Paracelse

10 novembre 1493-24 septembre 1541

En intégrant les traditions ésotériques médiévales aux courants de l'époque tumultueuse de la Renaissance et de la Réforme, Paracelse a prouvé qu'il appartient à cette catégorie de génies, plutôt rares, qui sont capables de faire la synthèse de toutes les traditions vivantes auxquelles ils sont exposés.

La formation de Paracelse

Orphelin de mère, le jeune Théophraste Bombast de Hohenheim grandit à l'ombre de l'abbaye bénédictine d'Einsiedeln. Paracelse est d'abord formé par son père, médecin et professeur d'alchimie. Puis, boudant l'enseignement traditionnel, il devient l'élève de Trithème, un bénédictin extrêmement versé dans les connaissances de l'alchimie, de l'astrologie et surtout de la Kabbale. (...)

Lorsqu'il quitte son maître Trithème, à l'âge de vingt-deux ans, Paracelse a saisi le lien commun qui unit ces trois disciplines: le monde est UN dans son essence et «tout évolue vers une transmutation définitive de toute imperfection en une radieuse unité» 1.

Les voyages de Paracelse

Fort de l'observation (les activités professionnelles de son père et de l'enseignement de Trithème, Paracelse entreprend une série de pérégrinations à travers l'Europe. Il explore toutes les régions et toutes les couches de la population, sans dédaigner même les sources les plus troubles. Il se plaît hors des sentiers battus. «Les Universités, écrit-il, n'enseignent pas toutes choses; il faut au médecin rechercher les bonnes femmes, les bohémiens, les tribus errantes, les brigands et autres gens hors la loi, et se renseigner chez tous. Nous devons, par nous-mêmes, découvrir ce qui sert à la science, voyager, subir maintes aventures, et retenir ce qui en route peut être utile.»

Deux influences universitaires méritent toutefois d'être soulignées. De passage à Oxford, en Angleterre, Paracelse entend sans doute parler de Roger Bacon, surnommé le Docteur admirable.

Ce théologien et philosophe anglais du XIIIe siècle s'était distingué par son souci de ne pas s'en remettre uniquement à l'autorité, mais plutôt à l'observation et à l'expérience. Par ailleurs, en Italie, à l'École de Salerne, Paracelse fait une découverte particulièrement féconde pour sa carrière: la philosophie médicale d'Hippocrate. Cette philosophie lui permet d'établir un pont avec l'enseignement de Trithème, com-me en témoignent ces quelques extraits des Oeuvres d'Hippocrate: «La nature est UNE en tout, mais infiniment variée.»
«La nature dans l'homme est constituée à l'image de la nature dans le monde ... »
«Je vous recommande de ne pas être âpre au gain, de mépriser le superflu et la fortune, de voir quelquefois des malades gratuitement, préférant le plaisir de la reconnaissance à celui d'un vain luxe... On ne peut point aimer la médecine sans aimer les hommes.»

La médecine du Moyen Age

C'est à travers l'interprétation qu'en donnera Galien, médecin romain d'origine grecque ayant vécu au début de l'ère chrétienne, que le Moyen Âge s'inspirera d'Hippocrate. Galien avait fait sienne la théorie d'Hippocrate selon laquelle le corps est composé de quatre humeurs: le sang, le phlegma (dans le cerveau), la bile jaune (dans la vésicule biliaire) et la bile noire (dans la rate). La thérapeutique de Galien était fondée sur la prescription de remèdes conformes au principe du contraria contrariis, opposant les humeurs dans le corps et les qualités élémentaires du traitement.

L'Église avait adopté la doctrine de Galien et la soutenait de toute son autorité. Allergique à tout argument d'autorité, Paracelse fait une lutte acharnée à la médecine de Galien. Titulaire d'une chaire de médecine à l'université de Bâle, Paracelse ne cesse de manifester son opposition à l'enseignement traditionnel. Il devient le premier professeur à donner ses cours en langue allemande, alors qu'il est d'usage de les donner en latin. Il troque la prestigieuse toge du médecin pour une vulgaire blouse de laboratoire. Et surtout, il brûle les manuels classiques de médecine devant l'Université. Six ans auparavant, Luther avait ainsi défié l'autorité du pape en brûlant la bulle et les statuts de Rome à la porte de Wittenberg. Le tempérament querelleur, arrogant et récriminateur de Paracelse, ainsi que toutes les connaissances et les expériences qu'il a accumulées à travers ses études et ses nombreux voyages constituent un terreau fertile pour l'élaboration d'une pratique médicale toute personnelle. Sa devise: «Alterius non sit qui suus esse potest» (Qu'il n'appartienne pas à autrui, celui qui peut s'appartenir à lui-même) reflète bien l'esprit indépendant et le mépris de l'autorité, qui lui ont valu le surnom de Luther de la médecine.

