La République associée du Québec et sa constitution

Paul-Gérin Lajoie
Il fut un temps où le Parti libéral du Québec s’était fait le promoteur audacieux d’un nouveau statut constitutionnel pour le Québec allant de pair avec l’adoption d’une véritable constitution de l’État du Québec, approuvée par le peuple. Cette époque était celle où renvoyés dans l’opposition par la victoire surprise de l’Union nationale en 1966, ils eurent à repenser leur programme politique, pressés d’agir devant la montée d’une aile dissidente dirigée par René Lévesque. Porteur de l’élan réformateur qui s’était manifesté sous Jean Lesage et qui avait amorcé une vaste discussion publique sur le statut politique du Québec et la modernisation de sa démocratie, le parti ne voulait pas être en reste et demanda à un comité des affaires constitutionnelles dirigé par Paul Gérin-Lajoie de préparer un document de travail qui serait soumis au congrès annuel du parti, ce qui fut fait le 14 octobre 1967. Le document est original à plus d’un titre. Dans un premier temps, il envisage une réforme majeure de la constitution canadienne qui donnerait au Québec un statut particulier et des pouvoirs accrus au sein d’un Canada modernisé. Dans un deuxième temps, il préconise l’adoption d’une constitution de l’État du Québec qui serait autre chose qu’une simple codification du droit public québécois existant. Cette constitution prévoit en effet le remplacement de la charge de lieutenant-gouverneur par des institutions proprement québécoises, un nouveau parlement rénové, la création possible d’un conseil constitutionnel (ou cour constitutionnelle québécoise), l’établissement d’un système judiciaire complet relevant exclusivement de l’État du Québec, l’inscription possible des fondements d’une régionalisation municipale et administrative. En réalité, le rapport Paul Gérin-Lajoie envisageait, sans le dire nommément, que le Québec devînt une forme de République associée, au statut intermédiaire entre celui d’un simple État provincial canadien et celui d’un État souverain associé au Canada.

Bien que les propositions du rapport Gérin-Lajoie soient tombées dans l’oubli avec la sortie fracassante de René Lévesque qui quitta le parti après le congrès d’octobre 1967, elles conservent encore aujourd’hui une étonnante actualité. Elles montrent comment le parti libéral s’est replié par la suite dans une position autonomiste, en laissant tomber le projet d’une constitution québécoise. Or, il n’est pas si absurde de vouloir faire coïncider l’adoption d’une constitution québécoise et l’accession du Québec au statut de République associée ou fédérée. Le renvoi de la Cour suprême du Québec sur la sécession d’août 1998 a indiqué la marche à suivre : il lui faudra faire approuver son projet de constitution républicaine par référendum, à la suite de quoi, dans l’éventualité d’un oui majoritaire, le reste du pays sera juridiquement tenu de négocier avec le Québec sur la base des modifications de la constitution canadienne que contient le projet approuvé par la population québécoise. Idéalement, les parties de cette constitution du Québec qui ne requièrent pas d’être avalisées par une modification de la constitution canadienne devraient pouvoir entrer en vigueur aussitôt après le référendum et former en elles-mêmes un tout cohérent. L’ironie dans l’épisode du congrès de 1967 est que les futurs souverainistes et les libéraux autonomistes tenteront à tour de rôle de matérialiser leur grand projet politique, mais en vain. Ils auront tous cru pouvoir se dispenser de renforcer préalablement les assises de la liberté politique du peuple québécois.

Les extraits qui sont reproduits touchent principalement au projet de constitution interne du Québec.

Marc Chevrier
    Rapport du comité des affaires constitutionnelles de la commission politique de la Fédération libérale du Québec (extraits)

    Paul Gérin-Lajoie
    Président du comité des Affaires constitutionnelles
    Congrès annuel de la fédération libérale du Québec.
    Octobre 1967

    Comité des affaires constitutionnelles

    Résolution

    LE PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC, s’appuyant sur le rapport du Comité des Affaires constitutionnelles soumis au Congrès de la Fédération libérale du Québec, le 14 octobre 1967, affirme que :
    […]
    3.- il reconnaît que d’importants aspects de la vie nationale échappent encore à la collectivité canadienne-française et que la constitution canadienne a été, en pratique, la source de nombreuses injustices ;
    […]
    7.- la nouvelle constitution du Canada doit prévoir entre autres la création d’un véritable tribunal constitutionnel et une déclaration des droits collectifs des minorités et des majorités au Canada ;

    8.- le Québec doit élaborer et adopter une constitution interne qui soit sa loi fondamentale et qui prévoie notamment une déclaration des droits de l’homme, y compris les droits économiques et sociaux ;
    9.- le Comité parlementaire de la Constitution doit être immédiatement convoqué pour entreprendre sans délai :
    a) l’élaboration de la constitution interne du Québec ;
    b) la préparation de propositions précises du Québec sur la nouvelle constitution du Canada.

