En marche vers une France transhumaniste ou écologique?

Jacques Dufresne

En 2014, Laurent Alexandre, figure de proue du transhumanisme en France, notait que « Le nouveau clivage n’est plus entre la gauche et la droite, mais entre les transhumanistes et les bio conservateurs ». [1]Nous en étions venus à la même conclusion dans notre portail Homo Vivens. [2]

La France de 1789 a établi le modèle du clivage gauche droite. La France de 2017 établira-t-elle celui du clivage transhumanisme bio conservatisme? La nomination de Nicolas Hulot au poste de Ministre d’État à la transition écologique et solidaire rend la chose vraisemblable.

Le président Macron pourra-t-il rester au-dessus de la mêlée pour opérer une véritable synthèse? Barak Obama, l’une de ses sources d’inspiration, avait comme principaux alliés les reprogrammeurs de l’humanité de la Silicone Valley. On peut voir là un premier indice de la tentation transhumaniste du nouveau Président français : main sur le cœur, tête dans les algorithmes ?

Pour apporter un élément de réponse plus précis à notre question, nous donnerons un aperçu des visions du monde de trois personnes qui ont exercé une influence sur Emmanuel Macron au cours des dernières années.

Du côté transhumaniste : Laurent Alexandre et Jacques Attali. Si le premier  ne cache pas ses craintes sur les dangers auxquels le transhumanisme expose l’humanité, tout donne à penser que cette prudence ne sert qu’à renforcer son message progressiste.

Jacques Attali, l’homme au QI de 160, chose fort prisée dans le mouvement transhumaniste, a pris parti pour le marché, l’individualisme et la croissance plutôt que pour la solidarité avec les autres humains et avec la nature. On s’accorde à reconnaître en lui l’un des principaux mentors d’Emmanuel Macron.

Du côté écologique : le troisième homme du nouveau gouvernement, Nicolas Hulot. En plus d’avoir joué un rôle clé dans les récents accords de Paris, il a écrit la préface de l’édition française de l’Encyclique Laudato Si, laquelle contient de nombreux passages comme celui-ci : «Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice.»

Tout indique que le nouveau Premier Ministre, Édouard Philippe, résolument de droite et plus porté vers le gris du béton que le vert du climat sera l’homme du nouveau paradigme techno-économique. Il ne freinera pas l’élan du gouvernement vers le transhumanisme. La tâche de Nicolas Hulot sera difficile et la synthèse du Président encore davantage.

 Laurent Alexandre

Qui est donc est ce Laurent Alexandre qu’écoutait Emmanuel Macron ce 6 avril 2017? Comment interpréter le sourire de l’auditeur distingué? Approbation, admiration ? Sans doute, car un instant plus tôt ce bon élève prenait des notes.

Laurent Alexandre est le Ray Kurzweil français, ce dernier étant le grand prêtre du transhumanisme aux États-Unis.

Laurent Alexandre n’a qu’un regret : être né cinq ans avant que ne soit énoncée la loi de Moore (1965), selon laquelle la puissance des ordinateurs double tous les dix-huit mois. Place aux jeunes, car leur espérance de vie sera de 1000 ans ou de 500 ans selon les prophètes consultés. S’adressant personnellement à Emmanuel Macron, il précise ensuite sa pensée sur la médecine (je la résume) : il faut en chasser les gérontes comme moi et faire entrer à leur place des digital natives. Natives, ils risquent en effet de l’être au sens péjoratif du terme, car leur première tâche sera de faire de l’editing d’embryons, chose que 13 % seulement des Français approuvent contre 50% des Chinois. (Ici se glisse un sophisme non-dit : puisque les Chinois sont en avance, il faut leur donner raison!) Rappelons que l’un des buts de l’editing d’embryons est d’accroître les capacités intellectuelles des individus. Malheur à ceux qui auront en 2050 un quotient intellectuel inférieur à 150, dira Laurent Alexandre sur une autre tribune.

Autre tâche des digital natives : «la fusion de la santé et de l’éducation ». Entendons par là l’implantation dans le cerveau des enfants d’interfaces numériques dans le but encore une fois d’accroître leur quotient intellectuel.

