Un républicain dans le siècle. André Laurendeau et l'idéal de la république
Ce texte est la version légèrement remaniée d'un article paru dans le numéro 10 (année 2000) des Cahiers d'histoire du Québec au XXe siècle.
De la rencontre de deux anciens mondes en 1492, l'Amérique et l'Europe, naquit une vague qui mena au renversement de l'ancien régime. Les descendants des puritains établis sur la côte est américaine portèrent jusqu'à son extrême conséquence l'idéal anglais du self-government pour rompre avec la métropole en 1776 et fonder en 1787 une république fédérale sur la base d'un pacte volontaire, produit d'hommes égaux et aspirant au bonheur. Secouées par cette onde de choc venue du nord, les vice-royautés ibériques de l'Amérique du sud succombèrent à l'assaut des armées révolutionnaires levées par Simon Bolivar. Des ruines coloniales naquirent les républiques latines, dont la dernière à apparaître fut celle du Brésil en 1889 (1). La féodalité ne devait pas se retirer tout entière des Amériques; il lui restait un bastion, appelé à s'incruster sur le continent, résistant à toutes les tentatives de subversions faites au nom des Lumières et de la République. C'est ainsi que le Dominion of Canada, cette étrange monarchie fédérale insérée en 1867 dans le grand empire britannique, continuerait à défier jusqu'au XXe siècle la logique qui avait façonné tout le continent.
Au cours de ce siècle, il s'est trouvé peu d'intellectuels pour observer d'abord, puis dénoncer ensuite, l'anomalie canadienne. Soudain, en 1948, quelques-uns embouchèrent la trompette de la république. Au mois d'octobre de cette année, plusieurs intellectuels québécois, dont Gérard Filion, André Laurendeau et François-Albert Angers, publièrent dans L'Action nationale une série de textes sur l'idée de la République du Canada. Cette idée, condamnée aux les caveaux où la monarchie coloniale de l'Union forcée de 1840 l'avait ensevelie, Lionel Groulx l'avait exhumée, dans un article consacré à "L'idée d'indépendance à travers l'histoire canadienne", publié en juin 1946. Après ce premier clairon, Laurendeau usa de la satire et du vitriol pour animer dans les pages du Devoir l'idée républicaine. Le texte inaugural de Laurendeau, "Indépendance et république" d'octobre 1948, puis ses éditoriaux, ses chroniques et ses billets révèlent tout le prix qu'il attachait à la question du régime politique, laissée en plan par plusieurs générations d'intellectuels, très occupés par la nation ou par la religion.
Plusieurs événements propulsèrent en 1948 la république au devant de la scène, les uns internationaux, les autres locaux. À la fin de l'année entra en vigueur le pacte de l'Organisation des nations américaines, auquel avaient adhéré quatorze républiques du continent. En marge de l'Organisation il restait de petites colonies telles les Guyanes, et le Canada, inféodé au Commonwealth. "Nous ne faisons point partie des Amériques, mais du Commonwealth", constatait alors Laurendeau. "Puisque nous ne sommes pas une république! (2) " "La république fait peur aux Canadiens, disent ceux qui en sont restés à l'histoire de la Révolution française." (3) Elle leur faisait peur, à ces Canadiens, au point qu'ils chérissaient la tutelle du pays à une lointaine métropole, dussent-ils oublier ce que commandait leur appartenance à l'Amérique. "Et pourtant l'Amérique est le continent des républiques libres et indépendantes, des peuples jadis coloniaux qui se sont affranchis."