L'Encyclopédie sur la mort


De l'approche biomédicale à l'art du soin (Extrait)

Jocelyne Saint-Arnaud

S'il existe un sentiment universel, ce pourrait être celui de la peur de la souffrance précédant la mort. Ce sentiment n'est pas sans fondement. Des résultats d'études empiriques le montrent: le soulagement de la douleur est inadéquat particulièrement chez les personnes en fin de vie et chez les enfants. Le présent article met l'accent sur l'importance d'une approche globale dans le soulagement de la douleur totale et de la souffrance. La «bonne mort », qui y est proposée, est une mort accompagnée de "bons soins". L'art de bien mourir est étroitement lié à l'«art du soin».
La bonne mort fait référence à des bons soins, plus qu'à la possibilité d'euthanasie*et de suicide assisté *qui relèvent du domaine de la technique. Il est intéressant de considérer que les soignants qui se centrent sur la technique et la solution immédiate auront plus facilement recours à l'euthanasie plutôt que d'entreprendre un accompagnement qui est très exigeant et qui les place devant l'angoisse de leur propre mort. Isabelle Marin (2003), médecin français de soins palliatifs, décrit l'euthanasie hospitalière comme celle qui est demandée par les médecins, les soignants ou la famille lorsque la mort est trop souffrante, trop lente à venir et que l,agonie se prolonge. À l'opposé de celle qui est revendiquée dans les débats médiatisés, cette euthanasie quotidienne est effectuée sans demande ou consultation de la part du malade, pour régler une situation difficile, de manière efficace et le plus vite possible. Une mort instantanée, dirait Marie de Hennezel (1996). Se basant sur la théorie du don de Mauss, Isabelle Marin (2003) explique que le médecin donne un traitement en réponse au patient qui donne son corps, à examiner, ausculter, biopsier... Elle considère que l'euthanasie hospitalière partage avec l'obstination déraisonnable ou ce que nous appelons acharnement thérapeutique, la même motivation: donner un traitement, même futile, même létal, quand il n'y a plus rien à offrir au point de vue thérapeutique. Selon nous, c'est la solution facile à un soulagement inadéquat de la douleur et à un manque de communication.

Pour le médecin Bernard Senet (2003) qui pratique des euthanasies, il y a deux catégories de personnes qui la demandent: 1) celles qui sont incapables d'accepter la dégradation précédant la mort et 2) celles qui ne reconnaissent d'autorité sur leur corps que la leur. Il accepte de pratiquer des euthanasies sur des personnes qu'il connaît de longue date et qui se classent dans l'une de ces catégories. Mais elles ne constituent, selon lui, que 10 à 12 % de celles qui font des demandes, alors que la très grande majorité des demandes proviennent de personnes qui sont mal accompagnées ou dont les douleurs ne sont pas soulagées. Cette évaluation trouve une confirmation logique, sinon empirique, dans les conditions d'accès à l'euthanasie ou au suicide assisté dans les pays qui ont institutionnalisé cette pratique. (Chao, Chan et Chan, 2001)

Les bons soins apparaissent comme la solution à cette souffrance des personnes qu'elles soient en fin de vie ou non. Ils impliquent des qualités morales d'empathie, d'ouverture à l'autre, de présence vraie. Cela inclut aussi un rapport égalitaire à l'autre. Les bénéficiaires apprécient un soignant empathique, qui peut sourire, peut leur parler de tout et de rien, comme dans la vie, et qui les traite comme une personne à part entière et non comme un malade. Pour faire comprendre cette attitude qui est l'envers de la relation fondée sur l'expertise professionnelle, un médecin fait le témoignage suivant: « Le dernier jour que je le vis à la salle d'urgence, il me regardait avec des yeux errants et cherchait son souffle. Je me suis penché sur lui et lui ai tiré les cheveux. Il me regarda et dit: «comment est votre nouvelle maison*?», je lui répondis: «je n'ai pas encore emménagé». Et il me dit: «soyez sûr de décorer joliment», C'était un échange très personnel. Il était en train de mourir, et sa dernière interaction avec moi, était une interaction de personne à personne et non d'un malade à son médecin.» (Traduction libre: Steinhauser et al., p. 829)

Pour les soignants, et engagement à accompagner celui qui meurt demande du courage et de l'humilité. Humilité parce que l'accompagnement du mourant oblige à reconnaître les limites de l'intervention curative. Courage, par ce qu'il implique une présence craie, l'envers de la fuite, la volonté d'affronter leur propre angoisse et de la transformer en ouverture à autrui. (de Hennezel, 1996) Il s'agit pour eux de compter sur leurs ressources intérieures pour ajouter une dimension humaine aux soins. Par rapport à l'approche scientifique qui est de l'ordre des moyens, cette approche relève de l'art du soin. C'est une expérience qui change les acteurs, qui incite les soignants à réfléchir à leurs valeurs et à se centrer sur l'essentiel (de Hennezel, 1996), le bien-être du bénéficiaire qui [...] est indissociable du bien-être du soignant.

Loin de préconiser qu'une intervention de santé basée sur des connaissances et des techniques scientifiquement éprouvées fasse place à une approche humaniste du soin, nous croyons plutôt que science et art de soin doivent s'unir dans une intervention globale dans laquelle la personne atteinte de douleur est considérée comme un partenaire du soin et comme une personne morale, c'est-à-dire digne de respect. Cela s'applique tant au soulagement de la douleur aiguë que chronique, quels que soient les circonstances et le stade de la vie humaine et la discipline en cause. Il s'agit là d'un défi important à relever pour les professionnels de la santé, puisque le développement des connaissances et des techniques relève de la spécialisation. Cependant l'intégration de la visée éthique* à la pratique des soins leur permet de ne pas perdre de vue la finalité de toute la discipline de la santé qui est le bien-être du bénéficiaire de soin.

Notes
CHAO, D. V. K., N. Y. CHAN et W. Y.CHAN, (2001) «Euthanasia Revisited» dans Family Practice, 19(2), p. 128-134.
DE HENNEZEL, M. (1996).«Sens et valeur qui précède la mort» dans La fin de la vie, qui en décide?, Forum Diderot, Paris, PUF, p. 19-28.
MARIN, I., (2003). «Un don paradoxal?» dans S. AURENCHE, (dir.), La mort devant soi. Euthanasie, des clés pour un débat, Paris, Les Éditions Autrement, p. 81-91.
SENET, B, (2003) «Briser la loi du silence. Propos recueillis par S. Aurenche dans S. AURENCHE (dir.), La mort devant soi. Euthanasie, des clés pour un débat, Paris, Les Éditions Autrement, p. 73-80.
STEINHAUSER, K. E., et al. (2000), «In search of a good death: Observations of patients, families and providers» dans Annals of Internal Medecine, 132 (10) p. 825-832.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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