L'Encyclopédie sur la mort


Antigone et le devoir de sépulture

Dans ce qui nous est parvenu du théâtre grec, trois pièces semblent rapporter l'interdit, promulgué par Créon, de procéder aux funérailles de Polynice, interdit qui entraîne le refus d'obéir d'Antigone*: l'Antogone de Sophocle (versus 441 av. J.-C.), Les sept contre Thèbes d'Eschyle(467 av. J.-C.) et les Phéniciennes d'Euripide (411 av. J.-C.). À ces trois pièces qui nous sont parvenues intégralement, il faudrait ajouter quelques allusions ou citations fragmentaires de pièces perdues, notamment une Antigone d'Euripide (selon P. Borgeaud, «D'Antigone à Érigone» dans M. Gilbert (dir.) Antigone et le devoir de sépulture, Genève, Labor et Fides, «Actes et recherches», 2005, p. 44-45.
CRÉON
Mais, pour son frère, pour Polynice, dont voici le corps, il sera jeté hors de nos murailles, sans sépulture, en proie aux chiens, puisqu'il eut été le dévastateur du pays cadméen, si un dieu ne s'était pas dressé devant sa lance, à celui-là! Même mort, gardera sa souillure à l'égard des dieux de nos pères, ces dieux qu'il a outragés en lançant une armée étrangère à la conquête de sa ville. On juge donc qu'il doit être enseveli par les seuls oiseaux de l'air pour en payer l'ignominieuse peine, que nul bras ne saurait l'accompagner pour répandre sur lui la terre, ni aucune lamentation l'honorer de ses chants aigus, mais qu'il se doit voir, au contraire, ignominieusement privé du cortège de ses proches.

ANTIGONE
Et je déclare, moi, aux chefs des Cadméens: si personne ne veut aider à l'ensevelir, c'est moi qui l'ensevelirai [...] Des funérailles, un tombeau, toute femme que je suis, je saurai lui en trouver, dussé-je les lui apporter dans le pli de ma robe de lin et seule recouvrir son corps.

(Eschyle, Les sept contre Thèbes, 1026-1040, trad. de PaulMazon, Paris, Les Belles Lettres, «Universités de France», 1931)

CRÉON
L'homme que l'on prendrait à mettre sur lui des feuillages, à le couvrir de terre, le paierait de sa vie.
ANTIGONE
C'est moi qui l'ensevelirai, même si la cité l'interdit.

ANTIGONE
Permets-moi seulement de le laver selon le rite...
CRÉON
C'est un des actes interdits à tous les citoyens.
ANTIGONE
De bander ses cruelles blessures...
CRÉON
Il n'est aucun honneur que tu puisse lui rendre.
ANTIGONE
Frère chéri, je baiserai du moins ta bouche.

(Euripide, Les Phéniciennes, traduction de Marie Delcourt dans Tragédies grecques, Paris, Gallimard , «Bibliothèque de la Pléiade, 1962).

CRÉON
Toi qui inclines ton front vers la terre, déclares-tu avoir fait cette action ou le nies-tu?
ANTIGONE
Je déclare l'avoir fait et ne le nie point.
CRÉON
[...] Mais toi, réponds sans détours en peu de mots. Connaissais-tu la défense que j'avais fait publier.
ANTIGONE
Je la connaissais. Comment ne pas la connaître? Elle était publique.
CRÉON
Et pourtant tu as osé transgresser cette loi?
ANTIGONE
Ce n'était ni Zeus ni la Justice, compagne des dieux infernaux, qui avaient publié une pareille loi. Et je ne pensais pas que les décrets eussent assez de force pour que les lois non écrites, mais immuables, émanées des dieux, dussent céder à un mortel. Car elles ne sont ni d'aujourd'hui, ni d'hier; elles sont éternelles et personne ne sait quand elles ont pris naissance. [...] Aussi le sort qui m'attend ne me cause aucune peine. Au contraire, si j'avais laissé sans sépulture celui qui connut les mêmes parents que moi, grande serait mon affliction. Ce que j'ai fait ne m'en cause aucune. Si donc ma conduite te paraît insensée, peut-être est-ce un fou qui me taxe de folie.

(Sophocle, Antigone, traduction de J. Bousquet et M. Vacquelin (1897), Paris, Librio, «Théâtre», 2005)

CRÉON
Pourquoi as-tu tenté d'enterrer ton frère?
ANTIGONE
Je le devais.
CRÉON
Je l'avais interdit.
ANTIGONE
Je le devais tout de même. Ceux qu'on n'enterre pas errent éternellement sans jamais trouver de repos. Si mon frère vivant était rentré harassé d'une longue chasse, je lui aurais enlevé ses chaussures, je lui aurais fait à manger, je lui aurais préparé son lit... Polynice aujourd'hui a achevé sa chasse. Il rentre à la maison où mon père et ma mère, et Etéocle aussi, l'attendent. Il a droit au repos.

(Jean Anouilh, Antigone, Paris, La Table Ronde, 1947)

Autres Antigones
Bertolt Brecht, Antigone, adaptation de la traduction allemande faite par Hölderlin de l'Antigone de Sophocle, traduction de l'allemand par Maurice Regnault, L'Arche, 2000.

Henri Bauchau, Antigone, Actes Sud, 1997.

Jean Cocteau, Antigone, Paris, Gallimard, 1948 (1922).
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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