L'Encyclopédie sur la mort


Rétablir la confiance à Montréal et ailleurs au Québec

André Normandeau

De: Normandeau André

Ce texte nous été transmis aux fins de publication par l'auteur

Date: dim. 10/14/2012 18:26

Objet : Final / "Rétablir la confiance à Montréal" / Et ... la police / Mini-conférence du criminologue André Normandeau au Colloque de Vision Montréal, le samedi 13 octobre 2012.

Colloque du 13 octobre 2012 de Vision Montréal / "Rétablir la confiance à Montréal" (et le rôle de la police).

Invités: 12 minutes chacun et période de questions et commentaires.

Jacques Duchesneau, député de Saint Jérôme,CAQ, ex-policier et directeur au Service de police de Montréal (SPVM).

André Normandeau, criminologue et professeur à l'Université de Montréal (U. de M.).

Guy Ouellette, député de Chomedey-Laval,PLQ, ex-policier et directeur adjoint à la Sûreté du Québec (SQ).

Rémy Trudel, animateur du Colloque, Parti Québécois, ex-député et ministre, professeur à l'École nationale d'administration publique (ENAP).

 

 

 

 

 

 

 

RÉTABLIR LA CONFIANCE À MONTRÉAL ... ET AILLEURS AU QUÉBEC / Et le rôle de la police.

par André Normandeau, criminologue et professeur à l'Université de Montréal.

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Le thème de notre panel tient à deux mots: "Rétablir" et "Confiance".

# 1. Rétablir suppose qu'on a perdu quelque chose, au moins en partie. Qu'on veut remettre une chose en son premier état, en parlant de ce qui était tombé, ruiné ou abandonné. Pour utiliser un langage près de ma profession de criminologue, rétablir, c'est restituer et réhabiliter: remettre une personne dans l'état où elle était avant un acte ou un jugement. C'est rétablir en rendant l'estime et le crédit perdu. C'est guérir, c'est retrouvé la santé. Dans notre cas, une certaine "santé municipale et ... sociale".

# 2. Par ailleurs, la confiance désigne une assurance motivée par la certitude que l'on a d'être servi et aidé par quelque chose ou quelqu'un. C'est le sentiment de sécurité d'une personne, d'un électeur (dans le contexte de notre panel). D'un citoyen qui se fie à quelque chose, à quelqu'un. L'expression le dit: "En toute confiance", veut dire: sans crainte d'être trompé. Une femme ou un homme de confiance: à qui l'on peut se fier. Quelqu'un qui est intègre, honnête. Une personne "probe": qui observe rigoureusement des principes de justice et de morale.

Dans la perspective du panel de ce matin, il me semble qu'il y a au moins deux interrogations principales:

# A. Première interrogation: a-t-on encore confiance aux élus, aux politiciens (au sens propre du terme), à Montréal et ailleurs au Québec, compte tenu en particulier des révélations des dernières années, grâce aux journalistes d'enquête, à la télévision et à la presse quotidienne et spécialisée, ainsi qu'aux premiers témoignages tout à fait récents devant la Commission Charbonneau, d'un certain Lino Zambito, par exemple ?

# B. Deuxième interrogation: doit-on demander et même exiger des services de police de s'immiscer systématiquement dans la vie politique et administrative des villes et des ministères. Que ce soit au niveau de l'administration gouvernementale fédérale et provinciale, ou des administrations municipales et scolaires ? Une implication policière par la constitution d'unités spécialisées en matière de crimes politiques et économiques: fraudes, collusion, corruption ?

# A. À la première interrogation sur la confiance envers les élus, envers les politiciens, la boutade récente du journaliste et animateur Stéphane Laporte est appropriée. Dans La Presse du 9 octobre 2012, dans son petit mot quotidien en page frontispice, il fait manifestement allusion au rappel de la viande contaminée et avariée par le E.coli. Et, avec l'image évidente  de la corruption de certains élus au Québec, à Montréal, Laval et Mascouche, entre autres, il écrit, avec son humour décapant et caustique, je le cite: "Même le boeuf est corrompu". Autrefois, l'on traitait les policiers traditionnels, tous des hommes grands et forts, on les traitait de "boeuf" (prononcez "beu"). Aujourd'hui, s'agirait-il des politiciens ? Sur cette question de confiance, peut-être est-ce utile de recourir à l'éclairage de quelques données qualitatives "et" quantitatives.