La médecine de Paracelse

On ne peut guère attribuer à Paracelse de découvertes médicales de nature fondamentale. Cependant, plusieurs intuitions remarquables nous permettent de le qualifier de visionnaire.

Monsieur Brie nous présente les quatre piliers sur lesquels repose la médecine de Paracelse: la philosophie, l'astronomie, l'alchimie et la vertu du médecin. À ces quatre éléments s'ajoutent trois substances qui constituent les corps et cinq entités ou forces qui causent les maladies. Selon Paracelse, le corps est composé de trois substances: le soufre, le mercure et le sel. Elles symbolisent le corps (sel), l'âme (soufre) et l'esprit (mercure). Chacune des substances est choisie selon sa réaction au feu. Ainsi, le soufre représente tout ce qui brûle, le mercure tout ce qui s'évapore et le sel tout résidu incombustible. Des causes externes peuvent provoquer dans chacune des trois substances des réactions qui sont contraires au maintien de la santé. Cette dernière dépend donc d'une relation appropriée entre les trois substances.

Le Volumen Paramirum traite des cinq entités qui sont à l'origine des maladies. Laissons Paracelse décrire chacune d'elles.

L'entité astrale concerne la prédisposition à la maladie: «Les astres eux-mêmes ne peuvent exercer aucune influence; mais, par leur exhalaison, corrompre seulement et contaminer le Mysterium, par lequel ensuite irons sommes empoisonnés et affligés. Et l'entité astrale se comporte de telle sorte qu'elle dispose nos corps tant au bien qu'au mal par ce moyen.»

L'entité toxique concerne la digestion: «L'alchimiste (l'estomac) est ainsi appelé parce que, pour accomplir son action, il se sert de l'art chimique. Il sépare le mauvais du bon... afin que [la nature) se transforme en sang et en chair.» Ici Paracelse se fait le prophète de la chimie organique.

«Car toute chose corrompue est un poison pour le lieu dans lequel elle séjourne», ce qui correspond à ce qu'on appelle aujourd'hui une intoxication locale.

«Mais, que toutes choses soient ainsi suffisamment séparées (dans l'estomac), ceci n'est pas; au contraire, chaque membre prépare lui-même et prend ce qui lui plaît, rejette ce qui ne peut lui servir», cette idée s'apparente digestion intratissulaire. «L'air que nous aspirons n'est pas sans contenir un venin auquel nous sommes principalement soumis». Paracelse a le mérite d'avoir le premier à signaler les intoxications d'origine respiratoire et à recommander l'aération des hôpitaux.

Enfin, il complète sa définition de l'entité toxique en décrivant les maladies tartriques, qu'on appelle aujourd'hui maladies lithiasiques: dépôt de pierre, sable, de limon, etc.

L'entité naturelle concerne la théorie du microcosme lié au macrocosme: «Tel le ciel, avec tout son firmament, sa constellation et autres attributs, existe selon et pour lui-même, tel l'homme sera aussi puissamment constellé d'astres, à l'intérieur de lui et pour lui.» Paracelse associe les sept principaux organes au soleil, à la lune et à cinq planètes.

«Le firmament de cet enfant dans sa nativité, indique la prédestination, c'est-à-dire combien de temps l'entité naturelle doit suivre son cours.» Certains auteurs ont vu dans ce firmament intérieur un symbole de l'hérédité.

L'entité spirituelle concerne la psyché et les maladies mentales: «Une telle lésion provient alors de l'esprit, puisque l'esprit existe dans le corps. Donc, le corps souffre déjà et devient malade, non matériellement, par l'entité matérielle, mais par l'esprit. Ici donc la médecine spirituelle est requise.» Pour la première fois dans l'histoire de la médecine, quelqu'un évoque la nécessité d'une psychothérapie. Dans son Traité des Lunatiques, Paracelse aborde l'étude de la psychiatrie en distinguant l'âme animale (inconscient) de l'âme spécifiquement humain (conscient) : « [...] ce sont deux éléments antagonistes; pour vivre en homme, il faut suivre l'une et réprimer l'autre.»

«La lecture des rêves est un grand art, car ceux-ci ne sont pas dépourvus de sens», ce que les psychanalystes allaient redécouvrir quatre siècles plus tard...

L'entité divine concerne une sorte de prédestination qui s'apparente à la doctrine hindoue du Karma. Dans le cas des maladies envoyées par Dieu: «Si quelque malade vous est apporté, s'il guérit par votre médication, c'est que Dieu vous l'a confié; sinon, il ne vous a pas été envoyé par Dieu. Car si le temps de l'heure de rédemption est proche, alors seulement Dieu confie le malade au médecin, et jamais avant ce temps.»

