«[…] la vie est un acte de confiance. Il faut, pour vivre, avoir confiance dans sa santé, dans sa fortune, dans son travail, dans sa femme, dans ses amis. Quand une de ces sources de confiance est atteinte, la vie est endommagée; quand toutes ont fléchi, la vie est impossible. Confiance n’est pas certitude. Il n’y a pas de certitude pour les activités qui se développent dans l’avenir, il y en a à peine pour les actes présents, mais la confiance est précisément le sentiment qui joue le rôle que la certitude assume dans la région intellectuelle. Ce n’est qu’un sentiment. Comme tel, il est purement subjectif, attaché à un individu ou à un groupe. Il est conservateur de cet être, ou de ce groupe d’êtres. Il n’est pas créateur, quoque sans lui la création soit impossible. Il ne détermine pas les résultats, mais sans lui les résultats ne pourraient être déterminés. C’est un des chapitres les plus curieux de la psychologie mêlée de l’intelligence et des sentiments et celui où on démontre le mieux la dépendance de ces deux activités. […] Du point de vue de la raison toute nue, la confiance n’aurait pas grande valeur, puisqu’on peut toujours la ranger dans le chapitre des illusions, mais l’homme ne se sert jamais de sa raison pure qui n’est qu’une conception philosophique, et même le langage a devancé l’objection des abstracteurs en unissant les deux termes dans une locution : confiance raisonnée. Derrière ce bouclier, la confiance est peut-être une force invincible.» (Remy de Gourmont, «La confiance – 13 décembre 1914», Pendant l'orage. Quatrième édition. Paris, Librairie ancienne Édouard Champion, 1915, p. 59-60).
"Le mot « confiance » revient en leitmotiv dans le débat contemporain. On pourrait même dire qu'il est partout évoqué, comme s'il désignait la grande question du moment. C'est à juste titre. Si nos sociétés se débattent aujourd'hui, si elles pataugent dans un marécage de désespérance, c'est qu'elles sont en panne de confiance. Comme premier résultat de la folie inégalitaire, de la précarité, de l'austérité, du chômage, il y a en effet la perte de confiance des citoyens. Ce deuil général menace, à terme, la démocratie elle-même. Comment en est-on arrivé là ? Comment a été peu à peu désagrégée cette confiance minimale qui, seule, permet aux humains de vivre ensemble ?
Une société humaine, effectivement, ne peut pas vivre si elle n'est pas cimentée par une confiance minimale qui soit partagée par tous, ou presque tous. Mais comprenons-le bien : ce qu'on dit d'une société, on peut le dire aussi bien d'une économie. Notre machinerie économique, pour fonctionner, exige que les partenaires se fassent plus ou moins confiance. Il faut qu'ils se croient les uns les autres. Même chose pour la finance. Ce n'est pas par hasard qu'on parle de crédit. L'étymologie du mot nous renvoie au verbe latin « credere » (croire). Ce n'est pas pour rien non plus qu'un billet de banque constitue une monnaie dite fiduciaire, du latin « fiducia » (confiance).
Il se trouve qu'aujourd'hui chacun de nous sent ou pressent que la confiance s'effiloche. Elle devient rare. Elle nous file entre les doigts, et nous n'avons plus en main que la fausse monnaie du soupçon."
Jean-Claude Guillebaud, "Nous n'avons plus confiance", Sud Ouest, 7 octobre 2012