A1. Données qualitatives.

a). Il y a d'abord nos perceptions personnelles à partir de conversations avec des parents, des amis, des voisins, des collègues de travail. À ce niveau, c'est catastrophique. Ces gens nous disent presque tous que: "Les politiciens sont pourris". Pas tous. Mais plusieurs.

b). Même constat si l'on surfe sur les réseaux sociaux: Facebook, Twitter et autres.

c). Et que dire des journalistes à la radio, à la télévision, dans les médias écrits. Des chroniqueurs, des éditorialistes, des caricaturistes. Pour que le chroniqueur de La Presse, Yves Boisvert, un journaliste "modéré", s'il en est un, en vienne à écrire, le 28 septembre dernier (page A-7) ceci: "Après avoir présidé une administration corrompue jusqu'à la moelle, infiltrée par la mafia, Gérard Tremblay vient faire la leçon à la police ? Quelle blague". Et plus loin: "Déjà chanceux d'être encore un maire après tant d'incompétence et de laisser-faire, cet homme qui a déshonoré Montréal devrait surtout s'abstenir de donner des leçons, puisqu'il n'a pas la bonne idée de quitter son poste".

d). Il y a aussi, finalement, le "vox populi" du coin de la rue. Des journalistes qui arrêtent au hasard des passants, la femme et l'homme de la rue. Ce n'est pas nécessairement représentatif, mais le résultat fait mal: Madame et Monsieur tout le monde accusent eux aussi les politiciens de corruption, sans trop de nuances.

A2. Données quantitatives.

Les sondages d'opinion sont également dévastateurs envers les élus. Au cours des derniers jours, par exemple, trois sondages sérieux sur le sujet ont été rendus public, à savoir: # 1. Léger et Le Journal de Montréal (édition du 4 octobre 2012, page 4 et 5). # 2. CROP et La Presse (édition du 6 octobre 2012, page A-4 et A-5). # 3. CROP et Radio-Canada (journal télévisé du 9 octobre 2012). Que disent-ils ?

--- 67 % des sondés affirment que la corruption alléguée est érigée en un système bien établi à Montréal.

--- 73 % des Montréalais pensent que la corruption est autant présente dans les autres municipalités.

--- 62 % demandent la démission du maire Gérarl Tremblay.

--- Et la question qui tue. Dans la lutte contre la corruption à Montréal, est-ce que vous avez confiance envers:

--- De 9 à 27 % seulement envers les politiciens;

--- De 10 à 19 % envers les fonctionnaires et les dirigeants (ingénieurs, administrateurs) de Montréal.

--- Et un peu mieux: 51 % envers le Service de police de Montréal (SPVM).

Au sujet de ces sondages, ajoutons une perspective historique sur 40 ans et plus. Dans ma jeunesse professionnelle, en revenant des États-Unis où j'avais étudié et travaillé pendant cinq (5) ans, je me suis retrouvé dans les années 1970 au sein de la Commission Prévost, une commission d'enquête sur l'administration de la justice pénale (police, tribunal, prison) au Québec. Or, voici que lors d'un de nos sondages nous avions demandé à un échantillon représentatif de Québécois leur "degré de confiance" envers une cinquantaine (50) d'occupations et de professions. Tout compte fait, les professions de la santé (médecins, dentistes, infirmières) obtenaient un score de 90 %, suivies par les policiers à 75 %, les politiciens à 62 %, les journalistes à 61 %, les avocats à 54 %. On peut maintenant comparer avec un autre sondage tout à fait récent de Léger et Le Journal de Montréal du 2 octobre dernier (page 23), à partir d'une soizantaine (60) d'occupations et de professions. Les professions de la santé (autour de 90 % encore) ainsi que les policiers (70 %) conservent grosso modo la confiance du public. Les politiciens (ouf ! de 62 % à 11 %), les journalistes (de 61 % à 48 %) et les avocats (de 54 % à 39 %) ont, selon l'expression populaire, pris une "drop sociale". Dans le CROP de Radio-Canada du 9 octobre dernier, c'est 95 % envers les médecins, 80 % envers les policiers, 45 % envers les journalistes et ... 14 % envers les politiciens. Au delà de la piètre performance des élus dans l'opinion publique, il est intéressant de remarquer, aussi surprenant soit-il, que les policiers, eux, ont toujours une bonne cote de confiance, malgré quelques "bavures" hautement publicisées mais qui disparaissent  par la suite du radar de l'opinion, semble-t-il. La "très mauvaise conduite", très médiatisée ces derniers jours, de la policière "Matricule 728", Stéphanie Trudeau, ternira-t-elle cette belle image ?

Note personelle # 1 /

On accuse "tous" les politiciens trop facilement, il me semble.

