Buffon Georges-Louis Leclerc comte de

1707-15 ou 16 / 04 / 1788

Biographie tirée de la préface, anonyme, d'une édition de 1885 de l'Histoire du cheval
«Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, célèbre naturaliste et grand écrivain du XVIIIe siècle, naquit à Montbard, le 7 septembre 1707, de Benjamin Leclerc, conseiller au parlement de Bourgogne, et de dame Emmeline, femme de beaucoup d’esprit et de mérite. Buffon débuta dans la carrière des lettres par la traduction de deux ouvrages célèbres : la « Statistique des végétaux», de Hales, et «le Traité des fluxions», de Newton. Nommé membre de l’Académie des sciences en 1739, il s’adonna à la physique et à l’économie rurale. Ses recherches le conduisirent à la création d’un miroir dans le genre de celui d’Archimède. Sa nomination à la place d’intendant du Jardin du roi donna une direction fixe à ses idées. Se sentant la force de tête propre à réunir aux travaux des anciens l’exactitude et le détail des observations modernes, mais manquant cependant de la patience et des organes physiques indispensables à l’étude et à la description d’objets nombreux et minutieux, il s’attacha un de ses compatriotes, le célèbre Daubenton. Après dix ans d’un travail opiniâtre, ils paraître les trois premiers volumes de «l’Histoire naturelle». Les quinze premiers volumes qui traitent de la théorie de la terre, de la nature des animaux, de l’histoire de l’homme et de celle des animaux vivipares, parurent de 1747 à 1767. Les neuf volumes suivants, publiés de 1770 à 1787, contiennent «l’histoire des oiseaux». À partir de ce moment, Daubenton cessa d’être le collaborateur de Buffon; il s’associe alors Guéneau-Montbeillard et l’abbé Bexen. Il a publié seul les cinq volumes des «Minéraux», de 1783 à 1788. Le cinquième volume des Suppléments paru en 1788, intitulé «Époques de la Nature», est tout à la fois un ouvrage à part et le plus célèbre de tous ceux de Buffon.

Il fut comblé par le gouvernement. La terre de Buffon fut érigée en comté par Louix XV; une statue lui fut élevée de son vivant, à l’entrée du Museum d’histoire naturelle, avec cette inscription : «Majestati naturae par ingenium». Aucune critique sérieuse ne vint le troubler dans sa renommée. Buffon s’est placé, par son «Histoire naturelle», au premier rang des écrivains aussi bien que des savants. On s’accorde universellement à regarder ses écrits comme le plus beau modèle de la noblesse et de l’harmonie du style ; on reconnaît aussi qu’il a créé avec une admirable fidélité les mœurs et les traits caractéristiques des animaux; qu’il a fait faire à l’histoire naturelle des progrès soit par la nouveauté des vues, soit par la multitude de ses recherches; et qu’il a rendu d’immenses services en rassemblant une de matériaux épars et en propageant en France le goût pour l’étude de la nature.

Buffon à la veille de la révolution, le 16 avril 1788; il était âgé de quatre-vingt-un ans.»

Préface à l'Histoire du cheval, par BUFFON, publié à Limoges, chez M. Barbou, 1885

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Sainte-Beuve sur l'Histoire naturelle
«La publication des trois premiers tomes de l'Histoire naturelle (1749) fit grand éclat et grand bruit. On admira, on se récria. Ce ne furent pas seulement les théologiens qui se récrièrent, ce furent les savants. On a les Observations critiques que ces volumes firent écrire à M. de Malesherbes. Buffon, en entrant dans ce vaste sujet, même après dix années d'études, s'y trouvait encore trop peu préparé. Les botanistes particulièrement le pouvaient prendre en faute, en flagrant délit d'inexactitude et de légèreté sur la manière dont il jugeait Linné, et dont il appréciait les méthodes. Buffon savait peu la botanique: "J'ai la vue courte, disait-il; j'ai appris trois fois la botanique, et je l'ai oubliée de même si j'avais eu de bons yeux, tous les pas que j'aurais faits m'auraient retracé mes connaissances en ce genre." Il semblait que, taillé en grand par la nature, il lui coûtât de se baisser pour étudier les petites choses: le cèdre du Liban, il le contemplait volontiers, mais l'hysope lui paraissait trop petite. C'est ainsi qu'il a ignoré les insectes, qu'il a médit des abeilles, quoique Réaumur fût déjà venu. Il a fallu toutes les grâces et la gentillesse de l'Oiseau-mouche pour le réconcilier avec le petit. Quand il parle des animaux, c'est toujours des animaux plus ou moins analogues à l'homme, des animaux vertébrés d'un ordre supérieur. Dans son Histoire naturelle, il ne conçoit d'abord d'autre méthode que celle qui consiste à prendre les êtres selon leurs rapports de proximité et d'utilité avec l'homme. Il imagine un homme tout neuf et sans notions aucunes, dans une campagne où les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les pierres se présentent successivement à ses yeux. Après un premier débrouillement, cet homme distinguera la matière animée de l'inanimée, et, de la matière animée proprement dite, il distinguera la matière végétative. Arrivé à cette première grande division, animal, végétal et minéral, il en viendra à distinguer dans le règne animal les animaux qui vivent sur la terre d'avec ceux qui demeurent dans l'eau ou ceux qui s'élèvent dans l'air:
    Ensuite mettons-nous à la place de cet homme, continue Buffon, ou supposons qu'il ait acquis autant de connaissance et qu'il ait autant d'expérience que nous en avons, il viendra à juger des objets de l'Histoire naturelle par les rapports qu'ils auront avec lui; ceux qui lui seront les plus nécessaires, les plus utiles, tiendront le premier rang; par exemple, il donnera la préférence dans l'ordre des animaux au cheval, au chien, au bœuf, etc... Ensuite il s'occupera de ceux qui, sans être familiers, ne laissent pas d'habiter les mêmes lieux, les mêmes climats, comme les cerfs, les lièvres, etc.

