Manichéisme

Avec Mani ( né en ..216) , nous abordons la seconde période de l'histoire des religions dualistes. Mani, comme l'a très bien montré Simone Pétrement, est au fond un gnostique. C'est dans l'intuition fondamentale commune à toutes les gnoses qu'il faut rechercher la clef de son système. Mais c'est un gnostique qui a des prétentions beaucoup plus grandes que ses précurseurs. Il conserve dans sa doctrine la plupart des idées gnostiques que nous avons résumées dans les pages précédentes, mais il néglige les problèmes particuliers d'exégèse et de christologie pour se consacrer à une tache de plus grande envergure. Il veut fonder la religion universelle. Pour cela, il lui faut réunir dans une doctrine unique les principaux éléments des diverses religions. Au Bouddhisme, il empruntera la théorie de la transmigration des âmes; au Zoroastrisme, le dualisme de la lumière et de l'obscurité; à la religion chrétienne, le rôle imminent attribué à Jésus et la théorie du Paraclet.

La science de Mani se présente sous la forme d'une série de mythes. Nous ne pouvons pas étudier chacun de ces mythes en détail, nous nous contenterons donc de donner un résumé du mythe principal.(96)

Ce mythe se scande selon trois phases:

1) Moment antérieur ou passé (dualité parfaite des deux substances).
2) Moment médiant ou présent ( où se produit et dure le mélange).
3) Moment postérieur (où la division primordiale sera rétablie).

Moment antérieur ou passé

La Lumière et les Ténèbres sont complètement séparées. La Lumière comprend cinq demeures qui rappellent l'ogdoade du Plérôme valentinien. Les ténèbres sont gouvernées par cinq archontes ou démons qui rappellent les Titans du mythe de Dyonisos-Zagreus.

Moment médiant ou présent

Les Ténèbres se sont enfoncées dans la Lumière à la manière d'un poinçon. Pour se défendre, Dieu envoie l'homme primordial et ses cinq fils au-devant des Ténèbres. Ils sont vaincus par les Ténèbres. Des éléments divins deviennent donc ainsi prisonniers de la matière.

Pour faciliter la libération de ces éléments divins, Dieu charge un Démiurge d'organiser la matière, donc de créer le monde. Voyant le danger qu'elle court, les Ténèbres feront en sorte qu'un démon mâle s'unisse à un démon femelle
de manière à ce que la Lumière soit concentrée dans une seule espèce, l'espèce humaine. Pour libérer la Lumière désormais prisonnière du corps des hommes, Dieu envoie le Paraclet, le Christ.
Moment postérieur

La Lumière retournant vers son lieu d'origine, la division; primordiale se rétablit progressivement.

On aura remarqué que, contrairement au Démiurge du mythe de Valentin, le Démiurge de ce mythe n'agit pas par ignorance mais par obéissance, que la création est voulue par Dieu, que le monde est en quelque sorte une machine libérer la Lumière. Mani a remplacé le dualisme des premiers gnostiques - le dualisme transcendantal - par un dualisme métaphysique ou dualisme des principes. Il n'y a plus d'abîme entre Dieu et le monde et il y a lutte entre l'es prit et la matière. Ce n'est plus le monde qui est la cause du mal, mais la matière. Mais qu'est-ce que le monde et qui est-ce que la matière pour Mani? La matière n'est évidemment pas pour lui ce qu'elle est pour Aristote, c'est-à-dire indétermination pure. Elle a au contraire beaucoup de déterminations: elle est gouvernée par cinq archontes, elle est organisée au point de pouvoir engendrer elle-même les espèces animales. Par là, cette matière ressemble beaucoup à ce que les premiers gnostiques appelaient le monde. Par suite, le Démiurge obéissant est beaucoup plus un Sauveur qu'un Créateur au sens propre du terme. Ce qui atténue beaucoup la différence entre le dualisme transcendantal et le dualisme métaphysique.

Il est intéressant de noter que la théorie manichéenne décrit un mouvement en tous points contraire à celui de la dialectique hégélienne qui représente le point culminant de la pensée moniste comme le Manichéisme représente le point culminant de la pensée dualiste.

On n'aurait pas pu comparer ainsi la doctrine des premiers gnostiques à une philosophie comme celle de Hegel. C'est que Mani a durci systématiquement la gnose. Il en a fait un instrument de conquête comme ses prétentions universalisme l'invitaient à le faire et comme le catholicisme orthodoxe lui en avait donné l'exemple. Ses efforts n'ont d'ailleurs pas été tout à fait vains. Malgré toutes les persécutions dont il a été victime, le Manichéisme s'est répandu dans l'univers entier et il a survécu en Occident jusqu'au treizième siècle et en Orient jusqu'à nos jours.

(J.D) Simone Weil et la tradition dualiste, thèse de doctorat, 1965.

(96) Nous résumons ici l'exposé de la doctrine manichéenne, fait par H.C. Puech, dans «Le Manichéisme, son fondateur, sa doctrine, Edition du Musée Guimet, Paris 1949.

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