L'Encyclopédie sur la mort


Les défis de la police de Montréal, 2010-2015

André Normandeau

Cette note a servi d'aide-mémoire pour l'intervention d'André Normandeau à l'émission de télévision «24 heures» (RDI), Montréal*, Québec* (Canada*), le vendredi 27 août 2010. Il nous fait plaisir de remercier le Professeur Normandeau d'avoir bien voulu nous communiquer ces notes et de nous autoriser de les reproduire dans L'Encyclopédie sur la mort.
LA POLICE DE MONTRÉAL - DÉFIS 2010-2015 / DE QUELQUES SUGGESTIONS «UN PEU OSÉES» AU NOUVEAU DIRECTEUR DU SERVICE DE POLICE DE MONTRÉAL (SPVM) ET À LA COMMISSION DE SÉCURITÉ PUBLIQUE DE MONTRÉAL.

Le prochain directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), M. Marc Parent, entrera en fonction le lundi 13 septembre prochain. Les défis qui l'attendent, lui mais aussi les autorités politiques de la Ville de Montréal, dont le maire Gérald Tremblay et la Commission de sécurité publique, sont "immenses". Un budget de près de 600 millions est en jeu. C'est fort important ! Quels sont donc ces défis pour les cinq (5) prochaines années (2010-2015) ? À mon avis, les voici:

# 1 (A). La Ville de Montréal doit faire une «moitié de chemin», soit augmenter le nombre de policiers de 4500 à 5000, graduellement sur une période de cinq (5) ans, soit autour de 100 nouveaux policiers par année. La Fraternité des policiers de Montréal (le "Syndicat"), lors d'une conférence de presse récente, a souhaité, à juste titre, que les enquêtes en matière de crimes économiques* soient améliorées en quantité et en qualité. Le Syndicat a grandement raison à ce titre. En effet, les fraudes importantes des dernières années, à la Vincent Lacroix, à la Earl Jones, ainsi que, tout récemment, à la Carole Morinville, dont l'une des victimes* est l'actrice Karine Vanasse, ont fait des milliers de victimes et ont sensibilisé l'opinion publique à l'importance de ces fraudes pour des milliers d'investisseurs, petits et grands, à Montréal et au Québec. D'où viendra l'argent pour financer ce «défi-fraudes»? En partie, selon nous, d'une collaboration entre Montréal et le gouvernement du Québec (peut-être du Canada, également ?). Déjà, par le passé, le ministère de la Sécurité publique du Québec a défrayé en partie la création d'escouades mixtes spéciales dans le domaine du crime organisé, des bandes de motards criminalisés de style Hells Angels, ainsi que des gangs de rue. Il est temps de créer une nouvelle escouade «étoffée» en matière de crimes économiques, en y incluant par exemple les enquêtes sur les malversations bien connus depuis quelques temps dans l'industrie de la construction, qu'il y ait une commission d'enquête publique ou non en la matière. Il faudrait aussi voir du côté du personnel civil du SPVM où des experts civils en économie et finance sont également de plus en plus requis. Ceci dit, qu'il y ait 4 500 ou 5 000 policiers, le Syndicat demandera toujours plus de personnel, d'une conférence de presse à une autre, d'une convention collective à une autre. C'est de bonne guerre pour un syndicat, mais quand arrête-t-on? Le problème des effectifs est le même d'une profession ou d'une occupation à une autre. Il n'y a pas généralement de réponse précise à ce genre de demande. Seule une comparaison avec des professions ou des occupations similaires dans d'autres villes, d'autres provinces, d'autres pays ..., peut nous guider pour décider du nombre de policiers "idéal", du nombre d'infirmières, du nombre de médecins, du nombre de professeurs à l'élémentaire, au secondaire, au collégial, à l'université ...

# 1 (B). Une suggestion complémentaire à celle-ci pourrait être envisagée. Peut-être même une alternative ? En effet, les enquêtes sur la criminalité économique exigent une diversité d'approches, d'expérience et d'expertise, qui dépasse l'enquête policière classique. Pourquoi ne pas créer une «agence mixte spéciale d'enquête permanente!» qui réunirait pour la première fois:

a) Les policiers spécialisés en la matière provenant à la fois du Service de police de Montréal, de la Sûreté du Québec et de la Gendarmerie royale du Canada;
b) Les enquêteurs civils appropriés de ces trois services de police;
c) Les enquêteurs civils de l'Autorité des marchés financiers (AMF);
d) Les enquêteurs civils de l'Association des banquiers canadiens (ABC);
e) Les spécialistes en la matière parmi les grands bureaux de comptables, d'économistes et de conseillers financiers;
f) Les spécialistes en la matière des ministères des Finances, du Revenu (impôt), de la Justice et de la Sécurité publique des gouvernements du Québec et du Canada ?

