sur leurs autos rouges, à la première dénonciation, faire la chasse aux livres et les brûler, comme le principe de tout mal, de l'inquiétude des individus, de tous les désordres de la société.

    Ces brûleries sacrilèges de livres, tout au long du film, ne font pas très peur, mais la question reste posée.

    Sommes-nous menacés de vivre dans un monde sans livres, et que serait un monde sans livres ?

    L?humanité n'a jamais cessé d'être gouvernée par tous les plus grands livres, j'entends ceux qui nous laissent entrevoir quelque chose de la vérité. Ce que les hommes ont trouvé d'elle ne peut plus se perdre. Les livres ont à ce point pullulé qu'il faudrait, pour qu'ils disparaissent, mettre le feu à la Terre entière.

    J'admire qu'un cinéaste se soit employé à démontrer que le livre est irremplaçable.

    Le vrai péril est en effet en nous, en notre paresse. Nous contenterons-nous des images ? C'est évidemment le plus simple, le moins fatigant, et le temps et la vie passent. "Divertissement" disait Pascal, et le plus vide et le plus bête, peut être le plus efficace. André Brincourt, dans ses notes sur la télévision, a raison de rappeler qu'il n'y a culture et vie de l'esprit que si l'esprit demeure en alerte, provoqué dans sa curiosité et s'il est retenu par la "difficulté" même. Le vrai problème est là, sans doute. Les images certes provoquent la curiosité, mais elles ne peuvent suffire parce qu'elles l'usent dans l'instant même : elles se chassent les unes les autres ; leur beauté n'est que d'un moment. Un livre est une pensée dans sa fièvre et sa durée et qui demeure là devant nous, une conversation toujours reprise, un combat qui vous est proposé, une curiosité toujours relancée, une recherche toujours recommencée. Un homme est là, "l?autre". Avec un vrai livre, tout commence toujours.

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