Décadence

On a l'habitude d'associer la décadence à la dégradation de moeurs. «Aux hommes de la fin du XIXe siècle, écrit Marguerite Yourcenar, la décadence romaine apparaissait sous l'aspect de patriciens couronnés de roses s'appuyant du coude sur des coussins ou de belles filles, ou encore, comme les a rêvés Verlaine, composant des acrostiches indolents en regardant passer les grands barbares blancs. Nous sommes mieux renseignés sur la manière dont une civilisation finit par finir. Ce n'est pas par des abus, des vices ou des crimes qui sont de tous les temps, et rien ne prouve que la cruauté d'Aurélien ait été pire que celle d'Octave, ou que la vénalité dans la Rome de Didius Julianus ait été plus grande que dans celle de Sylla.»

Marguerite Yourcenar associe plutôt la décadence aux diverses formes de la démesure: gigantisme, gaspillage, enflure. «Les maux dont on meurt sont plus spécifiques, plus complexes, plus lents, parfois plus difficiles à découvrir ou à définir. Mais nous avons appris a découvrir ce gigantisme qui n'est que la contrefaçon malsaine d'une croissance, ce gaspillage qui fait croire a l'existence de richesses qu'on n'a déjà plus, cette pléthore si vite remplacée par la disette à la moindre crise, ces divertissements ménagés d'en haut, cette atmosphère d'inertie et de panique, d'autoritarisme et d'anarchie, ces réaffirmations pompeuses d'un grand passé au milieu de l'actuelle médiocrité et du présent désordre, ces réformes qui ne sont que des palliatifs et ces accès de vertu qui ne se manifestent que par des purges, ce goût du sensationnel qui finit par faire triompher la politique du pire, ces quelques hommes de génie mal secondés, perdus dans la foule des grossiers habiles, des fous violents, des honnêtes gens maladroits et des faibles sages. Le lecteur moderne est chez lui dans l'Histoire Auguste.»
    Marguerite Yourcenar, Mount Desert Island, 1958
Source: "Les visages de l'Histoire dans l'Histoire Auguste", Paris, Gallimard, 1962

Essentiel

«Le processus de déclin des civilisations est d'une grande complexité et il plonge ses racines dans la plus totale obscurité. Bien entendu, on peut trouver après coup de multiples explications et rationalisations, sans parvenir à dissiper le sentiment d'un irrationnel agissant au coeur même de ce processus. Les acteurs d'une civilisation bien déterminée, des grandes masses aux grands décideurs, même s'ils prennent plus ou moins conscience du processus de déclin, semblent impuissants à arrêter la chute de leur civilisation. Une chose est certaine : un grand décalage entre les mentalités des acteurs et les nécessités internes de développement d'un type de société, accompagne toujours la chute d'une civilisation. Tout se passe comme si les connaissances et les savoirs qu'une civilisation ne cesse d'accumuler ne pouvaient être intégrées dans l'être intérieur de ceux qui composent cette civilisation. Or, après tout, c'est l'être humain qui se trouve ou devrait se trouver au centre de toute civilisation digne de ce nom. »

Extrait de La transdisciplinarité-Manifeste, par Basarab Nicolescu, Éditions du Rocher, Monaco, 1996.

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