Le feu éteint de la vie moderne. Ou l'atrophie du domaine public et du domaine privé

Marc Chevrier
Dans les temps antiques, la vie «bonne» était la vie publique. Pour un Grec, la bios politikos faisait accéder le citoyen à une seconde vie, plus éclatante que celle qui se déroule paisiblement au foyer. D'ailleurs, une vie entièrement consacrée à l'entretien du foyer domestique était jugée incomplète, voire «idiote», parce qu'être libre signifiait pouvoir se libérer des nécessités matérielles de l'existence et aller converser avec ses égaux sur l'«agora». En ce sens, la vie privée possédait véritablement un caractère privatif. Y étaient relégués l'esclave et la femme, à qui était refusé l'accès au domaine public, et le barbare, incapable d'entrer dans la cité, faute de savoir se maîtriser par le langage. Le monde antique supposait donc une frontière nette entre le domaine public et le domaine privé. Dans le premier, qui était celui de la liberté, entraient des hommes égaux, forts de posséder un domaine familial. Comme l'écrivait Hannah Arendt dans La Condition de l'homme moderne, le domaine public «était animé d'un farouche esprit de compétition: on devait constamment s'y distinguer de tous les autres, s'y montrer constamment par des actes, des succès incomparables, le meilleur de tous.» (1) En somme, évoluaient dans l'arène publique des individualités fortes à la recherche de l'excellence. Dans le deuxième, le privé, régnait la plus franche inégalité entre le père, maître absolu, et le reste de la famille ainsi que les esclaves. Le ménage était le lieu où la famille assumait les nécessités biologiques de l'existence, y compris les activités économiques qui pour les Anciens n'avaient de valeur que privée.


L'idéal civique moderne: la citoyenneté privée

Il va de soi qu'aujourd'hui, l'idéal civique de la Grèce antique n'inspire plus les démocraties représentatives contemporaines. La conception de la citoyenneté a évolué, tout d'abord en s'élargissant aux femmes et en excluant l'esclavage, puis en inversant les valeurs respectives des vies publique et privée. Dans une analyse magistrale, le politologue et juriste Bruce Ackerman a tenté d'expliquer les fondements de la démocratie américaine en tenant compte du fait qu'une grande partie des citoyens se comportent en fait comme des citoyens privés (2). Il entend par-là que la grande majorité des citoyens américains suivent de loin les affaires publiques, absorbés qu'ils sont par leurs occupations privées. Ils confient ainsi volontiers la gouverne de l'État à une minorité de citoyens actifs et de professionnels de la politique, grâce à la protection d'une constitution qui empêche l'élite politique de se substituer au peuple. Pour Ackerman, l'existence d'un si grand nombre de citoyens privés ne signale pas une anomalie. Trois éléments essentiels expliquent pourquoi l'idéal grec de la vie publique n'a pas séduit les citoyens américains. En premier lieu, la dignité du travail. Les Grecs ne le prisaient guère, au point d'y astreindre les non-citoyens. Même si les Américains n'aiment pas travailler en soi, ils y reconnaissent une valeur, une source intrinsèque de dignité. Il s'ensuit que tout travailleur doit être citoyen et que les tâches de la citoyenneté ne doivent pas empiéter sur la journée de travail. Ensuite, sous l'influence du christianisme, plusieurs activités intimes ont acquis une haute valeur, si bien que mener une vie strictement dans le domaine privé n'est plus nécessairement synonyme de vie incomplète.

«Pour les modernistes comme pour les religieux, écrit Ackerman, il paraîtrait intolérablement creux d'accorder une valeur trop haute à une chose de caractère aussi public que la citoyenneté.» Enfin, avec l'idée que l'homme moderne se fait de la liberté, les obligations civiques ne doivent pas empêcher l'expression de la diversité des choix de vie, si confinés soient-ils au domaine privé, cette diversité étant un bien positif qu'il importe de préserver.

Les justifications qu'Ackerman avance au soutien de la citoyenneté privée paraîtront peut-être une défense de l'apolitisme diffus qui mine les démocraties et dont l'une des manifestations est la faible participation des citoyens aux votes populaires, notamment aux États-Unis. Il est vrai que la démocratie représentative engendre par nature sa propre fragilité. En effet, en accordant un pouvoir égal à un grand nombre d'électeurs mis sur un pied d'égalité au moment du vote, elle remet à chacun un pouvoir minime qui, aux yeux de plusieurs électeurs, semblera dérisoire en comparaison avec le pouvoir qu'ils exercent par leurs activités privées. D'où la tentation, permanente pour nombre de citoyens, de voir dans la politique un domaine d'activités sur lequel ils ne jouissent guère de prise et dont ils ont raison de se désintéresser.