    LE PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC prend sollennellement (sic) les options de principe contenues dans cette résolution et il les propose d’ores et déjà au peuple québécois. Il est résolu à poursuivre l’étude des modalités selon lesquelles ces options peuvent être réalisées et il fera part à la population de ses conclusions au cours des prochains mois. Finalement, il s’engage, dès qu’il aura reçu la responsabilité du gouvernement, à consigner le tout dans les formes juridiques appropriées, et à le soumettre à l’approbation du peuple du Québec.
    Montréal, le 9 octobre 1967.

    […]
    III – La constitution interne du Québec

    53- Toute étude du problème constitutionnel canadien implique celle de la constitution interne du Québec. En 1867, la collectivité québécoise existait depuis longtemps ; c’est toutefois l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui a donné naissance à l’État du Québec et l’a doté des éléments essentiels à l’existence d’un État : un territoire défini, un parlement à lui, un gouvernement exécutif propre ainsi qu’un système judiciaire, quoiqu’on doive souligner que l’organisation judiciaire n’est pas entièrement dissociée du pouvoir fédéral. Bien sûr cet État possède une souveraineté restreinte à certaines catégories de domaines législatifs et administratifs ; il n’en reste pas moins que cette souveraineté dans les domaines de compétence provinciale a été reconnue par les plus hautes autorités judiciaires.
    54- Les institutions politiques du québec ainsi déterminées en 1867 n’ont toutefois pas évolué de façon à correspondre au développement des habitudes politiques et aux exigences nouvelles d’un État moderne. Elles reflètent encore moins les aspirations de la collectivité québécoise d’aujourd’hui.
    55- Où trouve-t-on les textes qui déterminent nos institutions politiques si ce n’est dans les lois et dans divers documents parlementaires d’Ottawa et de Londres tout autant que de Québec ? Comment justifier des textes constitutionnels qui reconnaissent au gouvernement d’Ottawa le pouvoir de désavouer, c’est-à-dire d’annuler des lois adoptées par le parlement du Québec ? À quoi correspond dans le Québec d’aujourd’hui un chef d’État désigné sous le nom de lieutenant-gouverneur, nommé par le gouvernement fédéral, et particulièrement responsable à celui-ci (droit de réserve) ? Qu’avons-vous à faire d’un protocole parlementaire hérité des siècles passés et qui est devenu tout à fait désuet ? Quel symbole offre-t-il à la fierté, à l’esprit de solidarité et aux aspirations collectives de la communauté québécoise ?
    56- Au point de vue strictement fonctionnel, les institutions politiques du Québec sont en outre dépourvues de toute adaptation à la réalité moderne : émiettement, éparpillement et impuissance des autorités démocratiques locales face à une centralisation absolue de l’autorité administrative provinciale ; assemblée parlementaire qui ne permet pas aux députés de donner leur pleine valeur et d’assumer leur double rôle de contrôle et de stimulant du pouvoir exécutif ; Conseil législatif qui est très souvent une Chambre de récompense politique et d’entrave à la mise en œuvre des volontés populaires démocratiquement exprimées.
    57- Il faut aussi mettre en doute le rôle que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique attribue au gouvernement central dans le système judiciaire du Québec : nous pensons particulièrement à la nomination des juges des tribunaux supérieurs et à la constitution du tribunal de dernière instance pour les causes de toute nature, y compris celles qui relèvent exclusivement du droit civil québécois.

    b) Une nouvelle constitution interne du Québec

    On peut difficilement mettre en doute la nécessité de réunir dans un document strictement québécois les règles fondamentales devant régir l’organisation et le fonctionnement de l’État du Québec. Nous avons besoin d’un document ordonné et clair ; un document suffisamment dépouillé qui formule les règles fondamentales, laissant à divers textes législatifs le soin de régir les modalités d’application ; un texte rédigé dans un langage courant et élégant, possédant le souffle nécessaire à un document qui doit constituer une inspiration pour un peuple et en particulier pour sa jeunesse.