Auteur de La mort de la mort, Alexandre est fasciné par la puissance des géants américains et chinois du numérique et ne voit d’avenir pour l’Europe, et à plus forte raison pour la France, que dans l’imitation, à petite échelle, des Google de ce monde. Au moment du sourire présidentiable que nous avons capté sur l’écran, Laurent Alexandre venait de déplorer le fait que le régulateur, vivant au rythme du Conseil d’État, ait beaucoup de mal à voir venir les tsunamis numériques et par suite, économiques. Il avait évoqué auparavant l’impact sur la santé de ce transhumanisme qui a des ambitions beaucoup plus audacieuses que celles de la médecine traditionnelle, celles qui résulteront du développement des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).

Jacques Attali

En 2014, Jacques Attali prédisait que le futur Président de la république élu en 2017 serait un inconnu. Quelques jours plus tard, il disait qu’Emmanuel Macron avait toutes les qualités pour devenir Premier ministre.[3] Qui est ce Nostradamus du numérique? Un homme qui avait toutes les cartes en mains pour faire en sorte que sa prophétie se réalise. Polytechnicien et énarque, il fut conseiller spécial de François Mitterrand de 1981 à 1991, puis fondateur et premier Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en 1991. Il a présidé en 2008, à la demande du président Sarkozy, la Commission pour la libération de la croissance française. Emmanuel Macron n’avait pas encore trente ans. Jacques Attali lui a tout de même confié la responsabilité de Rapporteur adjoint de ladite commission. Cet Attali, qui flottait par-delà la gauche et la droite, devait dire ensuite de son protégé :

« Emmanuel Macron ? C’est moi qui l’ai repéré. C’est même moi qui l’ai inventé. Totalement. À partir du moment où je l’ai mis rapporteur où il y avait le Tout-Paris et le monde entier et où je ne l’ai pas éteint, il s’est fait connaître. C’est la réalité objective. »[4]

Jacques Attali est-il lui aussi transhumaniste? On peut l’entendre sur cette question dans une longue émission [5]avec celui qu’il appelait cher Laurent. Les affinités entre les deux hommes sont manifestes. « Vers une humanité unisexe », c’est le titre d’un article que Jacques Attali écrivit dans Slate, le 29 janvier 2013. Voici l’un des commentaires qu’il a suscités : « Ce court document nous décrit une humanité mue par un désir d’égalité, de liberté et d’immortalité qui la pousse à se servir du progrès technique pour concrétiser ce désir… Le résultat ? Un monde de stricte égalité, d’indifférenciation, entre les sexes et les orientations sexuelles où la sexualité serait totalement séparée de la procréation, où les enfants seraient conçus par ectogenèse, c’est-à-dire dans des utérus artificiels. Ainsi la femme serait pleinement libérée de l’enfantement ! Il imagine un monde de sexualité libre, d’unions libres, sans aucun mariage, où l’humanité s’est affranchie de tout y compris de la mort ! Oui, la mort, car la technique permettrait de libérer l’Homme de son funeste destin… ou tout au moins de le retarder. »[6]  

Dans Une brève histoire de l’avenir, livre paru en 2006, Jacques Attali entrevoit un hyper empire mondial sans gouvernement, où les tâches de surveillance, autrefois dévolues aux États et aux nations, seraient remplies par les compagnies d’assurance. Ce paradis devant rester fermé à des milliards d’humains, il pourrait en résulter des catastrophes fatales pour l’humanité. ‘’Cette fin serait cependant évitable si des humains d'un nouveau type, que Jacques Attali qualifie de transhumains, étaient capables de remettre le monde sous contrôle et de proposer – enfin – un développement harmonieux à l'ensemble des hommes. Tous pourraient alors se réconcilier, dans une nouvelle croissance due aux sciences de demain les NBIC’’ »[7].

Nicolas Hulot

Voici deux paragraphes de la préface de Nicolas Hulot à l’Encyclique Laudato Si. Le fait qu’un homme qui s’élève à un tel niveau de pensée occupe l’un des postes les plus importants dans un gouvernement français est en soi un événement.

