La vraie richesse des spectacles

Alain
En voyage, le philosophe prend la contemplation pour guide.
En ce temps de vacances, le monde est plein de gens qui courent d'un spectacle à l'autre, évidemment avec le désir de voir beaucoup de choses en peu de temps. Si c'est pour en parler, rien de mieux; car il vaut mieux avoir plusieurs noms de lieux à citer; cela remplit le temps. Mais si c'est pour eux, et pour réellement voir, je ne les comprends pas bien. Quand on voit les choses en courant, elles se ressemblent beaucoup. Un torrent, c'est toujours un torrent. Ainsi, celui qui parcourt le monde à toute vitesse n'est guère plus riche de souvenirs à la fin qu'au commencement.

La vraie richesse des spectacles est dans le détail. Voir, c'est parcourir les détails, s'arrêter un peu à chacun, et, de nouveau saisir l'ensemble d'un coup d'oeil. Je ne sais si les autres peuvent faire cela vite, et courir à autre chose, et recommencer. Pour moi, je ne le saurais. Heureux ceux de Rouen qui, chaque jour, peuvent donner un regard à une belle chose et profiter de Saint-Ouen, par exemple, comme d'un tableau que l'on a chez soi.

Pour mon goût, voyager, c'est faire à la fois un mètre ou deux, s'arrêter et regarder de nouveau un nouvel aspect des mêmes choses. Souvent, aller s'asseoir un peu à droite ou à gauche, cela change tout, et bien mieux que si je fais cent kilomètres.

Si je vais de torrent à torrent, je trouve toujours le même torrent. Mais si je vais de rocher en rocher, le même torrent devient autre à chaque pas. Et si je reviens à une chose déjà vue, en vérité elle me saisit plus que si elle était nouvelle, et réellement elle est nouvelle. Il ne s'agit que de choisir un spectacle varié et riche, afin de ne pas s'endormir dans la coutume. Encore faut-il dire qu'à mesure que l'on sait mieux voir, un spectacle quelconque enferme des joies inépuisables. Et puis, de partout, on peut voir le ciel étoilé; voilà un beau précipice.

À lire également du même auteur

Vitesse
J'ai vu une des nouvelles locomotives de l'Ouest, plus longue encore, plus haute, plus simple que les autres ; les rouages en sont finis comme ceux d'une montre ; cela roule presque sans bruit ; on sent que tous les efforts y sont utiles et tendent tous à une même fin ; la vapeur ne s'en éc

Rabelais
Je me mets à lire tout ingénument. Je suis saisi par un tumulte de mots. Que signifie? On dirait que l'écrivain se plaît à faire entendre la langue. La variété, l'extraordinaire l'emportent. Il ne se soucie point du sens; un son en attire un autre; ce n'est point ressemblance qu

Politesse et lieu commun
(...) Mais dans nos cercles de bourgeoisie, où les femmes sont assises, où le timide trouve respect et asile, où la parenté, les intrigues, les intérêts tendent leurs invisibles fils, où la première loi n'est pas de plaire, mais bien de ne pas déplaire, on comprend que la

On parle mal de George Sand
Attention : Texte du domaine public au Canada; il est cependant protégé par le droit d'auteur en France et dans les pays de l'Union européenne.***On parle mal de George Sand. C'est une mode qui ne finit point. Ceux qui ont lu ses Mémoires savent qu'elle fut une saison à Majorque avec

Molière
Il est agréable de penser que Molière est célébré par tous, sans aucune hypocrisie. Ce puissant génie n'a nullement besoin de spectateurs jeunes, naïfs et purs ; mais n'importe quel homme, comédien de politesse, ou de littérature, ou de politique, le grand comique le fait

Mélancolie
Il y a quelque temps, je voyais un ami qui souffrait d'un caillou dans le rein, et qui était d'humeur assez sombre. Chacun sait que ce genre de maladie rend triste ; comme je le lui disais, il en tomba d'accord ; d'où je conclus enfin : « Puisque vous savez que cette maladie rend triste vou

Lire
« Si l’on veut corriger passablement des épreuves d’imprimerie, il faut se délivrer du sens, des constructions, de l’enchaînement, enfin de tout ce qui intéresse, de façon à percevoir les mots pour eux-mêmes, et dans leur structure usuelle. Souvent l’on dÃ

Les cloches de Pâques
Comme j'écoutais les cloches de Pâques, qui jouaient un gai carillon, je perçus comme une buée sonore autour de la chanson ; cela faisait une autre musique ; cela faisait de la musique ; car le carillon n'était qu'une chanson vulgaire ; et les coups de cloche rythmés, précipitÃ




L'Agora - Textes récents