Dans cet ordre qu'il appelle le plus naturel de tous, et qui n'est que provisoire, Buffon ne va donc classer d'abord les animaux et les êtres de la nature que selon leurs rapports d'utilité avec l'homme, et non d'après les caractères essentiels qui sont en eux et qui peuvent en rapprocher de très-éloignés en apparence. Pour en finir sur ce chapitre, qui ne saurait être le nôtre, je dirai que ce ne fut qu'après un assez grand nombre de volumes que Buffon, instruit peu à peu par la pratique et par les descriptions auxiliaires de Daubenton, en vint à former des classifications plus réelles et plus fondées sur l'observation comparée des êtres en eux-mêmes. Les hommes du métier remarquent ce genre de progrès dans son travail sur les Gazelles publié en 1764 (tome XII), et surtout dans sa nomenclature des Singes (1766 et 1767, tomes XIV et XV).

Mais si ce détail et cette méthode scientifique laissèrent longtemps à désirer chez Buffon auprès d'un petit nombre d'observateurs avancés, il frappa tout d'abord les esprits par de grandes vues, par les plus grandes qui puissent être proposées à la méditation du physicien philosophe. Dans un Discours sur la théorie de la terre, il cherchait à déterminer au préalable la structure et le mode de formation de ce globe terrestre, théâtre de la vie des animaux et de la végétation des plantes; il cherchait, d'après les grands faits géologiques alors connus, à en fixer les révolutions successives dès l'origine jusqu'à son état. de consistance et de composition actuelle. II passait de là à des considérations conjecturales sur la naissance et la reproduction des êtres animés. Lorsqu'il en venait à l'homme, ces explications tant soit peu mystérieuses se relevaient par des observations aussi sensées que fines sur les divers âges d'enfance, de puberté, de virilité et de vieillesse, sur les acquisitions et la sphère d'action des divers sens. Le troisième volume se couronnait par l'admirable morceau si connu, où le premier homme est supposé tel qu'il pouvait être au premier jour de la Création, s'éveillant tout neuf pour lui-même et pour tout ce qui l'environne, et racontant l'histoire de ses premières pensées. C'est ici que Buffon devenait l'émule de
Milton lui-même, un Milton physicien, moins la religion et l'adoration. Plus tard, Condillac, voulant redresser Buffon et le convaincre d'inexactitude, supposa, dans son Traité des Sensations, cette singulière statue qu'il animait peu à peu en lui donnant successivement un sens, puis un autre. Buffon s'amusait fort de cette statue incolore et glacée, et quand Condillac vint lui demander sa voix pour l'Académie française, on raconte qu'il l’accueillit gaiement, lui promit ce qu'il voulait, et lui dit en l'embrassant: «Vous avez fait parler une statue, et moi l'homme; je vous embrasse parce que vous avez encore de la chaleur, mais, mon cher abbé, votre statue n'en a point.»


La religion de Buffon
«Il y aurait un chapitre à faire sur la religion de Buffon. Habituellement il est dans le point de vue purement naturel, dans celui de Lucrèce, mais la prudence le lui fait masquer par endroits, et il parle du Créateur pour la forme. Cela se sent trop, et dans les Époques de la Nature, par exemple, il régnerait un sentiment plus religieux relativement et plus sacré, si l'auteur avait pu mettre de côté ses précautions, et s'il avait déchaîné avec ampleur cette force immense et féconde de génération, telle qu'il la concevait, circulant incessamment dans la nature. Mme Necker parle de Buffon comme d'un Pyrrhonien, et l'on trouverait, en effet, bien des contradictions et du pour et du contre dans les diverses parties de son Histoire naturelle. Tel de ses chapitres sur l'Homme semble être d'un idéaliste qui croit à peine à la matière: ses discours sur la Nature et ses Époques sont d'un naturaliste qui se passerait aisément de Dieu. Dans l'habitude de la vie, Buffon affectait de respecter tout ce qui est respectable, et quand il était à Montbar, il observait même régulièrement les pratiques du culte: il était homme à y prendre part avec une sorte d'émotion sincère; par l'imagination et la sensibilité.»


Sur le style de l'écrivain
«Je ne sais où l'on a pris que le style de Buffon a de l'emphase: il n'a que de la noblesse; de la dignité, une magnifique convenance, une clarté parfaite. Il est élevé, moins par le mouvement et le jet, que par la continuité même dans un ordre toujours sérieux et soutenu. Ce à quoi Buffon tenait avant tout en écrivant, c'était à la suite, au lien du discours, à son enchaînement continu. Il ne pouvait souffrir ce qui était haché, saccadé, et c'était un défaut qu'il reprochait à Montesquieu. Il attribuait le génie à la continuité de la pensée sur un même objet, et il voulait que la parole en sortit comme un fleuve qui s'épand et baigne toutes choses avec plénitude et limpidité. «Il n'a pas mis dans ses ouvrages un seul mot dont il ne pût rendre compte.» On voit, d'après une critique qu'il fit en causant d'un écrit de Thomas, ce qu'il entendait par ces petits mots, par ces liens naturels et ces nuances graduées du discours, et quelle finesse de goût il y apportait. Il était, en ce genre de soin, aussi scrupuleux que le plus délicat des Anciens; il avait l'oreille, la mesure et le nombre. La clarté autant que l'enchaînement était sa grande préoccupation.»

SAINTE-BEUVE, «Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens», Causeries du lundi, tome IV, p. 356 et suiv. (Texte intégral).

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