Lovotique


On a accès à un nombre croissant de nouvelles devant lesquelles on se demande comment les évoquer, pour les critiquer, sans obtenir l'effet contraire : qu'on en parle davantage  dans les salons.

Love + Robotics= Lovotics=Lovotique. Rien n'est plus simple. Il n'était même pas nécessaire d'y penser, il suffisait de suivre les tendances pour tirer ensuite profit de la convergence des savoirs. Les neurones miroirs, voilà une belle découverte qu'il fallait instrumentaliser immédiatement. Il suffira d'observer les gestes et les mimiques correspondant à tel ou tel sentiment pour rendre un ordinateur capable des les reproduire rendant ainsi un robot capable d'empathie pour son alter-robot.

C'est un chercheur de Singapour, Hooman Samani, dont le site Internet est rempli de notes de bas de page, qui a fondé à la la lois la discipline Lovotique et la Start-Up (le mot entreprise ici ne serait pas assez fort) qui porte le même nom.  Voici le message préfabriqué qu'on a déjà pu lire dans une multitude de médias : «La lovotique tente d’apprendre aux machines, mais aussi aux hommes, des émotions telles que l’empathie, l’affection, la tendresse, ainsi que l’impatience, la colère, la tristesse, et en étudie les conséquences sur les deux organismes. Son prototype robotique s’appuie sur une simulation du système endocrinien de gestion des émotions afin que celui-ci « ressentent » vraiment des sentiments. Ensuite son interface physique, son corps, réagit par tout un jeu de mouvements, lumières, attitudes. A l’humain de savoir les interpréter, comme à son habitude en présence d’autres humains. Le tout est de savoir ajuster sa connaissance de l’autre, son empathie, afin de répondre correctement aux stimuli émotifs de son partenaire. L’expérience est fascinante, et le résultat stupéfiant.»

Une foule d'agences de presses, de chaînes de télévision et de journaux dont Reuters, NBC, le Washington Post, Le Los Angeles Times, ont reproduit la vidéo créée à dans les laboratoires de Lovotique à Singapour. Sur Reuters, le bla bla de monsieur Samani est précédé d'une annonce de Cisco, ce qui équivaut à une bénédiction de l'une des plus grandes enteprises du secteur.

Sur le Huffington Postfrançais, le vase déborde vraiment, car un éthicien, Johan Roduit, doctorant en droit et éthique biomédicale à l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Zurich, entre en scène sur un ton de casuiste. Après avoir décrit les nouveaux gadgets avec un luxe de détails donnant le sentiment de la complaisance, il devient, funeste conclusion, sérieux en fin d'article : «Est-ce qu'une relation à travers Kissenger ou Mini-Surrogate va compléter nos relations avec autrui, ou est-ce que cela va nous aliéner les uns des autres? Est-ce que notre sexualité va pouvoir mieux s'épanouir avec un androïde, ou est-ce qu'il y a quelques choses de troublant, voire même de deshumanisant de s'étreindre avec un robot ? Sera-t-il considéré comme un adultère de passer du bon temps avec un robot, ou d'embrasser quelqu'un d'autre grâce à Kissinger ? Qu'en sera-t-il de la polygamie avec des robots? Une relation sexuelle avec un robot sera-t-elle considérée comme une relation avec un objet ou avec une personne d'une autre espèce ? Ces questions devront bientôt trouver des réponses juridiques et éthiques. »

Image: Creative Commons Natacha Hemrajani

Toujours le même scénario : une innovation qui heurte de plein fouet nos valeurs les plus profondes (ici l'incarnation)  mais qui devient anodine dès lors qu'elle est présentée par Reuters sous la bannière de Cisco, pour recevoir ensuite l'approbation nuancée d'un éthicien; et pendant ce temps les deux choses jusqu'à ce jour les plus opposées l'une à l'autre la machine et l'amour, font bon ménage

Essentiel

Le texte suivant est tiré de Vous serez comme des dieux, un ouvrage d'anticipation de Gustave Thibon paru en 1956.

« Voyons, vous vous souvenez bien de cette farce — je cherche le titre... ah! oui, Le Robot amoureux — qu'un ingénieur avait montée l'année dernière pour les fêtes de je ne sais quel anniversaire de la découverte de
l'automation. Tout était merveilleusement réglé et prévu : il s'agitait sur la scène comme un Tristan ou un Roméo : aucun geste, aucune expression de l'amour ne lui échappait — il sentait sans doute aussi à sa manière, qu'en savons-nous? un résidu d'âme, une phosphorescence d'amour se dégageait peut-être de sa mécanique en travail. Tout le monde a beaucoup ri . Moi j'ai eu froid — et j'ai mis très longtemps à me réchauffer. Je ne savais pas encore, je pressentais...»

Articles





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