# 2. Le Syndicat des policiers de Montréal doit également faire l'autre «moitié de chemin». Les policiers doivent travailler «plus et mieux». Et ils en sont capables car plusieurs policiers sont hautement motivés par leur travail. Pour cela, il faut arrêter de diminuer le nombre d'heures de travail des policiers d'une convention collective à l'autre. Une nouvelle convention collective est d'ailleurs en chantier dès cet automne. Elle devrait, à mon avis, prévoir une augmentation graduelle sur cinq (5) ans des heures de travail de 33 heures (actuellement) à 40 heures. Le Syndicat a beaucoup reçu depuis 40 ans en termes de conditions de travail, soit depuis l'émeute de 1969, dite de la Murray Hill, où la Ville, représentée par le maire Jean Drapeau et son bras droit Lucien Saulnier, a accédé à presque toutes les demandes du Syndicat, en pleine nuit et en plein désordre. Une partie des demandes était alors justifiée car les conditions de travail, y inclus les salaires, étaient inappropriées et favorisaient la corruption policière. Mais la situation a bien changé. Du derniers tiers des salariés en termes de rémunération salariale, les policiers de Montréal (et d'ailleurs au Québec) sont maintenant dans le premier tiers. Un jeune policier de 25 ans reçoit actuellement un salaire de 70 000 $ par année pour ces 33 heures. Plus le temps supplémentaire qui intervient assez souvent. Les avantages sociaux (leur assurance-santé complémentaire, par exemple), sont également fort généreux. En retour, le Syndicat doit faire également «sa part», en demandant à ses membres de travailler un peu plus. Le Syndicat s'est battu depuis tant d'années pour faire reconnaître le métier de policier comme une «profession». Il faut donc travailler comme des «professionnels». Je ne connais pas de professionnels «véritables» qui travaillent seulement 33 heures par semaine, comme les policiers actuellement. Un «vrai» professionnel travaille au moins 40 heures, sinon 45, 50 ou plus. Évidemment, je reconnais que plusieurs cadres intermédiaires et supérieurs du SPVM travaillent plus de 33 heures, sans être toujours payés pour ce temps. Comme les cadres de d'autres services publics et privés.

# 3. Le Syndicat se plaint que les policiers sont devenus trop souvent des «donneurs de billets de circulation et de stationnement». L'on pourrait donc remplacer ces policiers payés autour de 70 000 $ par des «agents civils», responsables de faire respecter les règlements municipaux, y compris la circulation et le stationnement. Il y en a déjà. On compléterait. Ces agents seraient payés autour de 35 000 $. Plusieurs jeunes seraient sûrement intéressés à ce genre d'emploi. L'on devait probablement réviser la loi sur les pouvoirs de la police en la matière, en conséquence.

# 4. La retraite des policiers de Montréal (et d'ailleurs), après 25 ans de service, est une «aberration». La plupart des policiers en profitent donc pour se retirer autour de 45 à 50 ans, avec pleine pension, sans pénalité, et avec une indexation annuelle automatique au coût de la vie. Pourquoi eux et non les autres citoyens qui doivent attendre en général leurs 60 ou 65 ans ? À mon avis, l'âge de la retraite des policiers doit être reporté également à 60 ou 65 ans, comme la plupart des citoyens. Nous avons besoin de «l'expérience» ainsi que de «l'expertise» de plusieurs policiers de 50 ans. Pourquoi la société s'en priverait-elle. après avoir fort bien traité ses policiers ? Le système actuel est catastrophique pour la société montréalaise (et québécoise). Soyons réalistes ! Partout en Amérique du Nord et en Europe, l'on songe, si ce n'est déjà fait, à relever l'âge de la retraite légale, compte tenu du vieillissement de la population et des coûts engendrés. Plusieurs pays ont récemment relevé cet âge de 60 à 62 ans (projet de loi en France cet automne), de 60 à 65 en Grèce, de 65 à 67 en Allemagne et en Espagne, de 65 à 68 au Royaume Uni. Donc ...

4 A). Si certains policiers sont trop «fatigués», ils pourraient alors être ré-affectés à des emplois gouvernementaux (au niveau municipal ou provincial) où leurs services seraient les bienvenus puisque nous en manquons cruellement, à savoir: inspecteurs pour le protection de l'environnement (pollution de l'air, de l'eau ...), pour faire respecter les règlements de l'industrie de la construction, les directives de la loi électorale du Québec, ou en matière de réglementation des transports publics et privés, par exemple ?

4 B). J'ai déjà pensé que ma réaction au sujet de l'âge de la retraite des policiers relevait d'une «jalousie professionnelle». Après réflexion, je considère maintenant qu'il s'agit plutôt de justice sociale. Alors que les ressources publiques sont relativement restreintes, pourquoi une société devrait-t-elle payer des fonds de pension à des gens de 50 ans, pendant possiblement 25 ou 30 années, pour permettre aux policiers de jouer au golf et / ou de travailler avec un deuxième salaire complet en sécurité privée, par exemple ?

# 5. Nous avons appris cet été que le directeur actuel du SPVM (jusqu'au 13 septembre), Yvan Delorme, recevra une prime de départ de 203 000 $. Compte tenu des abus de ce genre de prime que l'on constate depuis quelques années au départ de plusieurs professionnels, au niveau public comme au niveau privé, il me semble qu'une telle politique ne doit plus être renouvelée au SPVM, comme ailleurs. Il faudra surveiller le contrat qui sera proposé ces jours-ci au nouveau directeur du SPVM, M. Marc Parent. Ces professionnels reçoivent à leur départ un excellent régime de retraite. Assez, c'est assez ! De nouveau, ce n'est pas de la jalousie professionnelle qui me guide, il me semble, mais un sentiment de justice sociale. Je n'en veux pas personnellement aux Delorme et Parent ou à tous les autres qui ont reçu de telles primes de départ par le passé, au SPVM comme ailleurs dans les autres services publics et privés, y compris aux hommes et aux femmes politiques. Mais, c'est le système qu'il faut changer pour ne pas reproduire de tels abus à l'avenir, dans la police comme ailleurs. Commençons par le SPVM, 2010-2015 !

«Et tout le reste n'est que littérature !»(Paul Verlaine*, poète français, 1844-1896).

En foi de quoi, je signe

André Normandeau,
Criminologue et «citoyen-contribuable»,
Université de Montréal.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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