Les Jeux de Sotchi

Michel Caillat

Nous sommes le 3 février 2014, sur le point de publier notre bulletin mensuel, La lettre de l'Agora, quand un ami attire notre attention sur un livre paru en Fance le 31 janvier 2014 sous le titre: Sport: l'imposture absolue, aux Éditions Le Cavalier Bleu. Voici un passage de ce livre suivi de la table des matières.

 

Sotchi, symbole de « l'idéal olympique »

 Le 4 juillet 2007, la ville de Sotchi est élue par les membres du CIO pour organiser les Jeux olympiques d'hiver 2014 face à ses rivaux Pyeongchang (Corée du Sud) et Salzbourg (Autriche). Le choix surprend qui n'aurait en tête que la situation géographique de la ville. Située au bord de la mer Noire, dans la partie russe du Caucase, Sotchi est une station balnéaire qui compte près de 400 000 habitants. Son dossier s'appuie sur l'organisation des épreuves dans deux zones : la zone côtière et la zone de montagne situées à 48 km l'une de l'autre, soit à une trentaine de minutes en train par le biais d'une nouvelle ligne ferroviaire. Le parc olympique en bord de mer est réservé aux cérémonies et aux sports de glace (patinage, hockey), et les sites en montagne accueillent les disciplines de neige ainsi que le bobsleigh, la luge et le skeleton.

 Les dirigeants politiques et sportifs russes ne cachent pas que les Jeux (du 7-23 février 2014) doivent permettre à Sotchi de devenir une destination mondiale, ultra moderne, ouverte au tourisme et au commerce en toute saison. Ils sont présentés comme les plus avancés techniquement, propres et respectant les valeurs de l'olympisme.

 Ces premiers Jeux d'hiver pour la Fédération de Russie rappellent pourtant très vite les Jeux d'été tenus en Union soviétique, à Moscou en 1980. Les critiques d'ordre économique et écologique se multiplient, et beaucoup de voix s'élèvent pour dénoncer la dérive dictatoriale du Président Vladimir Poutine. Des appels au boycott se font entendre à l'approche de la « grande fête universelle. »

 Sur le plan économique, les jeux font grincer les dents de ceux qui constatent qu'ils sont les plus chers de l'Histoire. Le budget initial compris entre 9 et 12 milliards de dollars a explosé pour atteindre 36 à 38 milliards de dollars. Plusieurs raisons expliquent ce montant colossal : l'absence d'infrastructures de la ville choisie (72 ouvrages, sportifs ou non, sont construits), des devis élevés mais surtout des pots-de-vin records. Selon les estimations entre 30 et 50 % des fonds se sont perdus en corruption ! Au-delà de ce coût, ces Jeux ont aussi un autre prix : la mainmise d'une poignée d'oligarques milliardaires sur les travaux, le droit du travail bafoué, des travailleurs exploités, mal payés voire non payés, et des habitants expulsés. Victimes d'expropriations, ces derniers s'estiment lésés par un prix de rachat de leurs terres nettement au-dessous de celui du marché ; ils en veulent aux membres du CIO, parmi lesquels Jean-Claude Killy, qu'ils ont rencontrés dès 2009 : « Ils nous ont dit que nos droits seraient respectés. Ce n'est pas le cas. »

 Sur le plan écologique, beaucoup de choix sont jugés suicidaires par des associations qui parlent de désastre environnemental en voyant certains chantiers dévaster une partie des forêts et des parcs côtiers.

La contestation politique est la plus forte et la plus relayée médiati-quement en dehors du pays organisateur. Dans son émission du 10 octobre 2013, « Du Grain à moudre » sur France Culture, Hervé Cardette pose la question : « Qui osera encore défier Poutine ? » Il fait état dans son introduction d'une lettre de Nadezhda Tolokonnikova, l'une des membres des Pussy Riot, condamnée à 2 années de camp en 2012 pour avoir interprété une « prière » antiPoutine, dans laquelle elle décrit les conditions de détention : des journées de travail qui commencent à 7h30 pour s'achever après minuit ; des conditions d'hygiène déplorables ; des repas qui se réduisent à du pain rassis, du millet exclusivement rance et des pommes de terre-toujours moisies. « Son témoignage renvoie instantanément à une époque où les dissidents allaient croupir au goulag. Comme si le système concentrationnaire soviétique n'avait jamais cessé d'exister » conclut le journaliste.

