L’expérience limite de l’honneur

Frédéric Boyer

Quel est « l’idéal du moi » chevaleresque qui ressort de la Chanson de Roland?

F.B. D’abord, il y a les deux personnalités complémentaires de Roland et d’Olivier, qui forment ensemble une figure chevaleresque complète, dans la situation du combat. Roland, c’est le courage jusqu’à la témérité, l’amour de la bataille, et même un goût pour la violence qui est l’ancêtre de la furia francese des guerres d’Italie. Olivier, c’est la sagesse, la modération. L’équilibre entre les deux sera recherché, et commenté, comme un forme d’idéal du chevalier.

Et puis il y a cette idée clé de la communauté de sympathie, de la bande de copains, de l’amitié que les combattants expriment les uns envers les autres. Au-delà du cercle des combattants, la figure chevaleresque s’inscrit aussi dans toute la communauté : c’est une figure de sa force et de sa solidarité.

Ensuite, il y a le respect de l’adversaire, de son courage, de sa valeur. Il est souvent souligné dans la Chanson. Au-delà du principe de respect, il y a cette expérience concrète de la bataille qui fait que, plus on avance vers l’adversaire, plus la haine qu’on éprouve pour lui tombe.

C’est aussi cette question très mystérieuse pour nous de l’honneur, qui est évidemment un sentiment extrêmement important à l’époque, sans lequel la figure chevaleresque n’est pas pensable. La question décisive que pose le récit, c’est : pourquoi Roland ne sonne-t-il pas du cor? La réponse, c’est qu’en le faisant, il serait déshonoré, et les siens, sa famille, sa descendance, avec lui. L’honneur lui commande d’aller jusqu’au bout, jusqu’à sa mort. Cet honneur se construit contre sa faiblesse, qui serait d’appeler au secours. Roland, c’est l’expérience limite de l’honneur.

Frédéric Boyer, « L’expérience limite de l’honneur ». Propos recueillis par Marin de Viry, Marianne, 9-15 février 2013, p. 60.
 




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