Environnement

(Dossier en révision)

En 1970 il était encore permis d'écrire que le mot environnement, employé dès le XVIe siècle, pour désigner ce qui est autour de...appartient davantage au monde de l'esthétique qu'au monde scientifique. C'était l'époque où les élèves de l'école des Beaux-arts de Paris réclamaient une faculté de l'environnement pour remplacer les écoles d'architecture. 1

Pour la très grande majorité des gens, le mot environnement est aujourd'hui synonyme de milieu. Au fur et à mesure que la science révèle la complexité de la nature, la variété des liens qui unissent entre eux ses éléments constitutifs, ce mot devient plus englobant dans le temps comme dans l'espace. C'est chez Victor Hugo que l'on trouve l'évocation la plus juste de l'environnement tel qu'on doit le concevoir en 2003: «Qui oserait prétendre que le parfum de l’aubépine est inutile aux constellations2 C'est l'élargissement de l'espace qui est ici en cause. Mais l'environnement connaît la même expansion dans le temps, comme nous le constatons quand nous assistons aujourd'hui à la formation d'un nouvel élément... il y a quatorze milliards d'années.

Pour les mêmes raisons, l'environnement est de moins en moins cloisonné. On se représentait jadis les trois règnes: minéral, végétal, animal comme des choses distinctes et extérieures les unes aux autres. On pensait par exemple que les espèces vivantes devaient s'adapter à un environnement physique déjà constitué selon ses propres lois. On sait aujourd'hui que ces espèces ont contribué au développement de leur habitat, qu'il est lui-même vivant. L'oxygène que nous respirons, qui entretient la vie en nous est un produit de la vie, mais à l'inverse la mutation dans un gène, d'où vient telle de nos maladies, est l'oeuvre d'un rayon venu d'une lointaine étoile.

L'importance de ces interrelations est de plus en plus reconnue même en ce qui a trait au rapport entre les communautés humaines et leur environnement. On sait que la qualité des liens à l'intérieur d'une communauté a un effet déterminant sur le sort de son habitat tant physique que symbolique.

Si bien qu'au fur et à mesure qu'on est mieux éclairé par la science sur ces questions on revient à une conception ancienne semblable à celles que l'on retrouve encore intactes dans de nombreuses cultures, parmi les peuples andins notamment. «Notre communauté, explique un représentant de ces peuples, n'est pas simplement un environnement humain. Elle est plutôt nous tous qui vivons ensemble dans une localité : humains, plantes, animaux, rivières, montagnes, étoiles, lune, soleil. Pareillement, notre ayllu, notre famille, ne se compose pas seulement des gens de notre lignée de sang ; c'est plutôt l'ensemble de la communauté humaine (runas4) de notre localité, de notre communauté naturelle (sallgas) et de la communauté de ceux qui soutiennent notre vie (huacas), les mêmes avec qui nous partageons la vie dans notre localité (pacha) tout au long du rythme tellurique-sidéral de l'année (wata)» 3

Dans le même esprit, le fondateur de l'écologie contemporaine, René Dubos, n'hésite pas à réhabiliter une idée familière aux Grecs de l'antiquité, celle de génie du lieu, du genius loci. «Le génie du lieu est ainsi constitué de forces physiques, biologiques, sociales et historiques qui, associées, confèrent sa singularité à tout lieu ou à toute région. Toutes les grandes villes possèdent leur propre génie, qui transcende leur situation géographique, leur importance commerciale et leur taille. Il en est de même pour chaque région du monde. L'homme ajoute toujours quelque chose à la nature, et par voie de conséquence la transforme; mais ses interventions ne s'avèrent réussies que dans la mesure où il respecte le génie du lieu.»4
1- Voir JEAN GODIN, revue Critère, numéro 5, 1972.
2- VICTOR HUGO, Les Misérables.
3- MAJID RAHNEMA, Quand la misère chasse la pauvreté, Fayard, Paris 2003
4- RENE DUBOS, Le génie du lieu.