 Enfermement d'opposants en asile psychiatrique, intimidation envers celles et ceux qui osent contester le pouvoir en place, chasse aux travailleurs immigrés arrêtés et détenus dans des conditions inhumaines, droits de l'Homme bafoués quotidiennement, lois homophobes avec criminalisation de toute « propagande homosexuelle », mise en détention en septembre 2013 de militants de l'ONG Greenpeace pour avoir tenté d'aborder une plate-forme pétrolière du géant Gazprom, c'est dans cette Russie étouffante et liberticide que se préparent et se déroulent les Jeux de Sotchi.

 Quelques voix s'élèvent au cours de l'année 2013 pour demander au CIO d'envoyer un message clair aux autorités russes afin que les détentions abusives cessent, et que les Jeux olympiques ne soient pas un écran de fumée derrière lequel un pouvoir en place peut attenter aux droits humains. Un appel au boycott de ces « Jeux de la honte » est lancé au cours de l'année 2012 par le COBOSO (Comité pour le boycott des Jeux olympiques de Sotchi 2014) sans véritable écho malgré l'appel d'intellectuels (Jean Ziegler, Patrick Tort, Annie Le Brun, Louis Sala-Molins, etc.). Il faut attendre plus d'un an pour que la presse française se saisisse modestement de la question. « Faut-il boycotter les jeux olympiques d'hiver ? » s'interroge le quotidien Le Monde dans son édition du 19 août 2013. En 1980, période de la Guerre froide, un véritable débat sur la force d'un boycott avait eu lieu. Une trentaine d'années plus tard, le silence est dominant et les relais politiques et médiatiques pour se faire entendre manquent. Les hauts dirigeants (Barack Obama, David Cameron) et le gouvernement français par la voix de la ministre Valérie Foumeyron enterrent très vite l'idée d'un boycott en le jugeant inapproprié et en avançant l'éternel argument « qu'on peut mieux combattre les préjugés en participant plutôt qu'en boycottant ». Argument toujours démenti par les faits (les JO en Chine en 2008 en sont le dernier bel exemple). Quant à la position des athlètes soutenus par les structures fédérales, elle est simple et simpliste « Nous sommes sportifs. On se concentre sur les questions de sport. »

 En accueillant la flamme olympique début octobre 2013, Vladimir Poutine déclare : « Aujourd'hui est une journée joyeuse et solennelle. La flamme olympique, symbole des compétitions sportives mondiales majeures, symbole de paix et d'amitié, est arrivée en Russie et partira dans quelques minutes sillonner notre grand pays. Je suis sûr que le relais enflammera le cœur de millions de personnes. » Discours habituel d'un Président résolu à masquer derrière l'évocation des « valeurs olympiques » d'amitié, de fraternité, de tolérance et d'égalité, une politique répressive dénoncée régulièrement par toutes les organisations de défense des libertés (Amnesty international, Human Right Watch ou Reporters sans frontière). Le philosophe Vladimir Jankélévitch écrivait : « Les questions morales passent tout de même avant les questions musculaires. » Malheureusement, à Sotchi comme ailleurs (Berlin, Moscou, Pékin), la question dite sportive (comme si le sport pouvait être extrait de son environnement politique économique et social) l'emporte. La paix olympique est une fois encore la paix des prisons et la paix des cimetières.

 

SOMMAIRE
Introduction

Une trop belle histoire
– « L’activité physique n’est pas le sport. »
– « Le sport a toujours existé. »
– « La compétition est naturelle. »
– « Le sport fait partie de la culture. »
– « Le sport est éducatif. »

Esprit où es-tu ?
– « Il y a trop d’argent dans le sport. »
– « La corruption menace l’intégrité du sport. »
– « Le fair-play est l’essence du sport. »
– « Le dopage est une atteinte à l’éthique sportive. »

Le record de leurres
– « Le sport est bon pour la santé. »
– « Le sport prend en compte l’intérêt des enfants. »
– « La pratique du sport est une victoire des femmes. »
– « Le sport est un bon remède contre les maux de la société. »
– « La politique doit être bannie du sport. »
– « Le sport est intrinsèquement beau, pur et loyal. »

Conclusion

Annexes
Glossaire
Les principaux sigles et acronymes utilisés
Pour aller plus loin




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