(4) L'appel de la République fut lancé de plus loin encore. Dans la même année, en septembre lors d'une visite officielle à Ottawa, le Premier ministre de l'Eire, J.A. Costello, avait annoncé que l'Eire deviendrait une république. Laurendeau salua en ces termes cette annonce: "La république c'est encore le régime de l'Eire - de l'Irlande libérée. D'un pays où les grands chefs de partis, Costello et de Valera, peuvent bien se quereller sur des questions de politique intérieure; mais où ils s'accordent pour défendre l'indépendance complète de leur pays." (5) L'Inde à son tour, sur le point d'accéder à l'indépendance, entendait la traduire par la proclamation de la République, cessant par cela même toute allégeance du pays à la Couronne britannique. Pour affirmer son indépendance, le Canada devait suivre l'exemple de ces deux anciennes colonies et se retirer du Commonwealth: "Quelle que soit sa nature, le Commonwealh est en réalité une sujétion à la Grande-Bretagne. Au lieu de nous esquinter à le définir, nous lui tirons notre révérence. Vive la République du Canada!" (6)
À la fin de l'année 1948, trois élections partielles fédérales se déroulèrent au Québec, dont une qui ameuta la classe politique canadienne. Pour la première fois dans l'histoire du Dominion, un candidat républicain, M. Honoré Désy, briguait les suffrages du peuple. Cette candidature déchaîna la presse anglophone, notamment le Star, qui déversa son fiel monarchiste. Elle désarma aussi les partis fédéraux, qui ne savaient quel animal politique était la république. "La république, qu'es-cé çà" [sic], s'écria le député libéral Sarto Fournier en assemblée publique (7). Au dire de Laurendeau, le candidat républicain dans la circonscription de Laval-Deux-Montagnes s'en tira avec une défaite honorable. Malgré la "surenchère impérialiste" des partis libéral et conservateur, qui mirent tout en oeuvre pour dissuader la population de voter républicain, M. Désy réussit à devancer les tiers partis dans les suffrages. Laurendeau croyait que cette défaite horable inscrirait "la République dans notre vie politique." (8) Enfin, les masques tombèrent, les libéraux étaient rien moins que des monarchistes: "il a mis (M. Désy) les libéraux sur la défensive. Les voilà marqués, ducs ou lords, grands pourfendeurs de républicains, royalistes d'une arrière-couvée maurrassienne, chouans d'une chouannerie britannique." (9)
L'éveil de la "chouannerie" canadienne que suscita la candidature républicaine de M. Désy précipita à la Chambre des Communes des querelles byzantines. La Chambre fut saisie d'une motion qui évoquait l'accession du Canada à la république. L'"Orateur" de la chambre, le libéral Gaspard Fauteux, disposa qu'une telle motion était irrecevable: un député ayant prêté allégeance au souverain britannique ne saurait défendre en chambre des principes contraires aux liens de vassalité qui l'unissent à Sa Majesté. Le raisonnement de M. Fauteux était implacable : "Un député communiste, s'il est élu, peut prêcher le communisme au parlement canadien. Un député républicain, s'il est élu, ne peut prêcher la république au Parlement canadien." (10) (On peut appliquer, mutatis mutandis, cette maxime à notre situation présente, un député souverainiste, s'il est élu, peut prêcher la souveraineté au parlement canadien. Un député républicain...) Laurendeau tira les conséquences de cette conception absolue du serment d'allégeance à la Couronne, que les parlementaires canadiens sont tenus de prêter par ordre même de la Constitution: l'idée républicaine viendrait-elle à faire élire sous sa bannière une majorité de députés, ils ne pourraient siéger en chambre, et la minorité monarchiste gouvernerait.