Essentiel

«En même temps qu'il doit évaluer le gâchis au moins partiel de sa culture, l'homme moderne découvre que sa rupture est définitivement consommée avec la nature et que ce n'est qu'avec ses équivoques ressources qu'il devra tenter de satisfaire en lui cette nostalgie qui désormais le poursuit. Le crime de lèse-majesté qu'il a joyeusement commis à l'égard de la nature est, comme celui du premier Faust, sans rémission: sa pureté originelle est à jamais perdue et ses velléités de retour à la nature, celles des parcs nationaux et des comptoirs d'aliments naturels, en resteront marquées du sceau artificiel de sa culture; tandis que le formidable élan qui jadis le propulsait en avant sera de plus en plus amorti par cette culpabilité incertaine qui assombrit déjà la fierté pourtant légitime (?) des concepteurs du “Concorde” ou celle de ces efficaces engraisseurs de bovins qui ont su tirer parti des découvertes impressionnantes de la chimie agricole. Les doutes de l'écologiste ne font, il est vrai, qu'accentuer en la concrétisant cette crise de conscience de l'humanité: la loi de Dieu puis la loi naturelle suffisaient, semble-t-il, à dissiper jadis les plus lourdes inquiétudes; puis leur a succédé au XIXe siècle la loi du progrès, celle-là même qui faisait tenir à Berthelot ces propos qui seraient si rassurants, si seulement on pouvait encore les prendre au sérieux: “La somme du bien va toujours en augmentant à mesure que la somme de vérité augmente et que l'ignorance diminue dans l'humanité.” Si nous ne partageons plus aujourd'hui la naïveté de l'illustre chimiste, ce n'est pas pour avoir renoncé si vite au progrès mais bien plutôt pour avoir reconnu déjà sa gênante ambiguïté. Nos pas qui, hier encore, nous portaient résolument vers l'avant sont chaque fois suspendus dans leur mouvement hésitant. La découverte de pétrole sur des côtes voisines, le projet ambitieux de la baie de James, le triomphe inespéré de la motoneige québecoise provoquent en nous autant de suspicion que de fierté, tant il est vrai que la notion même de progrès devient de plus en plus flottante et ne paraît plus devoir trouver d'ancrage que dans celle d'un optimum à long terme que des études longues et laborieuses parviennent mal à déterminer.

«D'autres époques sans doute ont vu mettre en cause l'idée de progrès, mais c'était, pourrait-on dire, de l'extérieur au nom de considérations religieuses ou humanitaires, parce que justement la technique était triomphante et laissait impuissants et révoltés ceux à qui il ne restait plus que la ressource de briser les machines. Aujourd'hui, il en va autrement. C'est de l'intérieur que le progrès paraît se défaire: si les détergents contribuent au progrès c'est, comme nous l'explique triomphalement la publicité, qu'ils rendent notre entourage plus propre; illusion! car les ingrédients non dégradables qu'ils contiennent fertilisent nos lacs et contribuent à en souiller les eaux. Si l'on est maintenant conscient du processus, il n'est pas nécessairement nouveau: le déboisement séculaire pratiqué par les paysans de la Chine éternelle devait permettre d'accroître progressivement l'importance de la récolte : il devait surtout rendre possible une série d'inondations dévastatrices. De façon plus générale, quand une solution technique vise l'élimination d'un phénomène indésiré (maladie, excès d'insectes ou de mauvaises herbes, éloignement, entropie, etc.) mais dépasse la marque et provoque, dans un voisinage spatial, temporel ou sectoriel plus ou moins grand, un autre phénomène tout aussi indésirable (multiplication d'une espèce nuisible qui servait de proie à celle éliminée, diffusion cumulative de produits toxiques, inondations, encombrement, etc.) on demeure perplexe. Un pas en avant, c'est la loi du progrès qui n'a rien perdu de sa belle vigueur mais peut-être deux en arrière, et c'en est assez pour qu’on reste songeur comme dans cette fable où la mouche est enfin tuée mais sa pauvre victime assommée sous l'effet de la même pierre.»

MAURICE LAGUEUX, revue Critère, numéro 5, 1972.

Enjeux

En générsl, quand on veut attirer l'attention des gens sur les problèmes environnementaux, on décrit le sombre avenir qui attend l'humanité si, par exemple, rien n'est fait pour mettre un terme au réchauffement de la planète. Ces prédictions alarmistes ne semblent pas impressionner beaucoup les gens, si l'on en juge par la croissance des ventes des grosses cylindrées.

Peut-être vaudrait-il mieux mettre l'accent sur les maux dont nous souffrons déjà, sans toujours en reconnaître l'importance et les conséquences. Le plus grave de ces maux, et le plus frappant pour ceux qui acceptent de le voir, c'est la perte d'autononie des êtres humains. L'exploitation inconsidérée de la planète est indissicobiable du triomphe des experts dans les sociétés et de la dépendance croissante des gens à l'égard de ces experts et des moyens qu'ils mettent à leur dispostion. C'est ainsi que l'acte autonome par excellence, la marche, est devenue dans les pays riches le sport qu'une élite pratique sous surveillance médicale. Les travaux d'Ivan Illich sur ces questions sont d'une importance cruciale.

La perte de l'autonomie, c'est la régression de la vie en nous au profit de tout ce qui est mécanique, c'est le passage de l'homme au cyborg. Vous n'aurez bientôt plus à interpréter vous-même les faits, gestes et aboiements de votre chien. Un ordinateur accroché à son collier le fera à votre place. Alors même que les gens éprouvent le besoin de la compagnie des animaux pour échapper à l'enmachinement de leur existence, voici qu'on met une machine à leur disposition pour les dispenser de s'en remettre à leurs sens même dans ce cas.

