Lieux communs

Ivan Illich: les "commons" et l'"enclosure"
«Le mot "commons" vient du vieil anglais. Selon mes amis japonais, son sens est assez proche de l'expression iriai qui sert à traduire commons en japonais. Commons, de même qu'iriai, servait à désigner, dans les sociétés pré-industrielles, certains aspects de l'environnement. Les gens appelaient commons ces lieux où les lois forgées par la coutume exaltaient certaines formes de respect commun. Les gens appelait commons certaines parties de leur environnement, situés au-delà du seuil de leur propriété, pour lesquelles, cependant, on reconnaissait à tous un usage légitime, non pas à des fins productives, mais en vue d'assurer leur subsistance et celle de leurs proches. Cette loi coutumière qui humanisait en quelque sorte l'environnement, était en général non écrite. Elle n'était pas écrite non pas parce ceux qui la connaissait n'avait de soin de la mettre sur papier, mais parce que la réalité qu'elle protégeait était trop complexe pour être ramenée à quelques paragraphes. La loi des commons réglait le droit de passage, le droit de pêche et de chasse, de libre pâturage, de ramasser du bois ou des plantes médicinales dans la forêt.

Un chêne pouvait être situé dans les commons. En été, on réservait au berger et à son troupeau la fraicheur de l'ombrage que ses branches prodiguaient; ses glands étaient réservés aux cochons des paysans du voisinage; ses branches mortes servaient de combustible aux veuves du village; les jeunes pousses pouvaient être coupées pour décorer l'église — et à la tombée du jour, il pouvait à l'occasion accueillir l'assemblée du village. Lorsque les gens parlaient des commons, iriai, ils évoquaient un aspect de l'environnement dont ils connaissaient les limites, qui était nécessaire à la survie de la communauté, nécessaire à différents groupes de différentes façons, mais, dans un sens strictement économique, n'était pas perçu comme une rareté.
[...]

L'"enclosure" (enfermement) des commons instaure un nouvel ordre écologique: l'enclosure n'a pas seulement pour effet de transférer physiquement aux riches propriétaires le contrôle des pâturages. L'enclosure marque un changement radical dans les attitudes de la société face à l'environnement. Auparavant, dans n'importe quel système juridique, une grande partie de l'environnement était considérée faisant partie des commons desquels une majorité de gens tiraient une large part de leur subsistance sans devoir recourir au marché. Après l'avènement de l'enclosure, l'environnement devint en première instance une ressource au service des "entreprises" lesquelles, en développant une main-d'oeuvre salariée, ont transformé la nature en biens et en services dont dépend la satisfaction des besoins essentiels des consommateurs.

IVAN ILLICH, "Silence is a Commons". Conférence prononcée le 21 mars 1982 lors d'un symposium à Tokyo. (Traduction L'Encyclopédie de L'Agora). Voir notre dossier Ivan Illich.


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Vandana Shiva: l'enclosure des communs (Third World Network)
«Selon un ancien texte de l'Upanishad : "Un homme égoïste qui utilise les ressources de la nature dans le seul but de satisfaire ses besoins toujours croissants n'est qu'un voleur. Utiliser les ressources en ignorant les besoins des autres, c'est leur retirer un droit qu'ils ont aussi." Cette relation entre usage modéré et justice sociale était aussi l'élément central de la philosophie politique du Mahatma Gandhi. Il disait : "La terre fournit assez pour les besoins de tous, mais pas pour la cupidité de chacun..." Il y a une différence majeure entre la possession des ressources telle qu'elle s'est développée durant le mouvement des enclosures en Europe et sous la domination coloniale, et la notion de propriété dans les diverses formes de sociétés antérieures. Le premier est basé sur la propriété privée et la rentabilité de l'investissement. Le second est basé sur l'attribution de droits d'usage "rentables" pour la communauté. Les droits d'usage peuvent être détenus de façon privée ou commune. Détenus en commun, ils définissent une propriété commune.»

(Traduction Didier Muguet pour EcoRev'). Texte original sur Third World Network

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