Symbole

«Une extrême confusion, notait Gilbert Durand en 1964, a toujours régné dans l'emploi des termes relatifs à l'imaginaire. Image, signe, allégorie, symbole, emblème, parabole, mythe, figure, icône, idole sont utilisés indifféremment l'un pour l'autre par la plupart des auteurs»1 Dans quelle mesure la confusion a-t-elle été dissipée depuis?

Les définitions proposées par Gilbert Durand demeurent un excellent point de départ pour ceux qui veulent échapper à la confusion. Il distingue d'abord deux grands types de connaissance, la connaissance directe, «où la chose elle-même semble présente à l'esprit, comme dans la perception ou la simple sensation» et la connaissance indirecte, «lorsque la connaissance ne peut se présenter en chair et en os à la sensibilité.»2

Signe est le terme générique pour désigner la connaissance indirecte. Dans le monde des signes, il y a à un extrême le signal, un feu rouge par exemple, qui renvoie automatiquement à une chose ou un concept; au milieu, il y a le signe proprement dit, «purement indicatif, qui renvoie à une réalité sinon présente du moins toujours présentable» et à l'autre extrême, le symbole, qui renvoie à une réalité non représentable, invisible, métaphysique. Il n'y a pas d'inconvénient à choisir un signal ou un signe arbitrairement, tandis que, comme nous le rappelle A. Lalande par la définition qu'il en donne, le symbole doit avoir un rapport naturel avec la chose invisible dont il est le témoin: «le symbole est un signe concret évoquant, par un rapport naturel, quelque chose d'absent ou d'impossible à percevoir.»3

Il faut aussi distinguer le symbole de l'allégorie. Souvenons-nous de l'allégorie de la caverne: une idée abstraite, la libération de l'intelligence est représentée par une série de signes: le prisonnier au fond de la caverne, la chaîne qu'il a au cou, le feu derrière lui, etc. Un oiseau volant vers la lumière pourrait être le symbole d'une idée encore plus élevée et mystérieuse de la même liberté. «L'allégorie part d’une idée abstraite pour aboutir à une figure, alors que le symbole est d’abord et de soi une figure, et comme telle, source, entre autres choses, d’idées. »4 «La différence, précise Fr. Creuzer, entre une représentation symbolique et une représentation allégorique réside dans le fait que la dernière rend uniquement une notion générale, ou une idée qui est différente d’elle-même, tandis que la première est l’idée elle-même, rendue sensible, incarnée.»5

«Le symbole, ajoute Gilbert Durand, est comme l’allégorie, reconduction du sensible, du figuré au signifié, mais en plus il est par la nature même du signifié inaccessible, épiphanie, c’est-à-dire, apparition de l’indicible, par et dans le signifiant.»6 L’icône dans l’art religieux byzantin est l’exemple parfait du symbole.

Pour Carl Jung, «le symbole est la meilleure figure possible d’une chose relativement inconnue que l’on ne saurait donc tout d’abord désigner d’une façon plus claire ou plus caractéristique.» 7

1-Gilbert Durand, L’imagination symbolique, Paris, Presses universitaires de France, 1964, p. 3.
2- Ibid., p. 4
3- A. Lalande, Vocabulaire critique et technique de la philosophie, article symbole, sens no 2.
4- P. Godet, Sujet et symbole dans les arts plastiques, in Signe et Symbole, p. 125.
5-Symbolik und Mythologie der altern Volker, I, p.70.
6- Gilbert Durand, op. cit., p. 7
7- C. G. Jung, Psychologische Typen, p. 642.
 

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«Symbole vient du grec symbolon, terme qui désigne un morceau de terre cuite qui était partagé en deux et dont chaque morceau était conservé par deux familles vivant dans des lieux séparés: quand un membre d'une famille devait être reçu chez l'autre, il lui était possible d'exhiber le morceau manquant du symbolon et de le recoller à l'autre, en montrant par là qu'il s'agissait bien d'un membre de la famille alliée. On héritait du symbolon que l'on se transmettait à travers les générations.»
Jean Lassègue, Qu'est-ce qu'un symbole?

