En attendant la République… Le Québec peut se donner un président

Marc Chevrier

Il est rare au Québec que la fonction de chef d’État – actuellement le lieutenant-gouverneur – suscite quelque réflexion. Dans un article paru dans Le Devoir le 11 mai dernier, Claude Corbo a eu raison de souligner que cette fonction s’est « ratatinée » avec le temps. Dans le même article, Corbo illustre avec brio tout ce qu’un chef d’État légitimement désigné peut faire pour grandir la fonction, et l’État du Québec tout entier.

Mais il nous semble que la réflexion qu’il propose omet de mentionner le principe essentiel qui sous-tendrait le relèvement de cette fonction : la république. Si les Québécois boudent la fonction de lieutenant-gouverneur, c’est que la monarchie britannique est source d'indifférence ou d’aliénation. C’est pour cette raison que les Québécois ont fait l’impasse sur la fonction de chef d’État et que nous remettons au premier ministre des tâches qu’en régime de république parlementaire on laisserait plutôt à un président au-dessus de la mêlée. On peut certes vouloir améliorer la méthode de nomination du représentant de Sa Majesté au Québec, seulement tous ces efforts devraient tendre vers le passage à la République du Québec.

Malheureusement, au contraire de plusieurs nations libres dans le monde, le Québec a mis l’idée de république sous le boisseau. Or, cette idée puissante et mobilisatrice a connu plusieurs défenseurs depuis les Patriotes. Joseph-Charles Taché, dès 1858, envisagea implicitement que le Québec devînt une forme de République fédérée. Henri-Gustave Joly de Lotbinière, qui prendrait la tête d’un gouvernement minoritaire libéral en 1878, protesta en 1865 contre la création d’une monarchie fédérale, une incongruité qui défiait la logique et la pratique du fédéralisme. Des hauts fonctionnaires de Daniel Johnson proposèrent en 1968 que le Québec devînt une république au sein d’une union canadienne renouvelée. La république n’est pas qu’un régime supposant l’élection du chef de l’État : c’est aussi le régime où la liberté de la nation et celle des citoyens se renforcent mutuellement, par un esprit public vigoureux et des institutions qui mettent au premier plan la défense du bien commun. Jusqu’ici, ni les fédéralistes, ni les souverainistes au Québec n’ont su donner à leur discours un esprit républicain.

Claude Corbo a eu raison aussi de déplorer que la constitution canadienne interdit au Québec de modifier la fonction de lieutenant-gouverneur. Seulement, nous doutons
qu’il lui soit permis de constitutionnaliser une nouvelle fonction de président du Québec par la procédure bilatérale d’amendement. La procédure d’amendement décidée par Pierre Elliott Trudeau prévoit clairement l’unanimité pour modifier la charge du lieutenant-gouverneur. À vrai dire, si les Québécois tiennent à vivre en régime de république, même au sein du Canada, il leur faut alors envisager de tenir un référendum sur une telle proposition : c’est le seul moyen d’obliger le reste du Canada à s’atteler à la réforme d’une institution vétuste, qui diminue la liberté politique du Québec.

En attendant de faire un référendum sur la république du Québec, nous pouvons bien prier le gouvernement Harper de nommer comme représentant de Sa Majesté la personne désignée par l’Assemblée nationale ou par un collège électoral regroupant les parlementaires québécois et les élus municipaux. Cette personne pourrait recevoir le titre de lieutenant-gouverneur et président de l’État du Québec. Le gouvernement Harper voudra-t-il se risquer à une telle aventure? Plus d’une résolution unanime de l’Assemblée nationale ont buté sur une fin de non-recevoir d’Ottawa. Cependant, tout en conservant la fonction de lieutenant-gouverneur, le Québec pourrait, sans attendre Ottawa, créer une fonction distincte de président de l’État du Québec. Le lieutenant-gouverneur garderait ses attributions formelles (nomination du gouvernement, dissolution de l’assemblée, sanction des lois), alors que le président exercerait au Québec un rôle de dignitaire, et à l’étranger, de représentant de l’État du Québec. Comme le propose Claude Corbo, ce président participerait à la nomination des principaux officiers de l’Assemblée nationale – directeur général des élections, vérificateur général – et recevrait leur rapport, veillant ainsi au bon fonctionnement des institutions. À l’étranger, il serait en quelque sorte un super délégué général, qui pourrait aussi recevoir du lieutenant-gouverneur une commission spéciale pour se voir ouvrir les portes des principales chancelleries. Cette formule a connu un précédent historique : dans sa constitution de 1937, l’Irlande s’est donné pendant quelque temps un président en sus de son lien avec la couronne britannique. André Patry s’est déjà fait le promoteur dans les années 1960 de cette forme d’arrangement subtil.

Quelle que soit l’avenue choisie pour la réforme de la fonction de chef d’État, celle-ci devrait se matérialiser dans une constitution de l’État du Québec dûment approuvée par la population. La plupart des peuples qui ont eu le souci de se forger leur propre langage politique, peu importe que leur État soit fédéré ou souverain, ont lié leur liberté collective à l’adoption d’une constitution écrite. Le grand livre de l’imagination politique québécoise reste encore à écrire…

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