La Catalogne: cap vers l'indépendance

Agusti Nicola-Coll

Ce texte est la mise à jour d'un article déjà paru dans la revue Relations.

Les élections au parlement de la Catalogne qui ont eu lieu le 27 septembre dernier avaient un caractère référendaire, étant donné le refus de l’État espagnol d'autoriser la tenue d'un référendum en bonne et due forme. Les deux listes électorales indépendantistes Junts pel sí (« Ensemble pour le Oui », coalition de la droite et de la gauche indépendantistes), avec 62 députés, et la CUP (Candidature d’Unité populaire, rassemblant différents groupes indépendantistes de la gauche radicale), avec 10 députés, ont raflé ensemble une majorité absolue de 72 députés sur un total de cent trente-cinq.

Cette situation devrait permettre l’enclenchement d’un processus de rupture et sécession d’avec l’Espagne, tel que statué par le Parlement catalan qui a adopté une déclaration à cet effet le 9 novembre dernier.

La feuille de route prévoit, entre autres, l’ouverture d’un processus d’élaboration d’une Constitution avec une participation citoyenne et populaire, qui aboutira à la tenue d’un référendum, non pas sur l’indépendance de la Catalogne, mais sur une Constitution de la République de la Catalogne. Si celle-ci est approuvée, cela comportera de facto la proclamation de la Catalogne en tant que nouvel État totalement indépendant de l’Espagne. Ce référendum devrait avoir lieu avant la fin 2017, après les négociations de sécession avec l’Espagne, quel que soit le résultat de celles-ci.
Par ailleurs, pendant cette période de 18 mois, le gouvernement et le Parlement devront élaborer les structures d'État nécessaires pour que, le moment venu, on puisse passer de la législation espagnole à la législation catalane, et éviter ainsi un vide légal et juridique.
L’accession de la Catalogne à son indépendance politique pleine et entière, toutefois, n’est pas acquise pour autant. Trois défis majeurs l’attendaient suite aux élections du 27 septembre dernier.

Le premier, et non le moindre, a été la difficulté pour les indépendantistes de former un gouvernement issu des élections du 27 septembre. L’incapacité de la coalition Junts pel sí et de la CUP d’en arriver à une entente sur la nomination d’un chef de gouvernement – la CUP refusant de réélire Artur Mas au poste de président du gouvernement de la Catalogne. Ce blocage qui a duré trois mois a failli provoquer la tenue de nouvelles élections, la période légale pour constituer un gouvernement étant presque achevée. Finalement, un accord est intervenu le samedi 9 janvier et un nouveau président du gouvernement catalan fut élu le lendemain dans la personne de Carles Puigdemont , précédemment maire de la ville de Girona, au nord du pays. Néanmoins, les trois mois écoulés entre les élections et la nomination ont ont suscité une grande irritation et incompréhension dans la population indépendantiste catalane.

Le deuxième défi est aussi de taille : l’opposition de l’État espagnol. Toutes les forces politiques espagnoles dénoncent le processus entrepris par le Parlement catalan comme étant illégal et inacceptable, arguant que l’unité de l’Espagne ne peut ni ne doit être mise en question. Cette levée de boucliers presque unanime laisse supposer que l’État espagnol utilisera tous les moyens à sa disposition pour empêcher la sécession de la Catalogne.

Il y a tout d’abord les moyens légaux. Trois jours après l’adoption de la déclaration d’indépendance par le Parlement catalan, le Tribunal constitutionnel espagnol – à l’instigation de l’exécutif – jugeant cette déclaration inconstitutionnelle, l’a annulée. En réponse, le Parlement catalan a déclaré que les décisions du Tribunal constitutionnel ne s’appliquent plus sur le territoire catalan. Il pourrait s’ensuivre la suspension, par le Parlement espagnol, du statut d’autonomie catalane, ce qui n’aurait cependant pas d’effet puisque le Parlement catalan continuerait de siéger de façon souveraine, malgré le boycottage prévisible des partis non indépendantistes.

Également, l’État espagnol pourrait utiliser l’étranglement économique en retenant des transferts d’argent dus par Madrid au gouvernement catalan qui, rappelons-le, ne possède pas le droit de percevoir des impôts directement. Face à cela, le gouvernement catalan a mis sur pied son propre système de perception d’impôts, qui pourra entrer en vigueur une fois un nouveau gouvernement formé. Madrid pourrait aussi faire pression sur les fonctionnaires en poste en Catalogne, en les menaçant de ne pas payer leurs salaires ou de les poursuivre judiciairement s’ils « collaborent » avec le nouvel État catalan.

Depuis plus d’un an, l’État espagnol cherche aussi à obtenir une déclaration à l’effet qu’une Catalogne indépendante serait exclue de l’Union européenne. Suite à de multiples déclarations contradictoires de la part de certains hauts fonctionnaires de l’Union, le mot d’ordre est de ne plus émettre d’avis sur le sujet. Il s’agit là d’une victoire d’une grande importance pour la diplomatie catalane face à la diplomatie espagnole. Enfin, il restera toujours à Madrid la menace d’utiliser la force par intervention militaire ou policière, mais celle-ci n’a pas beaucoup de chances de se concrétiser, surtout parce que l’Union européenne ne l’accepterait pas. De plus, cette voie risquerait d’augmenter l’appui à l’indépendance au sein de la population catalane.

Si l’État espagnol refusait malgré tout de reconnaître l’indépendance de la Catalogne, celle-ci pourrait toujours, si nécessaire, refuser d’assumer sa part de la dette espagnole, ce qui provoquerait la banqueroute de l’Espagne, incapable de l’assumer toute seule. C’est de loin l’argument le plus fort des indépendantistes catalans.

Enfin, leur troisième défi sera d’accroître les appuis populaires à l’indépendance. En effet, même si les élections du 27 septembre ont donné une majorité absolue de députés aux indépendantistes, le pourcentage des votes clairement en faveur de l’indépendance a été de 47,8 %, avec un taux de participation de 70 %. Bien que ce soit un bon score, il faudrait l’augmenter en vue du référendum approuvant une Constitution catalane, afin d’assurer la plus grande légitimité possible au niveau national et international.

À ce sujet, il faut considérer le fait qu'une proportion non négligeable des gens ayant voté pour des listes électorales non indépendantistes sont quand même des partisans de l’indépendance (entre 5 et 7% des votes), mais qui ont donné priorité à la question sociale sur la question nationale. Lors d’un vote référendaire portant sur une constitution catalane, ils risquent donc fort de voter oui.

La détermination des indépendantistes catalans est toujours vivante et il faudra qu'elle le demeure pour aboutir, enfin, à l’instauration de la République catalane.

Lire aussi: la question catalane, par Marc Chevrier

 

 




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