Le triomphe du social sur le politique et sur le privé selon Hannah Arendt

De tous les philosophes politiques du XXe siècle, Hannah Arendt est sans doute celle dont la pensée est restée la plus proche de l'idéal grec de la vie publique. Non qu'elle ait voulu, tant s'en faut, restaurer dans le monde moderne les catégories des Anciens. Elle a puisé au modèle de la polis grecque parce que la situation de l'homme moderne, en dépit de sa nouveauté, se laisse encore saisir par les concepts antiques et parce que ce modèle lui permet de comprendre la fuite devant la politique qui a été, à son avis, une attitude constante de la philosophie depuis Platon. Or, selon Arendt, la condition de l'homme moderne a changé par rapport à celle des Anciens en cela que la frontière qui séparait jadis clairement la vie publique et la vie privée s'est progressivement brouillée. Ce phénomène est dû à l'accession de la société, c'est-à-dire les activités et les problèmes d'organisation liés au ménage, au domaine public. Ainsi les activités économiques apparaissent au grand jour et monopolisent même les débats publics. L'un des changements les plus décisifs est le fait que le privé au sens moderne s'opposera dorénavant non pas tant au politique qu'au domaine social. De la même manière, la société en viendra à s'opposer au politique. La frontière entre le public et le privé s'efface, «parce que nous imaginons les peuples, les collectivités politiques comme des familles dont les affaires quotidiennes relèvent de la sollicitude d'une gigantesque administration ménagère.» Ce qui est à la base de la société, selon Arendt, c'est ce qu'elle appelle le comportement, c'est-à-dire l'ensemble des conduites que l'individu adopte de son milieu ambiant par conformisme. Arendt oppose le comportement à l'action politique laquelle suppose la liberté de l'acteur et sa capacité de se démarquer. La passion de l'homme moderne pour l'égalité, fondée d'après Arendt, sur le conformisme inhérent à la société, a eu pour conséquence que le comportement a remplacé l'action comme mode primordial des relations humaines.

L'irruption des activités économiques dans la sphère publique remonte bien avant les temps modernes. La prédominance du social sur la sphère politique était même, selon Arendt, une caractéristique de l'époque du moyen âge, où les activités politiques tombaient dans le domaine privé des seigneurs. Bien que la politique se soit réaffirmée à partir de la Renaissance en s'affranchissant de l'Église, le social a continué de croître, en particulier grâce à la révolution industrielle. Ainsi, les activités économiques, dédiées à la satisfaction des besoins vitaux, ont connu une croissance phénoménale grâce à la division et à la mécanisation du travail. L'envahissement du processus vital dans le domaine public a déclenché, estime Arendt, une «croissance contre nature du naturel». Le domaine social est allé grandissant en empiétant à la fois sur le public et sur le privé. Les démocraties libérales d'aujourd'hui illustrent parfaitement ce phénomène de double empiétement. D'une part, une majeure partie des discussions politiques portent sur le maintien des processus vitaux, économie, santé, environnement. D'autre part, avec la mobilité et la précarisation du travail, beaucoup de parents doivent se consacrer à des emplois absorbants au détriment de leur vie familiale.

Le triomphe du social sur le politique et sur le privé a entraîné, toujours selon Arendt, plusieurs conséquences. Premièrement, le comportement étant à la base des relations humaines dans le domaine social, les démocraties capitalistes sont devenues des sociétés conformistes régies par une forme de fiction communiste. Ainsi, penser comme Adam Smith qu'une «main invisible» guide la conduite des hommes et harmonise leurs intérêts multiples, c'est postuler qu'ils doivent suivre unanimement certaines règles de comportement, même si aucune autorité centrale ne les a édictées. Arendt reprend là les analyses de l'économiste suédois Karl Gunnar Myrdal, qui reçut le prix Nobel d'économie en 1974, conjointement avec l'ultralibéral Friedrich Hayek. Myrdal reprochait aux économistes libéraux d'être guidés par un idéal communiste qui assignait aux individus la poursuite d'un intérêt unique. L'économie triomphante, observe Arendt, instaure une forme de gouvernement sans chef repérable qui, avec le concours des statistiques et des sciences sociales, tend à faire de l'homme «un animal conditionné à comportement prévisible.»

Deuxièmement, le règne du social a rendu anonyme ce que les Romains appelaient virtus, les Grecs, aretè, c'est-à-dire l'excellence. Dans la mesure où celle-ci exige toujours la présence d'autrui dans un forum commun, la politique en était le domaine privilégié. Cependant, le social exalte le progrès de l'humanité, souvent le produit d'une activité laborieuse restée cachée, au lieu que les exploits d'hommes admirables. Pour Arendt, ni l'éducation, ni l'ingéniosité, ni le talent ne peuvent remplacer l'excellence qui se produit en public.

Troisièmement, le déclin du public a affaibli le sentiment qu'ont les hommes de posséder un monde commun. «Le domaine public, écrit Arendt, nous rassemble mais aussi nous empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres.» Ce qui rend insupportable la société de masse c'est justement qu'il n'y a pas de monde commun ayant le pouvoir de rassembler, de relier ou de séparer les membres de la masse. Un des signes de l'affaiblissement du sentiment du monde chez l'homme contemporain est la disparition d'un authentique souci de l'immortalité. Chez les Anciens, la préoccupation de l'immortalité motivait la recherche d'actions d'éclat susceptibles de transmettre aux générations futures la mémoire d'un monde commun.