«Le symbole est un signe: il permet le passage du visible à l'invisible. Le signe est un acte ou un geste du composé humain formé de deux valeurs, charnelle et spirituelle, indissolublement liées entre elles mais de qualités différentes, l'une étant supérieure à l'autre en perfection.»
Christian Vanden Berghen, Symbole, symbolique et symbolisme

«Ce que nous appelons symbole est un terme, un nom ou une image qui, même lorsqu'ils nous sont familiers dans la vie quotidienne, possèdent néanmoins des implications, qui s'ajoutent à leur signification conventionnelle et évidente. Le symbole implique quelque chose de vague, d'inconnu, ou de caché pour nous.»
C. G. Jung L'homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964, p. 20.

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Foi

«La foi est une ferme assurance des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas.»Saint Paul, Épitre aux Hébreux, chapitre 11.

Essentiel

Dans La perte des sens, Illich note aussi «que le statut polémique de l'image est un trait distinctif de l'histoire occidentale et que tout récemment encore la dissension sur la nature des images était vécue comme une question éthique.»

Le choix des choses bonnes à voir a été au coeur de l'éthique au même titre que le choix des choses bonnes à dire et à entendre. D'où la guerre iconoclaste. Comment ne pas voir dans la tolérance actuelle à l'égard des images le signe de l'atrophie en nous de cette imagination (ou de cet imaginaire) qui tantôt crée les images, tantôt les transforme en nourriture?

Enjeux

Guerre iconoclaste

Le film de Mel Gibson The Passion of The Christ suscite en ce moment – fin février 2004 – un débat qui prend tout son sens quand on l’interprète à la lumière de la guerre iconoclaste qui a déchiré la chrétienté pendant plus d’un siècle, de 730 à 842. Cette guerre fut l’une des principales causes du schisme entre l’Église d’Orient et celle de Rome. Voici le récit qu’on en donne dans une vénérable histoire de l’Église:

« C'est en l'année 726, dit un chroniqueur byzantin de cette époque, Théophane le Confesseur, que l'empereur Léon l'impie, commença à faire un discours sur le renversement des saintes et vénérables images. » Léon III l'Isaurien, arrivé au pouvoir en 716, au milieu d'une période de véritable anarchie, venait de se révéler comme un homme d'Etat de premier ordre. Il peut être regardé comme le réorganisateur de l'empire byzantin. En proscrivant le culte des images, subit-il l'influence du contact avec l'islamisme et le judaïsme ? Ne fit-il qu'obéir à une tendance schismatique personnelle, puisée dès son enfance au milieu de cette terrible secte des pauliciens qui, issue du manichéisme et apparentée avec le marcionisme, avait terrorisé au début du VIe siècle la Syrie, l'Arménie et la Mésopotamie, incendiant les églises et détruisant les icônes sacrées? Avait-il simplement l'ambition d'étendre aux choses du sanctuaire la réforme qu'il était fier d'avoir réalisée dans l'ordre militaire, administratif et social? A coup sûr, il ne prévit pas les conséquences de cette querelle iconoclaste, qui devait être l'occasion de la rupture définitive de Constantinople avec Rome et de l'alliance du Saint-Siège avec les Francs.

Le pape Grégoire II, qui, par son gouvernement ferme autant que paternel, s'était acquis la reconnaissance sympathique des populations de l'Italie, avait entretenu jusque-là des relations d'amitié avec l'empereur de Constantinople, comme avec le roi des Lombards. Mais, à la réception de l'édit par lequel Léon III lui ordonnait de faire disparaître les images sous peine de déchéance de son titre de pontife de Rome, il protesta et signifia par lettre à l'empereur son refus d'obéir à un ordre contraire à sa conscience. Cette protestation solennelle fut comme le signal d'un soulèvement général de l'Italie. Les peuples de la Pentapole et les troupes de la Vénétie repoussent le décret de l'empereur et déclarent qu'ils combattront pour la défense du Pape. Les fonctionnaires byzantins sont chassés, de nouveaux chefs sont élus. On crie anathème contre l'exarque, contre celui qui l'a envoyé, contre ceux qui lui obéissent. Le duc de Naples, Exhilaratus, essaie en vain de ramener à l'obéissance la Campanie. On apprend qu'il a parlé d'assassiner le Pape : aussitôt sa demeure est assaillie par la foule et il est mis à mort avec son fils.»1

En 726, Léon III remporta une bataille qui arrêta la progression de l'islam en Asie Mineure. Juste après cette victoire sur des Musulmans notoirement iconoclastes, il se rendit à la porte de bronze de son palais et en retira l'image du Christ en majesté, pour la remplacer par une simple croix. Il s’opposait ainsi à un culte de l’image qu’il assimilait à de l’idolâtrie. Le concile de Constantinople (726-754) lui donna raison, mais le second concile de Nicée (754-787) rétablit le culte des images qui, à la suite d’une nouvelle querelle, devait de nouveau triompher en 842.