Cette perte de l'autonomie est de toute évidence l'une des causes de l'obésité, devenue une catstrophe nationale aux États-Unis.

S'inspirant de la La pensée sauvage de Claude Levi-Strauss, Ross Hume Hall, un spécialiste de l'alimentation, décrit ainsi l'attitude des peuples primitifs face à l'environnement. «Le Négritos, un Pygmée des Philippines (Aëta), a une connaissance inépuisable du royaume des plantes et des animaux autour de lui. Non seulement est-il en mesure de reconnaître un nombre phénoménal de plantes, d'oiseaux, d'animaux et d'insectes, mais il possède une connaissance précise de leurs habitudes et de leur comportement. Il peut distinguer par exemple les mœurs de 15 espèces de chauve-souris. « Plusieurs fois, écrit le biologiste R. B. Fox, j'ai vu un Négritos qui, lorsqu'il n'était pas sûr d'avoir bien identifié une plante, avait soin de goûter son fruit, de sentir ses feuilles, de briser sa tige pour bien l'examiner, de prendre note des caractéristiques de son habitat. C'est seulement après toutes ces précautions qu'il se prononçait sur son identité.»1

La chose la plus importante ici n'est pas la quantité de connaissances acquises par le Négritos, mais le fait que pour l'acquisition, la mise à jour et l'application de ces connaissances, il dépend de son propre jugement, lequel s'appuie sur le témoignage de ses sens. Ce Négritos aurait été en droit de dire que dans son rapport avec l'environnement, en matière d'alimentation, il était autonome.

Les habitants des pays industrialisés d'aujourd'hui ne peuvent pas en dire autant. Aux Etats-Unis ou dans n'importe quel autre pays industrialisé, le Négritos n'a plus à assurer lui-même sa sécurité alimentaire. L'État, éclairé par la science et l'industrie, jugera en son nom de ce qui est bon pour lui et de ce qu'il peut manger sans crainte. Il n'aurait plus besoin de s'en remettre à ses sens et de toute façon, ses sens ne pourraient que le tromper puisque la saveur et la couleur des aliments sont généralement modifiées artificiellement. La langue anglaise a un mot, surrogate, dont l'équivalent français, «substitut», n'est pas aussi fort. Les grandes agences de l'État associées à l'industrie agroalimentaire et aux chercheurs des universités constituent un surrogate for the senses. C'est l'expression utilisée par Ross Hume Hall.

Nous ne savons plus distinguer par nous-mêmes ce qui nous fait du mal et ce qui est bon pour nous. Nous dépendons d'un savoir hétéronome à la fois prolifique, instable et rempli de contradictions. D'où le doute, l'incertitude, l'inquiétude, l'angoisse parfois dans le rapport à la nourriture. D'où aussi une conscience toujours en alerte et un sentiment de culpabilité associé aux aliments placés sur la liste noire des experts : le sucre, le sel, le gras, les viandes rouges, la liste est longue. L'acte de manger comporte ainsi un stress qui s'ajoute à celui dont on est souvent atteint au moment de se mettre à table. Les psychiatres ont même identifié une maladie causée par cette culpabilité : l'orthorexie, caractérisée par l'obsession de la rectitude alimentaire. Nous voilà partagés entre une autonomie atrophiée et une hétéronomie aliénante et inefficace.

Ayant depuis longtemps pris l'habitude de la perte d'autonomie, dont nous ne souffrons même plus, nous nous résignons d'avance à porter des masques pour respirer et à recourir à des ordinateurs pour interpréter les messages de la vie en nous et autour de nous. N'est-ce pas cette résignation qui nous empêche de voir la necessité d'un changement radical de nos rapports avec l'environnement. Nous ressemblons déjà, avec toutes les prothèses qui remplacent nos sens, à l'environnement de demain.

1- Ross Hume Hall, Food for Nought, Vintage, New York 1976, p. 140. (Voir le dossier Humus de l'Encyclopédie.)

Articles


ÉcoRoute de l'information

Site de l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN). Liens commentés et classés pas thèmes.

Ministère de l'Environnement et de la Faune

Renseignements sur le ministère, les parcs du Québec, l'environnement, les territoires à statut particulier, les régions, la faune, la pêche sportive.

Citations

Jacques Parent
...Penser globalement

Comité de santé environnementale du Québec (CSE)

Comité de santé environnementale du Québec (CSE) Bulletin d'information, liens vers d'autres sites, publications. Le site n'était plus accessible le 15.08.99

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