Chercher au Québec (2ème partie)

Wilfrid Noël Raby
L'organisation de la recherche requiert des participants une souplesse de l'esprit et une disposition favorable devant la complexité des problèmes. Car aucune solution simple n'en est une...

Du moment que l'on admet que la recherche scientifique, fondamentale ou appliquée, contribue ultimement au bien-être d'une société comme le Québec, on se rend vite compte qu'il faut parler de priorités à établir, de finance ment, et d'organisation des ressources disponibles pour l'effectuer. On se rend égale ment compte que les solutions aux antipodes l'une de l'autre échoueront: que ce soit l'idée bien rangée, bien conservatrice, voulant que toute la recherche fonda mentale soit faite au sein d'une agence centrale, ou l'idée anarchiste que les fins de la recherche seront mieux servies en dehors de tout agence de promotion de la dite recherche. La science actuelle s'articule autour du mariage scientifique des universités avec l'industrie privée et le gouvernement; mariage voilé non pas de blanc, mais de zones grises. Qui conque croit que ce mariage à trois, - dont l'union se ferait tout simplement dans un laboratoire clos - suffirait pour assurer une progéniture ne comprend pas vraiment le problème.

Question de dialogue

Un premier niveau de difficulté tient au fait que les priorités des gouvernements, de l'industrie et des chercheurs sont souvent divergentes. En ce qui a trait aux priorités de la recherche, la plupart admettent que le gouvernement, en tant que représentant des citoyens bailleurs de fonds, en demeure l'arbitre ultime. Mais mai lui siérait de définir ces priorités sans la compréhension de ce qui est scientifiquement possible ou probable. Il va de soi, par exemple, qu'une automobile électrique dotée d'un rayon d'action de 500 kilomètres serait eiminemment souhaitable pour un gouvernement. Mais cette voiture est scientifiquement impossible en ce moment, malgré qu'il soit certainement possible de maximiser davantage le rendement de nos bolides aux heures de pointe.

Une fois les priorités établies, le gouvernement doit savoir faire place aux mouvements de la recherche. Pour revenir à l'exemple du vaccin contre la poliomyélite, il fut produit au National Institute of Health (NIH) des États-Unis pendant les années quarante et cinquante, suite à un mandat exprès du Congrès américain d'étudier le cancer et les maladies infectieuses. Plutôt que de miser au hasard sur des chimiothérapies vodouesques, les chercheurs du NIH optèrent d'aller au fond des choses et d'étudier la croissance cellulaire et les virus. Les chercheurs, livrés à eux-mêmes, planifièrent des études qui finirent par déboucher, non seulement sur un vaccin contre la polio, mais aussi sur les recombinaisons génétiques, les virus oncogènes et les rétrovirus. Comme quoi la recherche peut avoir un éventail très ouvert tout en servant un mandat social, pourvu que les gouvernants fassent attention à ces mouvements parfois zigzaguants de la recherche et sachent faire preuve de patience. Un excès d'impatience, et la so


ciété était privée d'un vaccin qui aura eu pour effet d'empêcher la multiplication des poumons d'acier dans les hôpitaux, ces poumons haletant autour d'hommes et de femmes paralysés.

L'industrie intervient en recherche, le plus souvent à un tout autre niveau, du fait qu'elle ne tire pas plus de bénéfices d'un nouveau produit que d'un nouveau fait scientifique. C'est pourquoi l'industrie a traditionnellement occupé le créneau de la recherche appliquée et c'est pourquoi un rôle accru de l'industrie dans ce financement changera forcément le cours de la recherche.

Question d'argent

Lorsque vient le temps de discuter d'écus, l'examen des tendances aux États-Unis est intéressant à plus d'un égard. Il se trouve de nombreuses études économiques démontrant qu'au cours de toute l'histoire américaine, la moitié de la croissance du revenu par habitant est bée directement au progrès de la science et de la technologie. Cette croissance fut liée à des objectifs tantôt civils, tantôt militaires - un sujet dont on pourrait débattre longuement - mais elle s'est produite presque entièrement sous les auspices de gouvernements solvables. L'émergence des déficits gouvernementaux pendant la période d'après-guerre a conduit à une participation de plus en plus active de l'industrie dans le financement de la recherche, surtout au cours des dernières années.

Cette tendance se vérifie aux États-Unis et sert bien notre propos. La participation gouvernementale à la recherche a atteint son apogée en 1988, alors que l'État finança 62% de la recherche fondamentale, les autres 22% étant assumés par l'industrie. La majeure partie du financement gouvernemental fut versée aux universités. Mais au moment même où celles-ci durent se tourner davantage vers l'industrie pour qu'elle finance leurs programmes, il s'amorça un virage dans l'orientation de la recherche. Alors qu'en 1968, 77% de la recherche universitaire s'opérait sous la bannière de la recherche fondamentale, en 1988 celle-ci ne comptait plus que pour 64%. Ce n'est en soi ni un bien ni un mal; cela nous amène simplement à conclure que l'on ne peut réfléchir au financement de la recherche sans étendre la réflexion au type de recherche que l'on veut préconiser.

De nombreuses formules ont été proposées pour canaliser le flot allant de la science à la technologie, pour baliser le flux allant des universités vers l'industrie et le reflux de l'industrie vers les universités. Sans détailler ici tous les entrelacs complexes de ce mariage de raison, il vaut la peine d'en examiner un. Une des formules imaginées par les gouvernements pour encourager les investissements en recherche fut de garantir des droits sur la propriété intellectuelle des résultats aux industries et universités participantes. L'inconvénient de cette privatisation du savoir est qu'elle limite la diffusion du résultat des recherches. Cela non seulement assèche la sève vitale qui meut la science, mais aussi en réduit la portée économique et sociale, car l'impact d'un savoir nouveau est maximisé lorsqu'il devient possible de l'utiliser à des fins autres que celles auxquelles aspiraient ceux qui en sont les auteurs. C'est pourquoi il appartint jusqu'à maintenant aux gouvernements de financer l'aspect public


et fondamental de la recherche, et de laisser à l'industrie les inventions propres à être brevetées. Il serait légitime cependant d'établir des formules selon lesquelles une partie des profits issus des technologies nouvelles serait versée au trésor public, en sus des taxes ordinaires, et ce en proportion de la participation des institutions publiques à la création de ces technologies.

Le point d'ancrage de toute bonne politique de la recherche au Québec demeurera un assentiment réciproque de la part de la communauté scientifique et des gouvernants. Les gouvernants devront reconnaître qu'ils ont besoin des chercheurs pour établir leurs priorités, et les chercheurs devront reconnaître que les gouvernants ont le pouvoir légitime d'établir des priorités selon les besoins sociaux perçus. Devant la difficile mission actuelle de gouverner un pays, il est bon de se rappeler que, faute de vouloir conquérir des territoires par des moyens guerriers, il existe peu de moyens autres que l'étude, la science, la recherche, et l'imagination qui s'y déploie, pour améliorer l'ordinaire de nos vies. Cette ultime récompense de la science vaut bien les dollars que nous y investirons.

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