Ceci dit, cette baisse dramatique d'appréciation des citoyens envers les élus doit elle-même être mise en contexte. D'un côté, une majorité écrasante des citoyens ne font plus confiance aux politiciens mais ce sont ces mêmes citoyens qui veulent, selon l'expression consacrée, "le beurre et l'argent du beurre". On veut toujours plus de services publics, mais on réclame la gratuité (frais de santé et d'éducation, par exemple) ou le moindre coût possible (les garderies à 7 $ par exemple). En retour, on veut payer le moins de taxes municipales et scolaires possible, le moins d'impôt fédéral et provincial également. C'est la quadrature du cercle. C'est un engrenage diabolique. Les politiciens promettent mer et monde, compte tenu des pressions des citoyens et de leurs associations. Compte tenu de la dette, plusieurs promesses ne sont pas tenues ou des services publics sont coupés ou amoindris. Tout le monde est insatisfait. L'on critique les politiciens pour tous les problèmes sociaux et économiques. Et les politiciens piquent du nez dans l'opinion publique. On est "entre le fer et l'enclume" ! Récemment (9 octobre 2012), au journal télévisé de Radio-Canada, quelques entrevues sur l'ingratitude du métier de politicien, autant au niveau municipal que provincial ou fédéral, nous soulignaient que les politiciens ne seront jamais vraiment appréciés de façon majoritaire, même quand le métier est fait de façon rigoureuse et honnête. Quelques politiciens en entrevue déclaraient alors, devant ce constat, que: "Il faut avoir la passion de son travail; l'amour de sa ville et de son pays; réaliser son travail au mieux de nos connaissances et de nos compétences; il y a souvent des décisions difficiles, à s'arracher le coeur; il faut le faire pour servir, pour être utile, en oubliant les sondages...". Voilà peut-être des clichés, mais, comme le dirait le fabuliste Jean de La Fontaine: "On ne peut pas plaire à tout le monde et à son père".

Note personnelle # 2

Évaluer un politicien ou ... un professeur d'université.

Il faut toujours bien faire les nuances appropriées avant de juger d'une occupation, d'une profession, que ce soit les politiciens ou ... les professeurs d'université. Ainsi, au sujet des professeurs, je me réfère à mon expérience personnelle à titre de Directeur du département de criminologie de l'Université de Montréal pendant plusieurs années. À l'époque, un questionnaire d'évaluation (par les étudiants) de l'enseignement des professeurs existait déjà, avec 25 questions sur le dynamisme du professeur, la clarté de ses exposés, la pertinence des examens. Or, j'avais constaté qu'il fallait justement bien calibrer mon jugement de la performance de tel ou tel professeur en tenant compte des difficultés d'enseignement de telle ou telle matière. Par exemple, un professeur de criminologie qui enseigne la psychologie du jeune délinquant ou l'organisation des services aux victimes d'actes criminels, obtient assez facilement, règle générale, à compétence égale, une cote de satisfaction de 75 % ou 80 %. Par ailleurs, le professeur qui enseigne en sciences humaines et sociales les statistiques et les méthodes de recherche n'obtient jamais de si bons résultats, toujours à compétence égale. En effet, en sociologie, en psychologie et en criminologie, l'étudiant préfère des sujets éminemment "humains" et "concrets". Ce qui signifie que le professeur de méthodes de recherche obtient en général une cote de satisfaction de 40 %  à 60 % seulement. Si ce professeur commence sa carrière avec une cote de 40 % mais qu'il la monte graduellement autour de 60 %, c'est probablement un "bon" professeur, à mon avis. C'est , sauf exception, le maximum atteignable et ... fort acceptable dans un tel cas de figure. Une leçon, peut-être, pour mieux apprécier et juger également le travail fort difficile et ingrat d'un député, d'un conseiller municipal, d'un commissaire scolaire.

# B. Deuxième interrogation

Je vous rappelle maintenant la seconde interrogation, au coeur de notre colloque de ce matin: Doit-on demander et même exiger des services de police de s'immiscer systématiquement dans la vie politique et administrative des villes et des ministères ? Que ce soit au niveau de l'administration gouvernementale fédérale et provinciale, des administrations municipales et scolaires ? Une implication policière par la constitution d'unités spécialisées en matière de crimes politiques et économiques: fraudes, collusion, corruption ? Vous serez probablement surpris, mais ma réponse est définitivement positive. C'est "OUI"... Il y a quelques années, j'aurais tout probablement répondu à cette question de façon négative. En effet, dans ma grande naïveté, même professionnelle, jamais je n'aurais pensé qu'un tel degré de collusion et de corruption pouvait exister aux différents paliers de gouvernement. Pourtant, j'aurais dû savoir. Différentes commissions d'enquète, des années 1970 aux années 2000, auraient dû m'allumer, que ce soit:

a) La Commission Prévost sur l'administration de la justice pénale (police, tribunal, prison) au Québec (1970).

b) La Commission Cliche sur l'industrie de la construction à la Baie James (1972-74).

c) La Commission d'enquête sur le crime organisé, dîte la CECO (1974-76).

d) La Commission Gomery sur la corruption de certains partis politiques fédéraux (2004-2006).