Dans l'esprit de Laurendeau, l'idée de république est intimement attachée à celle d'indépendance du Canada. Si la nation, pour le polémiste du Devoir, est le Canada français, la communauté politique demeure le Canada qui, en 1948, se recroquevillait dans son statut de Dominion du Commonwealth, qui lui enlevait la maîtrise de sa constitution et de sa politique étrangère. Mais outre la dépendance du Canada à l'égard du Foreign Office et du Parliament of Westminster, Laurendeau voyait un lien affectif et symbolique, un "lien, léger en apparence, mais fort comme l'acier" (11) qui empêchait les Canadiens de se concevoir les citoyens d'une nation indépendante, enracinée en Amérique. La monarchie, c'était pour lui une adolescence affective et politique, qui avait trop longtemps duré, qui devait se terminer par le passage à la maturité républicaine. Cette image psychologique rappelle cette boutade faite par Arthur Buies: "...la république est le gouvernement des hommes et ...la monarchie est celui des enfants." Constatant qu'en 1949 le Canada demeurait toujours un "royaume", Laurendeau précise: "La république serait une libération. Car elle signifierait une rupture morale. L'allégeance à la Couronne britannique est un symbole: la supprimer indiquerait que nous devenons politiquement adultes." (12) La perspective de l'indépendance nationale, d'une existence politique affranchie du cadre colonial semblait effrayer davantage les Canadiens que la rupture affective avec un souverain étranger. Ainsi, d'observer Laurendeau: "le principal adversaire de la république canadienne, c'est encore la majorité des Canadiens, la mollesse de leurs réflexes, leur manque de sens national. On dirait que pour plusieurs compatriotes, le Canada ne saurait avoir d'existence autonome: ils conçoivent notre pays comme lié nécessairement à un étroit système impérial. Leur pensée oscille entre deux colonialismes, et ils se cherchent toujours un oreiller, États-Unis ou Angleterre." (13)
Laurendeau voit l'adhésion à la république comme un engagement total; avant d'être un simple régime de gouvernement, une manière d'établir la souveraineté, la république se présente comme un idéal politique. Ainsi, en parlant du combat que les républicains devront mener au pays, il dit: "Notre première tâche consistera à les (les Canadiens) familiariser avec l'idéal de la république - qui d'abord les étonnera, et peut-être en scandalisera quelques-uns. L'indépendance reste une idée abstraite et assez floue; elle permet aux embusqués de se cacher derrière, aux opportunistes de s'en couvrir à demi." (14) En somme, l'indépendance - comme la souveraineté d'ailleurs - ne s'offre pas comme un idéal, ni pour la collectivité, ni pour l'individu. C'est une formule d'organisation étatique à laquelle on peut adhérer par degrés. Par contre, nous dit Laurendeau: " La république fait image; c'est un idéal concret. On la veut ou on ne la veut pas; parce qu'elle présuppose une rupture, elle force les gens à une option totale. On peut être à moitié pour l'indépendance: il faut adhérer à la république ou la refuser." (15) Bref, il n'existe pas de demi- république. C'est un idéal mobilisateur qui peut fédérer des citoyens de toutes provenances. "Elle se dresse comme un idéal saisissable, au bout de l'évolution canadienne." (16)
Laurendeau n'était pas tendre à l'égard des libéraux qui répudiaient l'idéal que Papineau avait proposé à la jeunesse de son temps, idéal d'indépendance complète, qui ne tolère aucun faux-fuyant. La république était comme une terre fertile laissée en jachère: "L'idée républicaine a souvent apparu dans notre histoire; elle n'a jamais été systématiquement explorée et défendue." (17) Le plaidoyer de Laurendeau pour un idéal politique mis hors-la-loi par le monarchisme impérial de la Grande-Bretagne au Canada gagne à être mis en parallèle avec les très belles pages de Simone Weil sur l'importance pour la vie de l'esprit de se régler sur un idéal. Dans son essai Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (18), publié à titre posthume en 1955, Weil s'efforce de peindre le tableau théorique d'une société libre et entreprend en conséquence de se représenter clairement la liberté parfaite: "non pas dans l'espoir d'y atteindre, mais dans l'espoir d'atteindre une liberté moins imparfaite que n'est notre condition actuelle; car le meilleur n'est concevable que par le parfait. Il s'ensuit qu'"on ne peut se diriger que vers un idéal. L'idéal est tout aussi irréalisable que le rêve, mais, à la différence du rêve, il a rapport à la réalité; il permet, à titre de limite, de ranger des situations ou réelles ou réalisables dans l'ordre de la moindre à la plus haute valeur." Weil définit comme suit l'idéal de la liberté: "On ne peut rien concevoir de plus grand pour l'homme qu'un sort qui le mette directement aux prises avec la nécessité nue, sans qu'il ait rien à attendre que de soi, et tel que sa vie soit une perpétuelle création de lui-même par lui-même." Weil traduit l'idéal de liberté individuelle en exigence sociale (p. 116): "En résumé la société la moins mauvaise est celle où le commun des hommes se trouve le plus souvent dans l'obligation de penser en agissant, a les plus grandes possibilités de contrôle sur l'ensemble de la vie collective et possède le plus d'indépendance." Bien que Weil n'aborde pas la question du régime politique dans son essai, sa conception de la liberté s'accorde à merveille avec l'idéal républicain. La république pourrait ainsi se définir: le régime qui établit la liberté politique d'une collectivité, conçue comme une communauté de droits, d'obligations et d'appartenance, qui accorde à la liberté de ses citoyens une prime importance et leur garantit les moyens de la réaliser.