    59 - La nouvelle constitution du Québec devra contenir une déclaration des droits de l’homme, garantissant aux individus leurs droits politiques, leurs droits civils, leurs libertés publiques et leurs libertés personnelles, leurs droits collectifs, leurs droits économiques et sociaux.

    60 - La nouvelle constitution du Québec devra remplacer nos institutions monarchiques désuètes par des institutions proprement québécoises émanant de la volonté du peuple québécois. La fonction de lieutenant-gouverneur devra donc être transformée en conséquence.

    61- La nouvelle constitution de l’État du Québec devra prévoir un organe législatif où la population de tout le Québec sera équitablement représentée. Ce parlement devra comporter les structures pour permettre aux députés, sans pour autant détruire le système de partis, de jouer un rôle actif et d’apporter une contribution individuelle particulièrement en instaurant un régime de comités ou de commissions parlementaires qui aient une activité suffisamment autonome des ministres.

    62- La nouvelle constitution devra-t-elle prévoir l’établissement d’un conseil économique et social consultatif ? d’une forme de conseil constitutionnel ? d’un genre de conseil d’État agissant comme tribunal administratif ? Ce sont autant de questions qui devront être explorées pour que les nouvelles structures de l’État fournissent à l’exécutif et au Pouvoir législatif une liaison constante avec les divers secteurs de la société et offrent au citoyen des mécanismes pratiques et suffisamment expéditifs de protection de ses droits face à l’État.

    63- L’établissement d’un système judiciaire complet relevant exclusivement de l’État du Québec devra évidemment être prévu par la nouvelle constitution. Cela implique l’adjudication finale des conflits de droit québécois par un tribunal et des juges relevant exclusivement de la constitution et de l’autorité du Québec.

    64- N’est-ce pas dans la constitution du Québec qu’il y aurait lieu d’inscrire les fondements d’une régionalisation municipale, administrative, économique et culturelle qui permette à l’économie du Québec de s’axer sur des pôles de développement qui soient des véritables centres de dynamisme et de vie collective régionale ? On ne saurait trop mettre en lumière que le développement d’un Québec fondamentalement de culture française dépend dans une très grande mesure de notre capacité collective à assurer l’existence et l’activité de tels pôles de développement à travers tout le Québec, en dehors de la région métropolitaine de Montréal.

    65- Montréal, pour sa part, est destinée à demeurer une grande ville cosmopolite de l’Amérique du Nord. Cela n’exclut pas qu’elle soit un foyer actif de rayonnement de la culture française. Mais ce foyer sera toujours d’un caractère plus universel pour ne pas dire plus polyvalent que ce que nous devons viser à créer dans le reste du Québec. Au surplus, ce n’est ni le texte d’une constitution, ni une politique de régionalisation qui assurera à la culture proprement française la place qui lui revient dans la métropole. L’action de l’État à ce sujet doit être différente de celle qui s’impose dans le reste du Québec, mais elle n’en représente pas moins un défi que les pouvoirs publics ont le devoir de relever avec autant de courage que de sagesse si l’on veut que Montréal, loin d’être le foyer d’américanisation culturelle du Québec tout entier, soit plutôt une source d’enrichissement tout autant culturel qu’économique pour le reste du territoire québécois.

    Conclusion
    Deux nouvelles constitutions, deux échéances

    Il résulte clairement de ce qui précède que le Québec exige une nouvelle constitution du Canada et une nouvelle constitution du Québec. Il fut une époque où un certain rapiéçage, voire quelques amendements particuliers, auraient pu répondre aux besoins. Mais les exigences du temps présent, aussi bien du point de vue du symbole national que du point de vue d’un fonctionnement efficace du gouvernement, requièrent des documents entièrement nouveaux – documents conçus chez nous, élaborés chez nous, adoptés chez nous, avec la sanction du peuple souverain.
    […]

    70- D’autre part, la tâche d’élaborer une nouvelle constitution interne du Québec appartient exclusivement au Québec. Même si cette nouvelle constitution doit exiger des modifications à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, son élaboration et son adoption ne peuvent être que la responsabilité immédiate du Parlement et du peuple du Québec.

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