Goncourt (frères)

«Goncourt (Edmond-Louis-Antoine et Jules-Alfred Huot de), littérateurs français, né le premier à Nancy le 26 mai 1822, le second à Paris le 17 déc. 1833. Jules de Goncourt est mort à Auteuil le 20 juin 1870. La vie des deux frères jusqu'à cette époque est intimement liée et il est malaisé de faire le départ de ce qui revient à chacun d'eux avant la mort du plus jeune. Petits-fils d'un député du tiers à l'Assemblée nationale de 1789, mais tenant fort à leur particule et à leur ascendance nobiliaire, ayant du moins toute la grâce, l'affinement et le maniérisme d'une race d'extrême civilisation, les frères de Goncourt débutèrent dans les lettres, en 1851, par un roman intitulé En 18... et qui passa à peu près inaperçu. De cette époque à 1860, ils se réservèrent presque xclusivement à l'étude des mœurs et des idées du XVIIIe siècle. Ainsi parurent Histoire de la société française pendant la Révolution et sous le Directoire (1854-55, 2 vol.); Portraits intimes du XVIIIe siècle (1856-58, 2 vol.); Sophie Arnould d'après sa correspondance et ses mémoires inédits (1857); Histoire de Marie-Antoinette (1858); les Maîtresses de Louis XV (1860, 2 vol.), réimprimées de 1878 à 1879 sous les titres de la Du Barry, la Pompadour, la Duchesse de Châteauroux et ses sœurs. Ils continuèrent plus tard cette série avec la Femme au XVIIIe siècle (1862), et les Actrices du XVIIIe siècle, Mme Saint-Huberti, Mlle Clairon (1885-1890, 2 vol.) et l'étendirent à l'art et aux artistes avec l'Art du XVIIIe siècle (1874, 2 vol.) et l'Oeuvre de Watteau (1876). Cependant et avant de revenir en 1860 au roman d'observation avec les Hommes de lettres, les frères de Goncourt avaient publié dans l'intervalle de leurs études historiques, littéraires et artistiques sur le XVIIIe siècle : le Salon de 1852 (1852); les Mystères des théâtres (1853); la Lorette (1853); la Révolution dans les mœurs (1854); la Peinture à l'Exposition universelle de 1855 (1855); les Actrices (1856); Une Voiture de masques (1856), réimprimé en 1876 sous le titre de Quelques Créatures de ce temps. Avec les Hommes de lettres, réimprimé en 1869, sous le titre de Charles Demailly, commence la série de leurs romans d'observation appliquée aux mœurs et aux idées de ce temps. Ils y manifestèrent le même tempérament que dans leurs études d'histoire, curieux surtout du menu fait, du détail, et s'élevant rarement aux considérations générales. Cette méthode même et son application à des cas relevant plutôt de la pathologie donnèrent aux frères de Goncourt une place de choix parmi les chefs de l'école réaliste. Aux Hommes de lettres succédèrent : Sœur Philomène (1861); Renée Mauperin (1864); Germinie Lacerteux (1865); Manette Salomon (1867, 2 vol.); Madame Gervaisais (1869). Entre temps paraissaient d'eux Idées et Sensations (1866). Des notes recueillies par les deux frères devaient servir plus tard au survivant pour la composition de la Fille Elisa (1878); des Frères Zemganno (1879); de la Faustin (1882); de Chérie (1884); Gavarni, l'homme et l'artiste (1879); Pages retrouvées (1886); Préfaces et manifestes littéraires (1888), enfin la série du Journal des Goncourt jusqu'en 1870, tous livres publiés postérieurement à la mort de Jules, doivent cependant être rapportés à la période de collaboration des deux frères. A cette période remonte également le drame en trois actes, en prose, intitulé Henriette Maréchal, et dont les représentations au Théâtre-Français (1865) donnèrent lieu à des scènes de tumulte où la politique avait peut-être sa part. En outre des oeuvres précédemment citées, on doit à M. Edmond de Goncourt seul la série encore inachevée du Journal des Goncourt depuis 1870; l'Oeuvre de Watteau (1876), l'Oeuvre de Prudhon (1877) ; la Maison d'un artiste (1881, 2 vol.); Outamaro (1891), premier volume d'une série sur l'art et les artistes japonais que les frères de Goncourt ont particulièrement aidé à répandre chez nous. Enfin, au théâtre, M. Edmond de Goncourt a fait jouer sans grand succès un drame, la Patrie en danger, refusé à la Comédie-Française, sous le titre de Mlle de La Rochedragon et donné en 1888 sur la scène du Théâtre-Libre, et une comédie politique en un acte, A bas le progrès! donnée en 1893 sur la même scène. Il a tiré en outre de Germinie Lacerteux un drame en dix tableaux, qui a eu une meilleure fortune et qui, joué pour la première fois en 1887 à l'Odéon; a été repris avec succès en 1892. On sait enfin qu'une disposition testamentaire de M. Edmond de Goncourt institue une Académie qui doit porter son nom et où doivent entrer après sa mort un certain nombre de littérateurs et d'artistes étrangers aux corps de l'État.»

Charles Le Goffic, article « Goncourt », La grande encyclopédie (1885-1902) – domaine public.


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Extrait d’une lettre d’Edmond de Goncourt adressée à Émile Zola au lendemain de la mort de son frère Jules :

«À mon sentiment, mon frère est mort du travail, et surtout de l’élaboration de la forme, de la ciselure de la phrase, du travail du style. Je le vois encore reprenant des morceaux écrits en commun, et qui nous avaient satisfaits tout d’abord, les retravaillant des heures, des demi-journées avec une opiniâtreté presque colère, changeant ici une épithète, là faisant entrer dans une phrase un rythme, plus loin reprenant un tour, fatiguant et usant sa cervelle à la poursuite de cette perfection si difficile, parfois impossible de la langue française, dans l’expression des choses et des sensations modernes. Après ce labeur, je me le rappelle maintenant, il restait de longs moments brisé sur un divan, silencieux et fumant.

Ajoutez à cela que, quand nous composions, nous nous enfermions des trois ou quatre jours, sans sortir, sans voir un vivant. C’était pour moi la seule manière de faire quelque chose qui vaille; car nous pensions que ce n’est pas tant l’écriture mise sur du papier qui fait un bon roman, que l’incubation, la formation silencieuse en vous des personnages, la réalité apportée à la fiction, et que vous n’obtenez que par les accès d’une forte fièvre hallucinatoire, qui ne s’attrape que dans une claustration absolue. Je crois encore ce procédé de composition le seul bon pour le roman, mais je crains qu’il ne soit pas hygiénique.

Songez enfin que toute notre œuvre, et c’est peut-être son originalité, originalité durement payée, repose sur la maladie nerveuse, que ces peintures de la maladie nous les avons tirées de nous-mêmes, et qu’à force de nous détailler, de nous étudier, de nous disséquer, nous sommes arrivés à une sensibilité supra-aiguë, que blessaient les infiniment petits de la vie. Je dis "nous", car quand nous avons fait Charles Demailly, j’étais plus malade que lui…»

Lettres de Jules de Goncourt, Paris, Charpentier, 1885, p. XXIII et XXIV. Cité par Étienne Metman, Le pessimisme moderne : son histoire, ses causes, Dijon, impr. Darantière, 1892, p. 334-335

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