Maladie d'Alzheimer et esprit de dépouillement

Denise Lallich

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- Quel regard portez-vous sur l'évolution de la maladie ?

J'ai tendance à me représenter ma tête comme une grande bibliothèque, qui s'est chargée de livres peu à peu. Au début de la maladie, le cerveau de mon mari imprimait de moins en moins, c'est-à-dire moins régulièrement et en faisant des erreurs. C'était la perte de la mémoire immédiate. Puis la recherche des volumes déjà imprimés est devenue de plus en plus difficile. Il est arrivé un moment où cette recherche est devenue désordonnée. Les connaissances se présentaient en désordre ou au mauvais moment, comme s'il y avait des ratés dans son système de fiches. Puis j'ai eu l'impression qu'il avait perdu son fichier...

(…)

- Vous posez la question vous-même : En face d'un corps déserté par la conscience, que reste-t-il

Face à une personne qui ne peut plus témoigner elle-même par sa parole, c'est aux autres de témoigner. Ils deviennent les garants de cette personne-là. Nous qui l'avons aimé devenons plus particulièrement ses garants. Quand le malade ne peut plus assurer lui-même sa dignité, c'est notre regard qui la lui restitue.

Nous devons admettre que l'être aimé s'éloigne de l'image que nous avions de lui.

(…)

Le malade d'Alzheimer, même s'il est encore jeune, a le sentiment d'une perte de capacité et même d'identité. Cela induit des pensées mortifères, qu'il exprime souvent au début de sa maladie. Nous devons l'aider à retrouver la cohérence de sa vie, en jetant un regard nouveau sur le passé pour raccorder les morceaux entre eux, se souvenir des bonheurs et lutter contre les regrets. A nous de le réconcilier avec lui-même en manifestant notre conscience de la richesse de sa vie, en le renvoyant à un passé positif. Il faut vivre avec le malade dans la vérité. Si on le respecte, il faut lui parler, même si nous ne savons pas ce qu'il entendra et comment il l'entendra.

- Vous avez vécu cette vie nouvelle avec votre époux dans un certain "esprit de dépouillement". Pouvez-vous préciser ?

Il faut arriver à lâcher prise et à se faire aider, à faire confiance à d'autres. Il y a un certain parallélisme entre le chemin du malade et le nôtre : il perd peu à peu son emprise sur les êtres et les choses, sa capacité de comprendre une situation, de la dominer. Nous devons admettre ce tournant pris par notre vie, que nous n'avons pas choisi, et que l'être aimé s'éloigne de l'image que nous avions de lui. C'est une école d'humilité, si nous pouvons assumer ces pauvretés qu'il m'est arrivé de ressentir comme des humiliations...

- Comme chrétienne, vous avez pu méditer dans l'épreuve, avec le Seigneur...

Quand Jésus est venu habiter parmi les hommes, il est venu sous la forme d'un enfant démuni, sans pouvoir et sans parole. Le "dément", peu à peu privé de parole, rejoint ce mystère. Il n'est plus rien, puisque certains se demandent même si c'est encore un homme. C'est bien une forme de crucifiement. Et nous, nous sommes au pied de la Croix. (…)
 




Lettre de L'Agora - Printemps 2025

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