Toutefois, les événements et les révélations des dernières années, "avant" et maintenant "pendant" les premières étapes de la Commission Charbonneau (2012-2014) sur la collusion et la corruption dans l'industrie de la construction, dans certaines administrations publiques, et sur le financement illégal et souvent criminel de certains partis politiques, m'ont amené à réviser mon point de vue, comme citoyen et comme professionnel. Dorénavant, je suis persuadé que nous avons besoin, dans l'enceinte même des administrations publiques importantes (fédérale, provinciale, municipale et scolaire) de la présence active d'unités de "policiers-enquêteurs" spécialisés en matière de crimes politiques et économiques. Ce n'est pas la fin du monde, même si ce sera un changement drastique, en quelque sorte. Il ne faut pas se cacher le visage dans le sable. L'enquête policière "permanente" (je dis bien "permanente") sera dorénavant, à mon avis, une obligation au coeur de toute administration publique importante. Pour qu'elle soit efficace, il faudra:

# 1. Poursuivre énergiquement le travail actuel de l'Unité permanente (sic) anticorruption (UPAC), dont l'escouade "Marteau" est le bras armé.

# 2. Développer la compétence de policiers-enquêteurs en matière de crimes politiques et économiques par une formation de base et continue approfondie, en collaboration avec des unités d'enseignement comme l'École nationale de police du Québec (ENPQ), les départements de gestion (administration et comptabilité) des différentes universités, style Hautes études commerciales (HEC-Montréal), les départements d'ingénierie des différentes universités, style École polytechnique (POLY-Montréal), les départements de criminologie à Montréal et à Québec ...

# 3. D'ailleurs, à titre d'exemple, l'École de criminologie de l'Université de Montréal, d'où je suis issu (excusez la vantardise), développe depuis quelques années une spécialité en crimes économiques et en crime organisé.

# 4. De plus, une formation nouvelle interdisciplinaire en cybercriminalité et en cyberjustice est maintenant offerte grâce à une collaboration entre: HEC-Montréal, POLY-Montréal, l'École de criminologie, la Faculté de droit et le Département d'informatique et de recherche opérationnelle de l'Université de Montréal, ainsi que des spécialistes du secteur de la sécurité privée.

# 5. Les corporations et les associations d'ingénieurs, d'administrateurs publics et privés, de comptables agréés et ... autres professionnels, seront fortement sollicités pour collaborer à cet effort collectif sans commune mesure avec le passé.

# 6. Finalement, la nomination de conseillers à l'éthique, "avec des dents", devrait compléter ce tableau. D'ailleurs, c'est là une demande de plusieurs partis politiques municipaux, dont Vision Montréal. Une demande tout à fait louable et justifié.

Incidemment, pour ceux qui parmi vous pensez que cette unité de policiers-enquêteurs de haute qualité n'est pas réaliste, je vous signale que la Ville de New York a developpé récemment un système d'enquête de cette nature avec un grand succès. Si vous êtes intéressés, l'émission de télévision de Radio-Canada vendredi prochain le 19 octobre, "Une heure sur terre", avec Jean-François Lépine, portera précisément sur le modèle de New York pour éradiquer sérireusement la collusion et la corruption dans l'industrie de la construction, entre autres.

CONCLUSION

L'étymologie du terme "Police" est celui de "civilisation": du grec "politeia", du latin "politia, ordre général de la "cité" (polis, en grec). Une société "policée" est une société parvenue à un certain degré de civilisation. Nous avions perdu depuis quelques années notre vernis civilisé, en particulier au niveau de la "bonne gouvernance" des administrations publiques. La présence "permanente" d'une police civilisée et ... civile (les policiers-enquêteurs  travailleront en tenue de ville, sauf exceptions) sera le gage d'une administration publique de qualité: efficace, honnête, intègre !

"Et tout le reste n'est que littérature" (Paul Verlaine, poète français, 1844-1896).

Merci !

 

 

 

Date de création:2012-10-16 | Date de modification:2012-10-16

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