Dugas Alphonse-Charles

8 août, 1858-21 octobre 1924

Notice biographique, par l'abbé Élie-J. Auclair:

«Nous avons inhumé hier (24 octobre) à Saint-Polycarpe de Soulanges, dans le sous-sol de l'église, dont il était le curé depuis huit ans, les restes mortels de M. le chanoine Alphonse-Charles Dugas, un fils de Joliette et de son "collège", qui était resté attaché par toutes les fibres de son cœur à son Alma Mater et à sa région.
Joliette, qu'on me permette de le dire tout de suite, a magnifiquement fait les choses pour reconnaître l'affection de ce fils aimant qui vivait loin. On est venu nombreux, de là-bas, à ses funérailles. Mgr l'évêque Forbes lui-même, le père Morin, vice-supérieur du séminaire, le père Foucher, maître des novices chez les Viateurs, le maire de la ville, M. l'avocat Ladouceur, l'ancien maire, M. l'avocat Guibault, et beaucoup d'autres que je ne nomme pas, car ils sont trop, ont fait l'assez long voyage du pays de Joliette à celui de Soulanges, pour venir rendre les derniers hommages à cet ami si sincère et si vrai. Quatre-vingts prêtres d'ailleurs, de Joliette, de Montréal et surtout de Valleyfield, faisaient couronne à Mgr l'évêque Rouleau, qui présidait et a chanté le service funèbre, et toute la paroisse de Saint-Polycarpe, comme aussi celle de Saint-Clet, dont M. Dugas fut curé pendant vingt et un ans, composaient une assistance des plus imposantes. Mais, j'y insiste, la délégation de Joliette, à elle seule, était plus significative que la plus éloquente des oraisons funèbres. Du sein de l'éternel séjour, où j'aime à le voir déjà heureux, le bon Joliettain qu'était mon vénéré et très cher curé a dû être bien content. Le champ des hypothèses étant à ce sujet très vaste, j'imagine qu'il aura invité, de là-haut, le Père Lajoie, le Père Beaudry, le Père Ducharme, le Père Joly... à regarder, en ce 24 octobre, vers Saint-Polycarpe, où affluaient leurs fils, ecclésiastiques et civils. L'auteur estimé des Gerbes de souvenirs le méritait, mais aussi on ne pouvait plus et mieux faire pour honorer sa mémoire.
M. Dugas avait eu 6 ans le 8 août dernier, étant né à Saint-Liguori de Montcalm le 8 août 1858. Il avait 42 ans de sacerdoce, ayant été ordonné, à Montréal, par feu Mgr Fabre, le 16 avril 1882. Il fut neuf ans vicaire, dont sept à Sainte-Élisabeth de Joliette (1882-1889) et deux à Berthier (1889-1891). Nommé curé à Sainte-Barbe, près Valleyfield, en 1891, il se trouva, en 1892, à la création du diocèse, à faire partie du clergé de Mgr Émard. Après quatre ans de cure à Sainte-Barbe (1891-1895), il fut nommé à Saint-Clet qu'il administra vingt et un ans (1895-1916). En mai 1916, il succédait au curé Zéphirin Auclair, à Saint-Polycarpe de Soulanges, où il vient de mourir après huit ans d'administration (1916-1924). À l'installation du chapitre diocésain de Valleyfield, le 7 avril 1920, M. Dugas prenait rang, avec le titre de doyen, parmi les nouveaux chanoines. Il était vicaire forain depuis une dizaine d'années.

«M. Dugas, ai-je écrit dans la Presse au lendemain de sa mort, était un excellent curé, simple et sans prétention, hospitalier et affable à la manière des anciens, éclairé et instruit, fidèle au poste et ponctuel, réservé et distant, mais tout dévoué aux âmes. Il avait à cœur de bien enseigner son peuple. Il parlait plutôt d'abondance, ne se privait pas de répéter les mêmes choses et insistait surtout sur la direction pratique. Ce serait exagéré de dire qu'il était très éloquent. Ses sermons et ses prônes pourtant respiraient la plus entière conviction. On sentait qu'il s'oubliait lui-même et parlait uniquement pour le bon Dieu. Au confessionnal, il avait la charité d'une mère. Les gens qui défilent aujourd'hui devant ses restes mortels répètent tout naturellement que M. Dugas était un saint prêtre.
«Ce digne curé était aussi un bon ouvrier de la plume. Jeune encore, il écrivit l'histoire de sa paroisse natale, Saint-Liguori. Dans la suite, il a publié nombre d'opuscules. Son oeuvre principale, c'est ou ce sont, sans doute, ses deux volumes de Gerbes de souvenirs sur le collège Joliette, aujourd'hui séminaire diocésain. Il y a là une mine précieuse de renseignements et de faits, concernant Joliette, son collège et sa région, où les historiens de l'avenir auront plaisir à s'alimenter. S'il n'avait aucune prétention au grand style, ni même au style soutenu, M. Dugas avait le constant souci de l'exactitude et de la précision. Ses livres peuvent être moins élégamment écrits que d'autres, bien qu'ils le soient correctement, mais, à cause de leur documentation très sûre, ils resteront.
«Descendant d'Acadiens et élève de Joliette, M. le chanoine Dugas avait dans l'âme, plus que personne, l'amour du pays de ses ancêtres et celui de son cher collège. Les nouveautés lui paraissaient étranges, et il ne comprenait pas qu'on n'aimât point les traditions et les anciens.»
Ce jugement peut-être un peu sommaire, sur l'homme et sur son oeuvre, exprime toujours bien ma pensée. Je voudrais cependant le développer encore et y ajouter, surtout pour les Joliettains, à qui ces lignes sont destinées, quelques réflexions.