C’est Jean Damascène qui fut l’artisan de la victoire de 787. «Il distinguait l’icône chrétienne de la statue païenne. Par celle-ci, c’est la présence d’une personne ou d’un dieu que l’on conjure. Il la distinguait en outre des mosaïques ou des fresques dans lesquelles un artiste laisse voir à d’autres les fruits de son imagination intérieure. Une icône, affirme le concile, est une forme de révélation : la lumière du corps ressuscité du Christ se manifestant, un seuil au-delà duquel l’oeil dévôt atteint le royaume de l’invisible.»2

C’est dans ce contexte, précise Illich, que la première idéologie de l’image prit forme. Dans les épîtres de Paul, il est question du Christ comme l’image (eikon) du Dieu invisible. «L’exégèse d’une telle affirmation les oblige à réfléchir au concept d’image. Le Christ en tant qu’image n’est pas quelque chose de comparable au produit technique d’un sceau; il n’est pas non plus le résultat naturel d’un acte de génération, comme un fils, ni le fruit de l’imitation par un artiste de l’apparence de l’empereur dans la cire, la couleur ou le marbre. Son être même de chair est ressemblance de la splendeur de la gloire du père.»3

Révélation, épiphanie, on est ici dans le pur symbole, bien loin du signe et du signal. L’art roman sera fidèle à cette conception, mais divers facteurs, dont l’influence croissante de la philosophie réaliste d’Aristote, auront pour effet de transformer progressivement le symbole en signe. Le commentaire de Gilbert Durand sur cette transformation nous permet de découvrir les lointaines racines de l’hyper-réalisme de Mel Gibson :«Ce glissement vers le monde du réalisme perceptif, où l'expressionnisme –voire le sensualisme – remplace l'évocation symbolique, est des plus visibles dans le passage de l'art roman à l'art gothique. Le printemps roman vit fleurir une iconographie symbolique héritée de l'Orient, mais ce printemps fut très bref au regard des trois siècles d'art «occidental», d'art dit gothique (2). L'art roman est un art « indirect », tout d'évocation; symbolique, en face de l'art gothique si « direct» dont le trompe-l'oeil flamboyant et renaissant sera le naturel prolongement. Ce qui transparaît dans l'incarnation sculpturale du symbole roman, c'est la gloire de Dieu et sa surhumaine victoire sur la mort. Ce que montre de plus en plus la statuaire gothique ce sont les souffrances de l'homme-Dieu.» 4

C’est le début de ce que Gilbert Durand appelle l’iconoclasme par excès : «Il accentue à un tel point le signifiant qu'il glisse de l'icône à l'image très naturaliste qui perd son sens sacré et devient simple ornement réaliste, simple objet d'art. »

On pourrait dire de l’iconoclasme par excès que, par le fait même qu’il détruit l’icône et la révélation dont elle est le lieu, il exacerbe le besoin d’images-copies ou ornements, ce qui provoque une surenchère dans la production de ces images sans face invisible. Le film de Mel Gibson est la parfaite illustration de cette surenchère. Il est aussi le dernier moment d’une évolution caractérisée d’abord par l’image gothique, puis par la philosophie cartésienne qui, ayant horreur de l’imagination et de l’image comme moyen de connaissance, les repousse vers la sphère du divertissement et du spectacle.

1-Fernand Bourret, Histoire générale de l'Église, Tome III, Bloud & Gay, Paris 1921, p.125.
2- Ivan Illich, La perte des sens, Fayard, Paris 2004, p. 212.
3- Ibidem, p. 215.
4- Gilbert Durand, L’imagination symbolique, Presses universitaires de France, Paris, 1964, p. 27.

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