« L’homme s’est désolidarisé du futur, du passé de la terre et du reste du vivant. Privé d’horizon, l’homme est mutilé. Dans cette crise de civilisation, la politique, l’économie, la technologie, la science devront être totalement mobilisées. Mais à cette dimension horizontale, il faut apporter une dimension verticale :  replacer l’Homme dans l’univers, dans la Nature, redéfinir collectivement les fins et les moyens, redonner du sens au progrès, voilà le préalable à la solution durable.[…] »

« L’humanité est à l’aube d’une métamorphose. L’avenir n’est désespérant que si on laisse le temps décider à notre place. La famille humaine doit écrire un nouveau chapitre de son odyssée. Cette encyclique doit être un substrat fécond pour inspirer notre imagination et orienter nos énergies. Le pape François solennise et sacralise l’enjeu écologique. Il scelle un diagnostic en associant science et morale. En nous invitant au courage et à l’honnêteté, François propose une nouvelle feuille de route pour l’humanité, il ouvre un chemin de maturité jalonné de valeurs incontournables. »[8]

Première réaction : l’incompatibilité entre un tel discours et le matérialisme individualiste dominant est tel qu’on voit mal comment Nicolas Hulot pourrait rester longtemps au pouvoir sans se déshonorer. Cet homme n’est toutefois pas un rêveur. Il ne faut pas exclure qu’il puisse exercer sur l’ensemble de ses collègues l’influence qui ferait de lui un ministre de l’environnement exemplaire.

Le 11 mai 2017, quelques jours avant sa nomination, on pouvait lire sur le site de la Fondation Nicolas Hulot une lettre au nouveau Président de la république concernant le statut du futur ministre de l’environnement. Signée par les présidents de plusieurs organismes verts, dont « Les amis de la terre », cette lettre a de toute évidence fait partie de la négociation de Nicolas Hulot avec le nouveau Président. Il s’agit d’un contrat de transversalité, sans quoi un ministre de l’environnement ne peut pas assumer vraiment ses responsabilités

« L’organisation de l’État et de son gouvernement reflète l’ambition que se donne un pays. Comme vous le souligniez dans votre programme, « la transition écologique est une priorité pour aujourd’hui qui affecte tous les secteurs de la vie économique et sociale ».

La pertinence d'un grand ministère, avec à sa tête un ministre d’État, numéro deux dans l’ordre protocolaire, en charge du développement durable (écologie, biodiversité, climat et énergie, transport, logement et urbanisme, aménagement du territoire, pêche et mer) initié dans la dynamique du "Grenelle de l'environnement" a fait ses preuves et répondra à votre volonté d’un gouvernement resserré. De plus, des synergies institutionnelles fortes doivent être trouvées avec les ministères de la santé, du travail, de l'agriculture, des outremers, et enfin celui de l’économie tant leurs rôles et impacts sont essentiels pour l'environnement. Par ailleurs, vous aviez souligné dans votre programme l’importance d’une alimentation plus saine et avez annoncé la tenue d’États généraux de l'Agriculture et de l’Alimentation. Nous espérons donc que le futur gouvernement intégrera l’importance et la transversalité de cet enjeu, à la fois au niveau national et international. »[9]

Le choc des visions du monde

En 2014, Laurent Alexandre, notait donc que « Le nouveau clivage n’est plus entre la gauche et la droite, mais entre les transhumanistes et les bio conservateurs ». [10]Nous en étions venus à la même conclusion dans notre portail Homo Vivens.

L’Express du 3 novembre de la même année nous a rappelé que Jacques Attali prédit depuis longtemps un clivage semblable en France, ailleurs en Occident et même en Asie.

« D’un côté, écrit-il, les démocraties de marché, de l’autre le double vert. […] Comme toujours, c'est dans la rencontre de deux domaines apparemment sans relation que se trouve le neuf. Depuis longtemps déjà, j'annonce le moment où deux forces considérables, porteuses du meilleur et du pire, pourraient se rejoindre en une idéologie nouvelle, absolument explosive. Ce moment approche chaque jour davantage, comme le montrent les événements les plus récents. »

 « Ces deux forces, ajoute-t-il, sont encore distinctes. L'une s'occupe de la protection de la nature, tant qu'elle existe ; l'autre de la protection de l'âme, si elle existe. L'une et l'autre ont en charge une certaine forme d'immortalité. L'une et l'autre sont éminemment respectables. L'une et l'autre sont menacées par le choix fait par l'humanité, et d'abord par l'Occident, de privilégier une valeur, celle de la liberté individuelle, contre toutes les autres, et d'en accepter les conséquences, notamment la priorité donnée à la croissance marchande, au caprice, à l'immédiat. »[11]

« Face à cette tyrannie de l'instant, ceux qui défendent d'autres conceptions du monde empruntent de plus en plus des chemins voisins, pour l'instant parallèles. Avec, de plus en plus souvent aussi, les mêmes discours tenus et les mêmes moyens employés » [12].