L'apport de Paracelse à l'anatomie, à la physiologie, à la chirurgie et à la thérapeutique n'est pas non plus négligeable.

Notons à titre d'exemple que Paracelse introduit la chimie dans la physiologie, en démontrant expérimentalement que le métabolisme est le siège de réaction chimiques. Il est le premier à décrire l'albumine dans l'urine et à la précipiter à l'aide d'acides. Il constate aussi la présence d'acide et de tartre dans l'estomac. Enfin il s'intéresse aux narcotiques et cherche à découvrir de nouvelles drogues, plus efficaces et moins nocives que celles qui sont en usage. Dans ses notes, on apprend qu'il a fabriqué de l'éther en mélangeant de l'alcool avec de l'acide sulfurique, et que cela constitue une excellente drogue.

Dans sa chirurgie, comme dans sa médecine, Paracelse met l'accent sur le pouvoir curatif de la nature. Il ne recommande l'opération qu'en cas de réelle nécessité, s'en tenant plutôt au traitement médical.

Lorsqu'il passe aux pratiques thérapeutiques, Paracelse fait grand cas d'une espèce de force vitale, qu'il désigne sous le nom de Mumie, laquelle préside à la cicatrisation et à la restauration de l'organe lésé. La tâche du médecin consiste à écarter les obstacles qui contrarient l'action de cette force vitale, en éliminant les matières nocives, et à soutenir cette action, en prescrivant des remèdes appropriés. Mais ce procédé ne peut s'appliquer qu'en respectant le principe du similia similibus d'Hippocrate: «Les semblables guérissent les semblables». C'est ainsi que Paracelse recommande l'extrait de fiel de boeuf pour traiter les cirrhoses du foie. Mais la similitude entre la maladie et le remède peut aussi s'exprimer dans la forme extérieure: la chélidoine au latex jaune, par exemple, porte la signature de la bile fraîche.

Des siècles avant Pasteur, Paracelse songe à tirer le remède du mal, puisque le mauvais en évoluant tend à devenir bon: «Il y a de grandes différences entre l'enseignement des anciens et le nôtre. Car nous enseignons que ce qui guérit l'homme peut également le blesser et ce qui l'a blessé peut le guérir.» L'homéopathie, fondée par Hahnemann, n'est que l'application attentive de ce précepte.

Pour Paracelse, le lien entre la maladie et son remède spécifique est si important qu'il suggère de nommer les maladies d'après le remède qui les guérit: «Vous ne devriez pas dire: cela est du choléra, ceci de la mélancolie, mais: cela est arsenical, ceci est alumineux. Si vous dites: telle maladie est celle de la mélisse, telle autre de la sabine, vous avez déjà nommé la cure.»

Les remèdes de Paracelse sont généralement préparés sur la base d'un procédé d'extraction, de séparation ou de combinaison des substances. En bon alchimiste, Paracelse essaie d'extraire chimiquement «l'agent subtil» qui préside à la transmutation des substances. Le point culminant de sa thérapeutique chimique se situe dans cette Quinta Essentia, ou quintessence, ancêtre des alcaloïdes ou principes actifs des médicaments. Par ailleurs, la thérapeutique de Paracelse se soumet à la tradition astrologique dans le choix du moment propice à l'administration de la cure: «Si le ciel ne t'est pas favorable et ne consent pas à diriger ton remède, tu n'arriveras à rien.»

Parallèlement à la fabrication de ses remèdes chimiques, Paracelse continue à utiliser toutes sortes de méthodes issues de l'occultisme, s'attirant ainsi une douteuse réputation de magicien. En effet, le grand hermétiste croit en l'efficacité des figurines d'envoûtement, il dessine de nombreuses amulettes et figurines et fait un usage curatif des rythmes musicaux, plus précisément des formules vibratoires. Son traité De vita longa est consacré à l'analyse des conditions permettant d'obtenir la longaevitas, la «longue vie», qui d'après Paracelse peut atteindre mille ans. Enfin, dans un passage insolite du Prognostic, Paracelse parle du procédé à suivre pour préparer un homunculus, c'est-à-dire pour créer la vie. On comprend pourquoi Paracelse inspira à Goethe le personnage de Faust.

Paracelse est à l'origine d'une série de découvertes médicales dont chacune aurait suffi à rendre son auteur célèbre. Et, pour tenir compte de toutes les dimensions de sa production intellectuelle, il faudrait parler de gnose. Pourtant, «dépassant son époque de trop de siècles, il resta un génie méconnu et dénigré, un médecin maudit» (Dr René Allendy).

Note
1. Allendy, René, Paracelse. Le médecin maudit, Dervy-Livres, 1987

ANDRÉE MATHIEU, Le 500e anniversaire de Paracelse, L'Agora, vol. 1, no 4, décembre 1993/janvier 1994

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