Le transhumanisme selon Rémi Sussan

Philippe Labrecque

Journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies et ses différentes influences et mouvements, Rémi Sussan est une référence en France sur l’impact de la fusion entre la technologie, l’espace numérique et l’humain. Auteur du livre Les Utopies Post-humaines paru aux éditions Omnisciences, Rémi Sussan nous parle donc de transhumanisme, ce courant d’idées des plus futuristes.

 Transhumanisme : Science ou science-fiction?

La science-fiction fait partie intégrante de la culture populaire. Que ce soit les trilogies de La Matrice, Star Wars ou même l’œuvre de Jules Vernes, rares sont ceux qui n’ont pas été confrontés à cette vision du futur où l’existence de l’homme devient indissociable de la technologie.

La science-fiction nous force à nous poser des questions philosophiques sur l’avenir de notre relation avec la machine. L’idée que l’homme transcendera son enveloppe corporelle et biologique tout comme son existence limitée par la mort grâce à la technologie, n’est que science-fiction pour certains, mais pour d’autres, c’est une prédiction qui génère un mouvement culturel. Rémi Sussan dit même que le transhumanisme est un « courant d’idées qui consiste à prendre la science-fiction au sérieux ».

Rémi Sussan fait un retour en arrière jusqu’aux années 60 en plein cœur du mouvement de la contre-culture pour explorer les racines du transhumanisme. Ce dernier est défini comme « l’idée du dépassement de la nature humaine par la technologie » par notre invité et serait un courant culturel qui découlerait du mouvement de la contre-culture, des hippies et de leurs quêtes de modification de la nature humaine. Rémi Sussan précise que ceux qui remplissent les rangs des transhumanistes sont « les enfants de la science-fiction », cette dernière étant devenue un genre littéraire reconnu dans les années 30.

Qu’est ce que la Singularité?

Un des concepts les plus intéressants, mais aussi des plus perturbants du transhumanisme est la singularité. L’usage du terme “singularité” est généralement attribué à Vernor Vinge, mathématicien à l’université de San Diego State, en Californie. Ce dernier est l’auteur d’un rapport intitulé : “La Singularité technologique qui s’annonce” : Comment survivre dans l’ère posthumaine, dans lequel il prédit l’avènement de la singularité : “Dans trente ans, nous aurons les moyens technologiques pour créer l’intelligence surhumaine. Peu de temps après, l’ère humaine sera terminée.”

Pour Rémi Sussan, il y a deux définitions de la singularité, une définition faible et une définition forte. La première version faible où “les technologies s’accélèrent à une telle vitesse qu’on va rentrer dans un domaine ou tout devient imprévisible”, mais d’après le journaliste parisien, nous vivons déjà cette imprévisibilité de la technologie, alors à quoi bon un tel concept?

La version forte par contre, nous rapproche d’un futur posthumain comme la science-fiction aime à dépeindre. Ce futur est celui d’une forme de superintelligence qui devient incontrôlable et imprévisible. Pour le meilleur ou pour le pire.

Rémi Sussan définit la notion forte de la singularité, représentée par Vernor Vinge, comme “une variable particulière, l’intelligence, qui va se retrouver accélérée, notamment sous l’influence de l’intelligence artificielle, mais d’autres technologies comme la modification du cerveau et la fusion homme-machine.” On parle bien ici d’une intelligence qui aurait la capacité de se modifier elle-même pour s’améliorer et même créer sa “propre progéniture” d’après Rémi Sussan.

Les scénarios ne sont pas tous apocalyptiques comme nous dit Rémi Sussan. Bien sûr le scénario ‘Terminator’ est craint par certains, mais d’autres prédisent une fusion presque harmonique entre l’homme et la machine ou même une machine séparée de l’être humain qui nous serait bénéfique, précise Rémi Sussan.

De la contreculture à la cyberculture.

Toutes ces prédictions sont bien sûr hypothétiques. Nul ne peut prédire le futur et même Vernor Vinge admet que la singularité pourrait très bien ne pas avoir lieu. Malgré tout, Vernor Vinge reste dans le cadre de la science, donc du doute. Certains, par contre, ont transformé ces prédictions futuristes en mouvement culturel, pour ne pas dire un culte et en évangélisme dans certains cas.

Les racines des ces apôtres de la cyberculture pourraient surprendre. En effet, la cyberculture trouve ses racines au sein de la contre-culture des années 60-70 et du mouvement hippie comme le démontre Rémi Sussan dans son livre. La fin du mouvement hippie dans les années 70 mena certains de ses membres comme John Lilly, chercheur-inventeur, ou l’auteur Ken Kesey “à se lancer dans des idées très futuristes” d’après Rémi Sussan.

Le futurisme et la science-fiction avaient déjà leurs places au sein même du mouvement hippie alors que ces derniers lisaient “des bouquins de science-fiction et non les grands textes sacrés comme on aurait pu s’imaginer” comme dit Rémi Sussan qui paraphrase le célèbre auteur Robert Anton Wilson.

La science-fiction nourrissait donc la contreculture des années 60-70 et ces hippies ont fondé ce nouveau mouvement culturel étant la cyberculture. Des grands noms du mouvement hippie tels Timothy Leary, professeur universitaire, mais aussi “apôtre du LSD qualifié d’homme le plus dangereux en Amérique” d’après le Président Nixon; Steward Brand inventeur de l’expression “Personal Computer” et une des personnes derrières le magazine culte de la cyberculture Wired et John Perry Barlow, parolier du Grateful Dead, “le groupe hippie par excellence” et fondateur du Electronic Frontier Foundation, démontrent que “ce sont les mêmes personnes qui sont passées de la période hippie à la période cyberculture qui a pris place en Californie dans les années 80” précise Rémi Sussan.

 

 

Un mouvement culturel qui s’essouffle?

Le cliché du hippie devenu adepte de la technologie est bien sur le fondateur d’Apple, Steve Jobs, mais comme l’indique Rémi Sussan, des milliers de Californiens sont passés de “hippies à yuppies (jeunes professionnels urbains)” dans les années 80. N’empêche que Steve Jobs représente d’une certaine façon l’évolution d’une frange de la génération précédente, mais il semble que ce courant culturel hippie renouvelé en cyberculture ne soit pas adopté par la nouvelle génération.

Le passéisme ambiant de la génération Y se reflète “dans les derniers rejetons de la cyberculture qui est une culture beaucoup plus "noire" d’après Rémi Sussan. Ces “rejetons” de la cyberculture comme la culture du chaos, le contre-marketing, la manipulation de média et le jeu en réalité alternés démontrent un mouvement qui s’épuise indique l’auteur.

Tout mouvement culturel évolue avec le temps et il semble que notre futur soit indissociable de l’avancée technologique dont nous sommes témoins. Si la cyberculture représente un rapport particulier avec la technologie et le futur, nous voyons bien comment notre rapport avec la technologie change notre interaction avec la société et le monde. Nous n’avons qu’a penser au rôle de Facebook et Twitter lors des révolutions de Jasmins ou du cyber-activisme de Julian Assange, fondateur de wikileaks ou bien le groupe de hackers activistes Anonymous.

Il semble donc que les anciens hippies devenus futuristes avaient compris que notre rapport à la technologie ne pouvait qu’évoluer et même nous définir dans un futur pas si lointain. Un futur qui nous dira si nous pourrons développer un rapport sain avec la technologie alors que cette dernière prend une place sans cesse grandissante dans nos vies.

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