Canadien de naissance et Acadien d'origine, M. Dugas savait unir, en des proportions nuancées et délicates, ces deux affections, au pays qui l'avait vu naître et à celui de ses ancêtres, dans un culte unique aussi profond que son cœur. Passionné d'histoire, très versé dans la connaissance des faits et des œuvres de celle du Canada et de celle de l'Acadie, il suivait au jour le jour les événements avec un sens d'observation très aigu et une pointe d'émotion qui perçait souvent. Le voyage en Acadie, organisé par le Devoir l'été dernier, et qui a remporté un si complet succès, a été sûrement l'une des grandes joies de sa vie. Je déjeunais chez lui tous les matins et nous en parlions tous les jours. Comme il a regretté que sa santé délabrée ne lui permette pas de se compter au nombre des chers pèlerins au pays d'Évangéline. «C'est bien, disait-il, c'est très bien! Mais c'est, ce voyage, un acte de justice. Le Canada reconnaît enfin l'Acadie. L'Acadie ne l'oubliera jamais.»
Et puis, il y eut ces fêtes de Verdun, à Montréal, en septembre, que, sur l'invitation de Mgr Richard, son ami d'enfance et de toujours, le premier évêque acadien, Mgr Leblanc, vint présider. M. Dugas put y assister. Cette fois, ce fut sa dernière joie. Quel compte rendu enthousiaste il m'en faisait le lendemain et quelle excursion pittoresque et animée nous fîmes de nouveau ensemble, en une heure trop courte, ce matin-là, en Acadie toujours. Le Verdun de Mgr Richard, selon lui, c'était, dans Montréal, comme une petite Acadie. Il n'était pourtant pas envieux, mais, franchement, il était bien un peu jaloux de son ami, d'une jalousie pieuse et sainte, par exemple! «Mgr Richard est bien heureux», faisait-il, et sa physionomie en disait plus long encore.
Et Joliette! Je l'ai dit déjà, il n'avait rien au cœur de plus cher avec l'Acadie. Les progrès constants de la ville et du diocèse lui étaient une cause d'indicible jouissance. Aucun événement ne lui était étranger de ce qui se passait là. Mgr Archambeault, il me le confiait il n'y a pas quinze jours, l'avait naguère pressenti, l'invitant à aller travailler aux archives et aux annales du nouveau diocèse. Il ne crut pas pouvoir accepter, son devoir lui paraissant être de rester au poste que la Providence lui avait assigné. Quel archiviste précis et quel annaliste fidèle il eut été cependant!
Quand parut, en septembre 1922, le beau livre du Père Robert, la Vie du Père Querbes, où de si éloquentes pages sont consacrées aux fondations des Viateurs au Canada et aux États-unis, j'eus l'occasion de faire remarquer à mon cher curé que ses Gerbes de souvenirs avaient été largement mises à contribution par le regretté supérieur général. Il en était ravi et fier à bon droit. Où d'ailleurs le Père Robert aurait-il pu mieux s'alimenter et se documenter que dans les écrits, toujours si précis et si exacts, de M. Dugas? Outre son importante compilation, qu'il a intitulée Gerbes de souvenirs, que de fois, l'infatigable chercheur, sous ses initiales bien connues "A.-C. D.", n'a-t-il pas publié des choses intéressantes soit sur Joliette et ses alentours, soit sur l'Acadie. Et, en conversation, quand il parlait des Lajoie, des Beaudry et autres hommes marquants du collège Joliette, comme encore quand il évoquait le souvenir de M. Dupuy, "mon curé" disait-il, avec qui il avait été vicaire sept ans à Sainte-Élisabeth, le temps passait vite, je vous l'assure.
Je m'en voudrais de ne pas souligner qu'il garda toujours également un souvenir de respectueuse gratitude aux dames du Sacré-Coeur, qui avaient été autrefois, à Saint-Jacques, les éducatrices de sa mère, cette mère à qui il conservait un vrai culte et dont il relisait si pieusement les précieuses lettres.
Les Sœurs de Sainte-Croix pareillement, où il eut pas moins de quatre de ses sœurs, et les Sœurs de Sainte-Anne, où il comptait je ne sais combien de parentes, lui étaient très chères, devant Dieu. Mais il les aimait de loin, si j'ose ainsi dire, car il était d'une sévérité dans toutes ses relations qui était bien un peu outrée et ne permettait guère les épanchements.
J'ai l'air peut-être de laisser entendre que M. le chanoine Dugas n'était pas beaucoup affectionné aux paroisses qu'il dirigeait. Ce serait commettre la pire des injustices. Le coeur d'un homme de bien a cet avantage de pouvoir se donner tout entier, même en se partageant, selon ce vers du poète, parlant de l'amour d'une mère pour son fils.

Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier.

Le curé Dugas aimait ses paroissiens en Dieu et pour Dieu. Il était charitable de toutes façons. J'en sais quelque chose! S'il gourmandait en chaire, plus souvent peut-être qu'il ne l'aurait fallu, c'est qu'il voulait le bien, des moeurs sévères, du bon ton et de la dignité, c'est qu'il aimait profondément les âmes. Ses paroissiens de Saint-Polycarpe, de Saint-Clet et de Sainte-Barbe, et même ceux de Berthier et de Sainte-Élisabeth, où il fut vicaire en ses jeunes années, n'ont pas perdu son souvenir. M. le chanoine Houle en témoignait l'autre soir.
Enfin, M. Dugas aimait ses confrères, ses voisins du diocèse de Valleyfield en particulier. Il affectionnait ces réunions de prêtres aux Quarante-Heures et ces bonnes visites aux confrères qui étaient autrefois, mieux qu'aujourd'hui, de tradition. Les uns après les autres, les anciens disparaissaient autour de lui. Il se sentait vieillir et tâchait d'être accueillant aux jeunes. Vicaire forain depuis plusieurs années, il ne s'imposait pas et s'efforçait de rester frère et ami avec tout le monde. Son apparente sévérité pouvait tromper de prime abord ceux qui le connaissaient moins. On était vite mieux avisé, quand on le pénétrait bien.
M. le chanoine Dugas était malade depuis près de deux ans. En juillet 1923, il avait dû suivre un traitement à l'Hôtel-Dieu de Montréal. C'est pourtant assez soudainement qu'il a été emporté par une crise d'urémie, dont il souffrait depuis deux jours seulement. La veille de sa mort, il avait eu la consolation et la joie, lui dont l'esprit de foi était si vif et si profond, de recevoir la visite de Mgr Rouleau, son évêque. Le jour même, son vicaire, M. l'abbé Patenaude, le communia, et M le chan. Mousseau, de Valleyfield, un enfant de la paroisse, l'administra. Il est mort le 21 octobre, jour de la fête de saint Viateur, ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer à l'Action Populaire, comme si le jeune saint, que le vénéré Père Querbes donna pour patron et protecteur à ses clercs paroissiaux, avait été député par les anciens de Joliette pour venir au devant de leur grand ami et de leur historien préféré.
Plus encore que le mal qui le minait, et dont il ne voulait jamais parler, les vides que la mort faisait autour de lui l'affectaient douloureusement. Ainsi en fut-il en particulier des morts récentes de M. le chanoine Laferrière et de M. le chanoine Bonin, deux de ses meilleurs amis. Au sortir de la crypte funéraire de la cathédrale de Joliette, après le service de M. Bonin, il dit à M. le chanoine Houle: «Serrons les rangs, mon ami, notre tour arrive!»

Et oui, son tour est venu! Il s'en est allé vers le Dieu qu'il a généreusement servi. Il est bien heureux!
Je l'aimais, mon curé. Il avait du cœur et il a été bon pour moi, comme pour tous. Je m'incline avec un profond respect devant sa tombe qui voisine, sous l'autel de Saint-Polycarpe, avec celles de mes deux oncles, les curés Auclair. Je m'incline et je prie Dieu de leur donner, au regretté chanoine et à mes chers oncles et bienfaiteurs, le repos et la félicité de son éternité bienheureuse! Requiescant in pace - Amen

L'abbé Élie-J. AUCLAIR
Saint-Polycarpe de Soulanges, 25 octobre 1924
in Gerbes de Souvenirs ou mémoires, épisodes, anecdotes et réminiscences du Collège Joliette, par l'abbé Alphonse-Charles Dugas, édité et présenté par Léo-Paul Hébert, c.s.v., tome troisième, Joliette, 1994, p.438-446

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