L'Encyclopédie sur la mort


La Psychanalyse des cimetières

Marc-Alain Descamps

Les premières sépultures remontent à 100.000 ans avant notre ère, les plus anciennes sont sans doute à Qafzeh en Israel . Tous les cimetières sont des adoucissements destinés à faire croire que l’on y dort (koimétérion est un terme grec qui signifie « le dortoir » ou comme l’on disait autrefois « le dormitoire »). La sépulture est le signe manifeste que les cérémonies obligatoires ont été respectées pour éviter que des âmes non-réincarnées deviennent des « âmes errantes », car les morts sans sépulture reviennent hanter les vivants. Le lieu de mémoire doit donc être un lieu d’éternité. Les rites indispensables sont là pour assurer le repos de tous, des vivants autant que des morts. Ces derniers ne sont autorisés à revenir qu’à la période prescrite et favorable, le jour des morts. Alors le « jardin du souvenir » a bien rempli son rôle.
Un cimetière est un fantasme à l'état pur. Symbole de l'absence, il est le lieu de l'émulation du désir. Le désir en est pétrifié, car il est littéralement mis dans la pierre, celle du tombeau, de la crypte, de la statue ou du monument. Par là il est extériorisé et fixé à jamais. Ce désir d'un instant est devenu un désir d'éternité. Il se crée lui-même dans sa clameur muette.

Qu'est-ce qu'un cimetière ? Le cimetière est la ville des morts installée par les vivants, donc le lieu de rencontre des vivants et des morts. Et l'on est vite passé du petit cimetière où l'on dort aux vastes nécropoles des métropoles.

Dans le cimetière ce sont d'énormes pulsions collectives qui sont enterrées. Ce qui explique la violence des passions lors qu'il est question de «toucher à nos morts». Les attitudes collectives, les croyances ancestrales, l'histoire nationale et les luttes sociales se lisent dans la situation des cimetières.

[...]

Au point de vue du discours de la mort, on notera la diminution de l'épitaphe, le glissement progressif du «Ci-gît X» à «Ici repose», corrélatif du passage du gésir passif ou dormir vital. D'ailleurs, à parler vrai, nous n'enterrons plus nos morts (puisqu’ils ne sont plus mis directement dans la terre). On les inhume, le cadavre, devenu «la dépouille mortelle», est enfermé à triple tour (dans un cercueil, mis dans un caveau, enclos dans un tombeau). Plus personne n'engraisse le sol des cimetières. On a pu opposer au Mort-Elu (corps prospectif, en transit, tourné vers l'avenir, promis à la résurrection), le Mort-Souvenu (corps rétrospectif, tourné vers le passé et promis à la totale décomposition ). Après le passage de la «tentation du néant» (Ariès) ou l'invention de la mort matérialiste, il ne reste comme la survie que la mémoire des survivants. L'écriture devient donc commémorative et votive «À la mémoire de X». La mort matérialiste est l'idée que plus rien ne subsiste après la mort, le principe de conscience disparaissant avec la décomposition du corps de chair.

Un troisième type de mort se prépare, les problèmes écologiques et économiques font que l'Occident rejoint de plus en plus l'Orient, dans la réduction de la dépouille mortelle par la crémation* (70% d'augmentation depuis la levée de l'interdiction du Vatican en 1964). Mais le cimetière n'en disparaît pour autant : il se transforme en columbarium, comme le cercueil devient urne. La purification par le feu remplacera la résorption dans la terre. Au Père Lachaise, le colombarium a 26.500 cases avec environ 4.500 incinérations par an.

Texte intégral:
Marc-Alain Descamps, «La psychanalyse des cimetières»
http://www.europsy.org/marc-alain/mort3cimetieres.html
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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