L'amère Weil

Nicolas Vimar

La vie de Simone Weil a de quoi fasciner. L'acharnement de cette jeune philosophe à vivre en conformité avec ses principes fait d'elle une personne hors-norme. Reste à redécouvrir sa philosophie. 

Quelle étrange admiratrice de Léon Trotsky que Simone Weil qui écrivait, pendant la guerre d'Espagne, à Bernanos : Vous êtes royaliste, disciple de Drumont - que m'importe ? Vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon . Dès l'âge de 20 ans, elle milite pour améliorer les conditions de la vie ouvrière et fréquente des dissidents du PCF. Quarante ans avant les établis maoïstes des seventies, la brillante élève de Normale Sup range dans sa poche son agrégation de philo pour travailler comme manoeuvre chez Renault (1934-1935). En 1936, elle s'engage dans les Brigades Internationales. Exclue de l'Université en 1941 en raison de ses origines juives, elle partage le temps des vendanges, chez son ami maurrassien Gustave Thibon, la dure vie des ouvriers agricoles puis rejoint la France Libre. A Londres, elle rêve d'une Résistance qui soit les prémices d'une France nouvelle. Pour elle et ses amis, des gens comme Bernanos ou Maurice Schumann, la France Libre est avant tout une mystique. Il s'agit d'insuffler à la France combattante une inspiration spirituelle pour une nouvelle civilisation . Atteinte d'une tuberculose, elle n'accepte que le minimum des soins par compassion pour le peuple français. Elle meurt en 1943.

Mais ce personnage héroïque est secondaire. Celle qui recherchait le lien mystique est devenue une vedette de l'héroïsme et du sacrifice et il y aurait beaucoup à dire sur cette stérilisation par l'idolâtrie, soulignait Thibon. Le mérite de la biographie de Simone Pétrement est de nous révéler avant tout la philosophe politique et la mystique. Par certaines outrances la mystique peut agacer. La lectrice de Guénon fatigue à force d'inexactitudes historiques et d'allégeances gnostiques. Son helleno-christianisme qui voit des précurseurs du Christ partout sauf chez les Juifs est peu convaincant. Sa vision d'une Eglise pervertie par Rome, sauvée un temps par le sursaut cathare, révèle un platonisme exclusif. En revanche, la philosophe de L'Enracinement compte parmi les plus belles pages du socialisme français depuis Proudhon et Sorel. Son refus de l'utilitarisme lui permet de conserver le meilleur de Marx et de renvoyer dos à dos individualisme et collectivisme. Ses Réflexions préfigurent certaines pages de La Société du Spectacle en faisant de la déréalisation la cause première de l'oppression au sein du gros animal social. Cette coupure fondamentale entre l'homme et sa vie est due aux rapports de production mais aussi à un tryptique diabolique : Argent, machinisme, algèbre. Les trois monstres de la civilisation actuelle. Autant d'écrans entre l'homme et la réalité, d'où une crise de civilisation sans précédent : l'aventure de Descartes a mal tourné . Mais ce pessimisme est rempli d'espérance. D'où nous viendra la renaissance, à nous qui avons souillé et vidé tout le globe terrestre ? Du passé seul si nous l'aimons .

Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, Folio, 151 p., 35 F.
Simone Pétrement, La vie de Simone Weil, Fayard, 707 p., 198 F. 




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