Aussitôt après l'année 1948, Laurendeau poursuivit le combat républicain, notamment pour s'opposer au projet du premier ministre fédéral Saint-Laurent de demander au parlement de Westminster de procéder à deux modifications de la constitution canadienne: abolir les appels au Conseil privé de Londres, ce qui équivalait à reconnaître la Cour suprême comme tribunal canadien de dernière instance; autoriser le parlement fédéral à pouvoir amender lui-même les parties de la constitution canadienne qui regardent l'État central. En habile politicien, Saint-Laurent se garda bien de réclamer pour le Canada une émancipation totale. Il lui offrit un supplément d'autonomie, à la manière tory. Or, ces deux modifications portées à l'ordre canadien n'offraient qu'un trompe-l'oeil. Les servitudes du colonialisme et du royalisme anglais étaient maintenues; la liberté des États provinciaux s'en trouvait diminuée. La Cour suprême, craignait Laurendeau, risquerait de devenir un instrument de l'État central dirigé contre les États provinciaux, cette cour étant nommée par le premier, et non par l'État canadien dans sa totalité. D'après Laurendeau, "comme la Cour suprême, tribunal d'origine fédérale, sera notre dernière Cour même en matière constitutionnelle, c'est un puissant moyen d'action livré à Ottawa contre les États provinciaux, une manière peut-être d'obliquer la constitution dans son sens." (19) Laurendeau avait à l'esprit le précédent américain du packing, c'est-à-dire la menace que le père du New Deal, Franklin Roosevelt avait fait à la Cour suprême américaine d'y nommer en masse de ses partisans si elle n'avalisait pas son programme législatif. (20) Laurendeau liait la lutte pour la république avec celle pour le fédéralisme, régime d'équilibre des pouvoirs, menacé par l'unitarisme de soi disant fédéralistes. "Nous devons continuer de lutter pour obtenir en matière constitutionnelle un tribunal désigné par la totalité de l'État canadien, et pas seulement par l'État central. Et sur un autre plan, nous devons lutter pour obtenir, non seulement le status [sic], mais la réalité politique de l'indépendance, et la République." (21) En somme, la république suppose une double liberté, celle de l'État canadien tout entier, et celle de ses États constituants.
De toute évidence, André Laurendeau se pose en héritier de Henri Bourassa, grand avocat de l'indépendance canadienne. Est-ce à dire que la liberté du Canada en tant que pays lui importait plus que celle du Québec en tant que collectivité fédérée? Il n'est pas anodin que Laurendeau répugne dans ses écrits à désigner le Québec par ce vieux vocable impérial, "province", tiré du droit romain de conquête. (Fait étonnant, beaucoup de Québécois encore aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de nommer leur État, pratiquent l'autoflagellation.) Laurendeau préfère l'expression "États provinciaux" pour désigner les constituantes du Canada, et "l'État du Québec" pour nommer le Québec. On le voit s'insurger devant l'injustice du rapatriement "unilatéral" de 1949: cette manoeuvre accorde au parlement fédéral le droit d'amender sa constitution interne alors que ce même droit est refusé aux États provinciaux, qui ne peuvent modifier à leur guise la leur. L'État du Québec devrait pouvoir désigner lui-même son chef officiel: "Pourquoi l'État du Québec ne pourrait-il désigner lui-même le représentant du roi chez lui (en attendant de le supprimer en temps et lieu)? Pourquoi la présence, au sommet de l'État québécois, de cette espèce de fonctionnaire fédéral, le lieutenant-gouverneur?" (22) Avouons que la suggestion de Laurendeau a eu le même effet qu'un coup d'épée dans un océan d'indifférence.
