Un cas d'euthanasie consensuelle au XIXe siècle

Léon Daudet
Où on voit que dans certains cas, le jugement permettant l'euthanasie est facile à produire comme jugement de vérité.
Pasteur venait de découvrir le traitement de la rage, au milieu d'un grand brouhaha de dévots et d'incrédules, dont le tam-tam remplissait le milieu médical. Tillaux était nettement pastorien. Six paysans russes ayant été mordus à la figure et aux mains par un loup enragé, le gouvernement du tsar les expédia à Paris. On les mit en surveillance à l'Hôtel-Dieu. Pendant huit jours, Pasteur vint ponctuellement régler en personne les injections de son sérum, que faisait Tillaux à ces malheureux. Ce grand homme était d'une charmante simplicité et d'une parfaite bonhomie. Une petite gêne à peine perceptible, dans ses mouvements, indiquait à l'œil averti qu'il avait eu une attaque. Celle-ci n'avait fait d'ailleurs qu'aiguiser son génie. Nous nous rangions sur son passage avec une vénération véritable. Nous écoutions avidement ses moindres paroles, nous suivions chacun de ses regards, où transpirait une compréhension infinie.

Le neuvième jour, un des paysans, contractant ses mâchoires comme les branches d'un étau, entra en rage. On le transporta en hâte dans un pavillon d'isolement, mais ses cris traversaient les cloisons, et je n'oublierai jamais les visages épouvantés de ses compagnons condamnés au même sort, qui se bouchaient les oreilles de leurs gros doigts mâchurés par le fauve. À partir de là, chaque matin, le mal implacable s'abattit sur un nouveau Russe, si bien que les six y passèrent. Leurs clameurs désespérées, tantôt sourdes, tantôt suraiguës, se faisaient entendre jusqu'au parvis Notre-Dame. L'effroi régnait sur l'hôpital. Quand on pénétrait dans ces chambres de torture, on trouvait les infortunés disloqués comme des ceps, les yeux désorbités, l'écume aux lèvres, cramponnés aux barreaux de leur lit, ou se roulant sur le sol, des lambeaux de leurs draps entre les dents. Le moindre fil de lumière, le moindre reflet sur un gobelet, le moindre grincement de serrure, leur étaient insupportables. Pendant les répits, ils nous suppliaient, dans leur langue, de les achever, de mettre un terme à leur supplice. Après une consultation entre le pharmacien en chef, Tillaux et Pasteur, on s'y résolut. Le pharmacien prépara cinq pilules - le premier enragé étant mort enfin - qui furent administrées aux cinq autres, avec toute la discrétion d'usage en pareil cas. Quand le silence retomba, tel qu'un grand suaire, sur la maison des maux sans nombre, nous nous mîmes tous à pleurer d'horreur. Nous étions à bout de nerfs, anéantis. Je songeais, à part moi, que la médecine était une carrière bien sinistre.

On admira que Pasteur eût fait quand même ses injections, bien que les six cas fussent désespérés. Les adversaires de sa méthode avaient ainsi beau jeu d'attribuer l'échec à l'inefficacité du remède. Mais il était de ceux, très rares, qui préfèrent une bonne conscience à la gloire.

Autres articles associés à ce dossier

La liberté avant tout ?

Benoît Lemaire

J’ai lu dans votre journal du 3 juin dernier un article de Thérèse Nadeau-Lacour, de l’UQTR, sur l’euthanasie. Afin de préciser le déb

La mort de Vincent Humbert

Jacques Dufresne

Voir les articles du journal Le Monde sur la question d'une loi sur l'euthanasie et la mort de Vincent Humbert.

Contre l'inutile souffrance

Hector Berlioz

Passage tiré des Mémoires du compositeur français Hector Berlioz.

G.B. : Les médecins pourront laisser mourir de faim les malades en phase terminale

ZENIT

Réouverture du débat sur l'euthanasie Les médecins britanniques ont maintenant un plus grand pouvoir de décision. Les nouvelles directives de l

«Le respect de la dignité du mourant». Considérations éthiques sur l'euthanasie

Académie pour la vie (Église catholique)

C'est en déclarant la douleur "curable" (au sens médical) et en proposant comme un devoir de solidarité l'assistance envers celui qui sou

À lire également du même auteur

Wagner et nous
On peut dire que l'Allemagne a bénéficié de cette réaction de la jeunesse française [réaction spiritualiste contre le matérialisme et l'évolutionnisme] sous deux formes : le kantisme et le wagnérisme. Quelques-uns de mes amis, les plus intelligents, les plus laborieux, ÃÂ

Mettre du vin dans son eau
« L'usage excessif de l'alcool peut amener à la longue, dans un organisme prédisposé, des troubles graves, mais nullement comparables à ceux que causent, dans des organismes sains, l'absinthe ou la coco, par exemple. Chez la plupart des gens normaux, l'usage modéré de l'eau-de-v

Le journal intime de Benjamin Constant
« Pour comprendre cette singulière personnalité et ne pas juger trop sévèrement ses écarts, il est nécessaire de tenir compte de tout ce qui lui manqua. Pas de religion : et Dieu seul aurait pu être la vivante unité de celte existence. Pas de patrie : or la patrie aurait d

La recherche de l'euphorie
« L'euphorie est un état de bien-être intérieur, à la fois moral et physique, qui confine à la volupté amoureuse, en son point le plus aigu. Elle peut aller jusqu'aux larmes de joie, qui sont d'ailleurs sa seule sécrétion. Elle comporte tous les degrés, depuis la simple

Conseils aux débutants qui se proposent la carrière littéraire
* N’écris que si tu as quelque chose à dire. Il faut avoir trop à dire pour dire un peu.* Méfie-toi des cafés, des cénacles, des repas de ville, des salons, de l’Académie française et du journal intime à publier, ou non, après ta mort.* Je te conseille de ne




L'Agora - Textes récents