L'université: Macdo, boulot, dodo

Jacques Dufresne

En toute logique l'État aurait intérêt à investir davantage en éducation à la condition de s'assurer que l'étudiant consacre une part croissante de son énergie à sa vie intellectuelle.

La question du travail rémunéré des étudiants est reléguée au énième rang dans le débat en cours au Québec sur les universités et l’éducation dans son ensemble. On pourra lire ailleurs sur ce site un article que j’écrivais, il y a vingt ans sur le sujet. La situation ne s’est manifestement pas améliorée depuis lors à en juger par le communiqué paru dans Le Devoir du 6 février 2013. «Ce qui inquiète surtout les chercheurs, c’est le nombre d’heures travaillées par les étudiants. En moyenne, les étudiants québécois âgés de 15 à 24 ans consacrent 15 heures par semaine à l’exercice d’un emploi rémunéré. C’est une heure de plus que la moyenne canadienne. Les fédérations étudiantes et les commissions scolaires s’entendent pour dire que les étudiants ne devraient pas consacrer plus de 15 heures par semaine à occuper un emploi rémunéré afin de ne pas nuire à leur scolarité. Or, selon l’étude, un quart des étudiants québécois travaillent plus de 15 heures. Et certains y consacrent beaucoup plus de temps : un étudiant à temps plein sur 10, soit quelque 25 000 jeunes Québécois, travaille 25 heures et plus par semaine, selon les résultats de l’étude.»

À en juger par les résultats scolaires selon le nombre d'heures de travail rémunéré par semaine, cette situation au premier abord ne semble pas inquiétante. Seuls ceux qui travaillent plus de 20 heures par semaine sont en dessous de la moyenne de façon significative. Il faudrait plutôt s'inquiéter du fait que le travail rénuméré n'ait pas plus d'impact sur les résultats. Cela pourrait signifier que les maisons d'enseignement ajustent leurs exigences au temps qu'il reste aux étudiants une fois leur travail rémunéré terminé. Primum vivere! Le reste, dira-t-on, est une question d'opinion philosophique: certains sont convaincus que le travail rémunéré fait partie de la formation, qu'il donne le sens du réel; d'autres, associant le travail rémunéré au travail servile que méprisaient les Anciens, trouveront la situation actuelle déplorable. D'autres enfin la trouveront également déplorable parce que, diront-ils, loin de chercher dans le travail un complément à leur formation intellectuelle, les étudiants aspirent à devenir consommateurs avant même de se donner la peine de devenir des hommes. Photo: Demotivate me. «Si vous bossiez dans un fast-food au lieu d'étudier, vous seriez déjà au lit.»

Mais voici deux questions plus fondamentales. Le travail rémunéré n'annule-t-il pas l'une des plus belles conquêtes de la civilisation: le loisir des jeunes? Libérer les jeunes du travail servile pour leur permettre de s'adonner à l'étude et autres activités gratuites, c'est l'un des buts auxquels on a reconnu le progrès social au cours des siècles. Le travail à la chaîne chez MacDo ou chez Tim Horton a beau être volontaire, il n'en est pas moins servile. Il en résulte ce paradoxe: notre étudiant peut se procurer un Ipod et s'indigner ensuite du fait que ce sont des adolescents qui l'ont fabriqué chez Foxconn. «Le fast-food, dit le Causeur, est la providence des étudiants pauvres et des mères célibataires sans diplômes. On commence à y manger parce que c’est pas cher et on finit dans les cuisines à fabriquer à la chaîne du cheese burger accompagné d’un Coca XXL.»

Reste la question cruciale de la vie intellectuelle. Une vie intellectuelle authentique est-elle possible dans ces conditions? La vie intellectuelle est une tension de tout l'être qui ne se laisse pas enfermer dans un cadre horaire, elle se poursuit même pendant le sommeil. Certes, elle appelle des moments de ressourcement comme les repas et les exercices sportifs, mais un travail à la chaîne dans un restaurant ne peut que l'entraver, lui dérober une énergie dont elle aurait besoin pour échapper à la médiocrité.


Cela soulève le problème de la fin assignée aujourd'hui aux universités. Cette fin hélas! n'est pas la vie intellectuelle, avec la liberté qu'elle suppose et qu'elle donne, c'est l'accès à la consommation et au marché du travail. Gardons-nous bien toutefois d'en conclure que le monde universitaire ressemble de plus en plus au monde des affaires. Quand un État investit 8,000, 12,000 ou 20,000 $, selon les facultés et les niveaux, dans les études d'un jeune, il n'a pas intérêt à ce que ledit jeune ne consacre qu'une part décroissante de son énergie aux études. En toute logique, l'État aurait intérêt à investir davantage en éducation à la condition de s'assurer que l'étudiant consacre une part croissante de son énergie à sa vie intellectuelle.

1- Jacques Roy, Recherches sociographiques Volume 49, numéro 3, septembre-décembre 2008, p. 501-521.

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