Cette indifférence aura-t-elle vaincu Laurendeau? À la fin de 1949, célébrant l'anniversaire de la défaite honorable de Désy, Laurendeau manifeste dans son éditorial une certaine impatience: "La république, c'est pour quand?" (23) Il revint à la charge en 1950 et en 1953 (24). En avril 1956, il observa: "Il y a longtemps que nous n'avions parlé ici de république canadienne." Le Canadien National s'apprêtait à ériger à Montréal un nouvel hôtel, nommé Queen Elizabeth. Laurendeau s'insurgea: "Ainsi le nom d'un hôtel, donné par un fonctionnaire en dépit de la volonté populaire, pose-t-il symboliquement le problème du régime." Laurendeau proposa qu'on nommât l'hôtel "château Maisonneuve", façon de marcher vers la république. Mais le Canada n'était ni l'Inde, ni le Pakistan, membres du Commonwealth qui avaient rompu tout lien de vassalité avec la Couronne britannique. "Plus on nous imposera des Queen Elizabeth et plus nous aspirerons à la république", vaticina Laurendeau.
Laurendeau n'était peut-être pas un Don Quichotte des causes désespérées. À en juger par le silence qu'il fit à son tour sur la république au tournant des années 1960, il faut croire que la morgue monarchiste du Dominion finit par le lasser. On connaît la suite. Nommé coprésident de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Laurendeau ne chercha non plus tant à changer le régime qu'à réformer certaines de ses politiques. Le régime lui fut reconnaissant de son zèle et Laurendeau devint en 1964 membre de la Société royale du Canada...
Le jour des élections dans Laval-Deux Montagnes, Laurendeau observa ce paradoxe de l'histoire politique canadienne: "Que les descendants de Papineau et de Mercier finissent en royalistes britanniques, c'est le plus beau paradoxe de l'histoire." (25) On n'a pas fini de méditer sur les étranges conversions que suscite la politique canadienne, réglée par la "petite loterie" des nominations orchestrée par la Couronne fédérale. Libéraux travestis en Tories, républicains transmutés en chouans, conservateurs étiquetés de progressistes, ultramontains défendant une Vendée canadienne française... le Royaume canadien, d'hier et d'aujourd'hui, est peuplé d'une étrange faune politique. Est-ce cela le métissage des idées? Or, la triste réalité de l'histoire enseigne que l'engouement pour la république est une ferveur passagère, qui décroît avec l'âge. Dans un Dominion où l'allégeance à la Couronne est de mise, les républicains n'ont d'autres carrières que celle de la protestation.
Il est quand même étonnant que Laurendeau, si prompt à défendre l'idéal républicain et éloquent à le dépeindre, l'ait pour ainsi dire abandonné. Et pourquoi donc? Après la défaite honorable de décembre 1948, l'idée républicaine n'avait pas réussi à mobiliser les foules. Aucun parti politique, ancien ou nouveau, n'en devint le porte-étendard. Sous le régime de Maurice Le Noblet Duplessis, les troublions républicains se tenaient cois. Ce régime mort, des indépendantistes québécois se mirent à arborer la bannière républicaine. Héritier de Henri Bourassa, Laurendeau ne pouvait les rejoindre dans ce nouveau combat. Au cours des années 1960, de nouvelles idées viendraient détrôner l'idéal républicain, telle la souveraineté, abstraction politique qui canaliserait désormais les aspirations des indépendantistes québécois.
