Pour la création de chaires de recherche sur le Québec

GÉRARD BEAUDET

Le Québec pourra du reste s’inspirer d’expériences étrangères : en Suède, les ministères accueillent et financent des étudiants en thèse sur des enjeux fondamentaux pour ces ministères. Voilà une façon simple et efficace de former une relève qui prendra le chemin soit de la recherche universitaire, soit du service public.

Connaître le Québec pour mieux le bâtir

Pour la création de chaires de recherche sur le Québec

Les auteurs:


GÉRARD BEAUDET
professeur, Institut d’urbanisme, Université de Montréal
MARC CHEVRIER
professeur, Département de science politique, UQAM
CATHERINE CÔTÉ
professeure, École de politique appliquée, Université de Sherbrooke
ALAIN G. GAGNON
Professeur de science politique à l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Études québécoises et canadiennes
GUY LACHAPELLE
Professeur de science politique, Université Concordia
STÉPHANE PAQUIN
Fulbright Distinguished Chair in Quebec Studies, State University of New York, professeur à l’ENAP et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique internationale et comparée



Le Québec vient de connaître un grand débat sur l’avenir de ses universités, qui, pour l’essentiel, a porté sur les droits de scolarité, et très peu encore sur les missions de ces établissements et les orientations de la recherche qui s’y fait. Depuis la Révolution tranquille, les universités québécoises ont pris un net essor et participé au relèvement de l’instruction générale, faisant ainsi entrer le Québec parmi les sociétés du savoir, à tel point que dans plusieurs domaines la recherche québécoise soutient la comparaison avec celle des grandes universités. Elles ont aussi contribué à faire en sorte que le Québec se connaisse lui-même, qu’il puisse interroger son passé comme le présent et l’avenir, au moyen des principales disciplines du savoir, qui ont examiné le Québec comme territoire, paysage, écosystème, habitat, société, économie, population, culture, histoire, langue, État, démocratie, etc.


Or, un constat s’impose : bien que les universités comptent encore des chercheurs chevronnés dont les études ont mis le Québec à l’avant-plan, la connaissance du Québec souffre d’énormes lacunes. Dans plusieurs disciplines, le Québec a disparu de l’horizon des recherches actuelles, au profit de problématiques tournées vers l’international et les études comparées. Ce tournant des sciences sociales, qui n’est certainement pas une mauvaise chose en soi, s’est fait malheureusement au détriment des études sur le Québec. On constate aussi que, dans une discipline qui a donné au Québec de grands interprètes de son passé, il se trouve dans ses universités très peu de professeurs, sinon aucun, pour approfondir certaines époques critiques de son histoire, la période des rébellions, la Guerre de Sept ans, etc. Dans plusieurs autres disciplines, la relève ne semble plus au rendez-vous, tandis que des professeurs prennent leur retraite sans trop savoir si le fruit du travail de toute une carrière s’évanouira dans l’indifférence la plus totale. Ce déclin des études québécoises se ressent sur les conférences et les publications sur le Québec, dont le nombre stagne ou diminue. Des jeunes chercheurs se font même dire qu’il est préférable pour leur carrière de ne pas se spécialiser seulement sur le Québec ou de publier uniquement en anglais.


Cet effacement des études sur le Québec dans les universités québécoises survient à un moment charnière dans l’histoire de l’État québécois. De nombreux fonctionnaires de carrière prennent leur retraite ou la prendront d’ici peu. La crise des finances publiques a raréfié le nombre de spécialistes et de penseurs oeuvrant au sein de l’État québécois. Affairée à gérer les divers programmes de l’État, l’administration publique nourrit trop peu de réflexions stratégiques sur des enjeux qui intéressent le bien-être et l’avenir du Québec : la réforme de l’administration publique, la politique universitaire, le développement du Nord, les impacts des changements climatiques sur le Québec, la décarbonisation de notre économie, l’urbanisme et l’architecture, les divers aspects des relations du Québec avec les États-Unis, son principal partenaire commercial. Trop de fois dans les dernières années, les citoyens ont eu l’impression que le gouvernement du Québec improvisait et ne disposait pas du recul suffisant pour agir et penser à long terme.


Il nous paraît évident que si les universités québécoises ont pour mission d’inscrire le Québec dans le mouvement universel du savoir, elles doivent aussi participer activement à la connaissance de la collectivité qui les a instaurées et soutient à leur profit un effort considérable. Ainsi, il incombe à l’État du Québec, responsable de la politique universitaire, de veiller, dans le respect de l’indépendance de la recherche, à ce qu’il y ait dans ses universités une masse critique de chercheurs et de professeurs dédiés à l’étude du Québec dans ses dimensions fondamentales, de même que de toute question qui sert les intérêts névralgiques du Québec. On a déjà proposé, ça et là, la création de chaires particulières. Il nous faut un programme d’ensemble, cohérent et complet, capable de maintenir dans toutes les universités québécoises une recherche de haut niveau sur le Québec. L’administration de ce programme, dont les priorités auraient été fixées après des consultations auprès du milieu de la recherche, pourrait être confiée au Fonds de recherche Société et Culture du Québec, en s’inspirant notamment des Chaires de recherche du Canada. Les chaires du Québec viseraient notamment toutes les disciplines des sciences sociales et humaines, ainsi que l’administration publique et le droit.
L’État du Québec ne devrait pas se contenter d’être un simple bailleur de fonds de ce programme, il lui revient d’identifier des thèmes stratégiques et les domaines où la création de telles chaires importe, dans l’intérêt général du Québec. Il pourrait aussi voir à ce que, outre l’avancement des connaissances, ces chaires poursuivent une ambition de vulgarisation auprès du public et de transfert de leur expertise vers l’Administration, à charge pour les ministères de mieux intégrer les travaux des chaires dans leurs activités.


Le Québec pourra du reste s’inspirer d’expériences étrangères : en Suède, les ministères accueillent et financent des étudiants en thèse sur des enjeux fondamentaux pour ces ministères. Voilà une façon simple et efficace de former une relève qui prendra le chemin soit de la recherche universitaire, soit du service public. On notera que contrairement à son vis-à-vis fédéral, l’État québécois n’a pas de programme pour intégrer dans sa fonction publique les jeunes diplômés talentueux et les faire progresser rapidement dans leur carrière, programme qui, à Ottawa, assure un recrutement de haut niveau. Bref, le Québec a tout un chantier devant lui : créer une société du savoir, c’est aussi favoriser une société qui se connaît elle-même, pour mieux se situer dans le temps et dans le monde. La situation des finances publiques n’incite certes pas à de nouveaux investissements, mais l’inaction pourrait nous coûter plus cher encore.




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