On reconnaît là les mouvements populistes de gauche et de droite, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen, et les deux verts, le vert écolo d’un côté et de l’autre côté, le vert de la France rurale. On dit que dans le camp du Front National, l’idée d’une alliance avec la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon a été évoquée. La force explosive que disait craindre Jacques Attali aurait peut-être pris forme à ce moment.

Ce qui rendait cette fusion impossible c’est le fait que dans l’un et l’autre camp, de même que parmi les observateurs de la politique, personne ne semblait avoir compris que le nouveau clivage se trouve entre les transhumanistes et les bio conservateurs. Cela, Nicolas Hulot l’a compris, si l’on en juge par son on adhésion à l’Encyclique Laudato Si.

 

La difficile synthèse

Tout se ramène au choix entre l’homme augmenté de l’extérieur et l’homme amélioré de l’intérieur, entre l’hétéronomie et l’autonomie, mais ce choix, l’avons-nous encore? La technologie dominante actuelle ne nous pousse-t-elle pas irrésistiblement vers le cyborg, l’homme branché, plutôt que vers l’homme autonome, en symbiose avec le milieu vivant?

Les transhumanistes veulent introduire des implants numériques dans le cerveau des enfants. Ne faudrait-il pas plutôt aider ces enfants à se rapprocher d’un milieu vivant, en faisant l’hypothèse que la symbiose avec la vie, hors de soi, favorise cette symbiose avec soi-même qu’on appelle autonomie ?

L’autonomie a l’avantage d’être moins coûteuse. En santé, le modèle à la fois individualiste, libéral et transhumaniste serait ruineux si on prétendait pouvoir l’offrir à l’ensemble des humains. Ne deviendra pas cyborg qui le voudra! De son propre aveu, Ray Kurzweil dépense plus d’un million de dollars par année pour sa médecine préventive personnalisée. Selon Laurent Alexandre, il faudrait foncer les yeux fermés vers un séquençage des gènes de chaque individu et transmettre ensuite cette information aux praticiens pour qu’ils puissent assurer le succès des nanotechnologies, dont l’efficacité suppose la personnalisation du traitement !

 

Les vrais conflits d’intérêts

Pour le moment une chose est claire : cette politique de santé sert d’abord les intérêts d’une poignée de milliardaires en mesure de surveiller leurs semblables. Jacques Attali fait déjà partie de cette élite. Laurent Alexandre ne cache pas son désir d’y accéder. Voilà toutefois une ambition qui risque de jeter le discrédit sur le programme de moralisation du nouveau Président. Laurent Alexandre est président de DNAVision, une compagnie belge de séquençage du génome. Quand, s’adressant à un futur Président de la République, il présente le séquençage des Français comme une nécessité, il fait déjà monter les actions de sa compagnie. Les habits neufs du candidat Fillon paraissent alors bien vertueux.

 



[1] Journal Le Monde, 13 octobre 2014

[2] «Nous défendons l’homme en tant qu'être vivant incarné et enraciné, respectueux des limites dans tous les sens du terme : mort, imperfections, principe de clôture commun à toutes les réalités vivantes : des cellules aux sociétés. Tout en évitant un durcissement manichéen de cette orientation, nous n’hésitons pas à identifier et à combattre les idées et les mouvements qui s’y opposent : à commencer par le transhumanisme, ce culte de l’homme augmenté, toujours de l’extérieur, par une technologie invasive et par le néo-libéralisme qui fait de la loi du marché un absolu.» Source : http://encyclopedie.homovivens.org/Dossiers/les_radicalites_convergentes

[3] Propos entendus sur RTL le 8 mai 2017.

[4] https://www.forbes.fr/politique/commission-attali-rothschild-bercy-elysee-les-ressorts-de-lascension-fulgurante-du-president-macron/

[5] https://www.youtube.com/watch?v=hbCjEFW47-c

[6] https://charlesvaugirard.wordpress.com/2013/02/08/jacques-attali-et-le-meilleur-des-mondes/

[7] http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2007/jan/attali.html

[8] http://www.eglise.catholique.fr/vatican/encycliques/396224-preface-de-laudato-si-par-nicolas-hulot/

[9] http://www.fondation-nicolas-hulot.org/magazine/lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-sur-la-place-de-lecologie-dans-le-futur

[10] Journal Le Monde, 13 octobre 2014

[11] http://blogs.lexpress.fr/attali/2014/11/03/la-rencontre-explosive/

[12] L’Express du 3 novembre 2014

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