Le débat a-t-il avancé depuis que le météore Laurendeau traversa le ciel rouge bleu du Dominion? Si les souverainistes et les fédéralistes québécois s'entendent pour dénoncer le fédéralisme unitaire pratiqué par le gouvernement d'Ottawa, leurs attaques ne portent guère sur une des dimensions du régime politique canadien, son monarchisme bancal, qui légitime l'emprise de l'exécutif fédéral sur l'État canadien et érige en religion d'État le loyalisme royal du nationalisme canadien anglais. Par ses rites, ses symboles, ses pratiques et ses concepts dérivés de la féodalité anglaise, cette unique monarchie en Amérique empêche, et le peuple québécois, et le peuple canadien, de se penser comme souverain. Cette négligence intellectuelle a permis sans doute à Pierre Elliott Trudeau de réaliser son coup de maître en 1982: offrir au Dominion son indépendance et conserver le régime. Une indépendance tory, quoi!, accomplie sous le signe d'un orangisme postmoderne! La monarchie transplantée artificiellement en ces terres septentrionales d'Amérique serait-elle donc vouée à être aussi immuable que le pergélisol ou les glaces de la terre de Rupert?
Notes
(1) Bien qu'il acquît tôt son indépendance, le Brésil était demeuré un régime monarchique jusqu'à la proclamation de la république en 1889. Le régime monarchique perpétuait chez l'élite brésilienne l'attachement du pays à ses racines portugaises et européennes et paraissait un gage de stabilité, aux cotés de républiques turbulentes et instables. Mais le mirage européen finit par s'évanouir après quelques décennies. Voir José Murilo de Carvalho, "Un mirage européen, le Brésil, de Lisbonne à Manaus", dans Anne Remiche-Martynow et Graciela Schneider-Madanes (dir.), Notre Amérique métisse, Éditions La Découverte, Paris, 1992, p. 81-88.
(2) André Laurendeau, "Vingt et une républiques, un ex-pénitencier, et... le Canada", Le Devoir, 6 décembre 1948.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) André Laurendeau, "La République, c'est ça", Le Devoir, 10 décembre 1948.
(6) André Laurendeau, " Scolastique impérialiste", Le Devoir, 7 janvier 1949.
(7) André Laurendeau, "La république? Qu'es-cé çâ?", Le Devoir, 7 décembre 1948.
(8) André Laurendeau, "La république c'est l'avenir", Le Devoir, 21 décembre 1948.
(9) Ibid.
(10) André Laurendeau, "Pour un serment d'allégeance canadienne", Le Devoir, 25 mars 1949.
(11) André Laurendeau, "Indépendance et république", L'Action nationale, vol. XXXII, no. 2, octobre 1948, p. 86-96
(12) André Laurendeau, "Vers l'indépendance?", Le Devoir, 6 juillet 1949.
(13) André Laurendeau, "Indépendance et république", L'Action nationale, vol. XXXII, no. 2, octobre 1948, p. 86-96.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
(16) Ibid.
(17) André Laurendeau, "La république c'est l'avenir", Le Devoir, 21 décembre 1948.
(18) Éditions Gallimard, collection Folio, 1998.
(19) André Laurendeau, "Ne lâchons pas la proie pour l'ombre", Le Devoir, 30 septembre 1949.
(20) André Laurendeau, "Qu'on ne nous force pas à choisir", Le Devoir, 20 septembre 1949.
(21) André Laurendeau, "Monsieur Saint-Laurent et la souveraineté du Canada", Le Devoir, 18 octobre 1949.
(22) André Laurendeau, "Blocs-Notes", Le Devoir, 14 décembre 1949.
(23) André Laurendeau, "La république, c'est pour quand?", Le Devoir, 27 décembre 1949.
(24) André Laurendeau, "Le jeu du couronnement", Le Devoir, 5 juin 1953.
(25) André Laurendeau, "Ce soir, dans Laval-Deux-Montagnes...", Le Devoir, 20 décembre 1948.