Finalement, la société de masse détruit aussi le domaine privé en privant les hommes de «leur foyer où ils se sentaient jadis protégés du monde». Avant les temps modernes, souligne Arendt, la propriété privée revêtait un caractère sacré; dans l'Antiquité, c'était rien moins qu'une condition d'appartenance à la cité politique, être propriétaire signifiant avoir sa place dans un certain lieu du monde. Mais, avec le capitalisme, s'est opérée une distinction entre la propriété privée et la richesse, ce que Marx appellera le capital. Les temps modernes ont vu apparaître des sociétés virtuellement très riches mais comptant relativement peu de propriétaires fonciers. La richesse s'est tôt opposée à la propriété et l'a vaincue par différentes formes d'expropriation. Or, tout homme perd de vue l'utilité de posséder un monde commun s'il n'a pour lui-même une propriété où se réfugier. Avec le déclin de la propriété privée rétrécissait du même coup le domaine privé. Est symptomatique de ce rétrécissement le fait que le privé, poussé dans ses retranchements, est réduit à l'intime et à tout ce qui touche au corps, et non plus à la demeure de l'homme.


La technologie de l'image et le décloisonnement entre le public et le privé

Outre le triomphe du social, il est un autre facteur — dont Arendt ne parle guère, son essai ayant été publié en 1958 — qui a également contribué à brouiller la frontière entre le public et le privé, voire à réduire le domaine de l'un et de l'autre : les médias et la technologie audiovisuelle. Les médias comme la télévision et maintenant Internet ont la propriété de pouvoir transporter dans les foyers des images de la vie publique et de scènes de la vie privée d'inconnus ou de célébrités. Ils instaurent une forme de voyeurisme permanent qui permet de voir sans être vu, de pénétrer dans les mondes public ou privé sans devoir y aller réellement. Ce voyeurisme affaiblit le caractère public des événements politiques, en réduisant ceux-ci, comme l'écrivait Jean Baudrillard, à l'état «de spectacle sur l'écran de la vie privée (3) ». Certains arts ont longtemps revêtu un caractère public. Pensons par exemple au cinéma qui, jusqu'à l'apparition du magnétoscope vidéo, était un art public, similaire à certains égards au théâtre, qui offrait l'occasion aux cinéphiles de sortir de chez eux et de partager une expérience commune dans un lieu public. L'apparition du vidéo a transformé le cinéma en art privé que l'on consomme dans l'intimité de son salon, souvent sans décorum et sans témoin.

Par ailleurs, l'irruption de la télévision dans les foyers a aussi transformé le domaine privé. En rivant parents et enfants à un écran où rugit le tumulte du monde, la télévision a fait du foyer moderne une espèce de grand boulevard qui projette la famille hors d'elle-même plutôt que de nourrir sa vie propre. Ce faisant, le foyer a perdu son caractère d'enceinte sacrée où la famille se regénère à l'abri des regards indiscrets et hors des préoccupations mondaines. Dans nombre de familles modernes, la télévision est devenue un substitut du père ou de la mère, qui tranquillise les enfants pendant que les parents, débordés, reprennent leur souffle. Elle a même «remplacé la voix de Dieu», ce qu'a soutenu le philosophe Karl Popper, inquiet du danger que représente la télévision pour la démocratie (4). Et s'il faut encore une fois emprunter à l'Antiquité pour penser le monde présent, j'ajouterais que la télévision a remplacé le feu sacré.


Des foyers sans feu sacré

Ce que signifiait le feu sacré au temps des Anciens est largement méconnu, quoique le langage ait conservé une expression comme «avoir le feu sacré». Dans La cité antique, un livre devenu un classique sur les institutions de l'Antiquité, Fustel de Coulanges a consacré des pages lumineuses au feu sacré (5). Vouant un culte aux morts, les Grecs et les Romains vénéraient les dieux de leur maison. Les morts étant considérés comme des êtres sacrés, chaque famille se faisait un devoir de faire des offrandes et des sacrifices à ses ancêtres pour les apaiser et obtenir leur protection. Or, chaque maison renfermait un autel où un feu devait brûler en permanence. Chaque maître de maison avait l'obligation sacrée de l'entretenir en suivant les rites prescrits. Le feu sacré, écrit Fustel de Coulanges, avait «pour caractère essentiel d'appartenir en propre à chaque famille. Il représentait les ancêtres; il était la providence d'une famille, et n'avait rien en commun avec le feu de la famille voisine qui était une autre providence ». C'était le père qui se tenait au plus près du foyer et qui en perpétuait le culte en le transmettant à son fils. De cette manière, le père incarnait à lui seul «toute la série des descendants». «Chaque famille avait ses cérémonies qui lui étaient propres, ses fêtes particulières, ses formules de prière et ses hymnes.» En transmettant à son fils le culte familial, le père «établissait un lien mystérieux entre l'enfant qui naissait à la vie et tous les dieux de la famille.» Avec le temps, l'institution du feu sacré finit toutefois par perdre sa signification auprès des Anciens. Le christianisme, qui vénère un dieu personnel commun à tous les hommes, délogea au sein même de l'empire romain les religions païennes.

On peut certes voir dans le feu sacré une institution exotique rattachée à une civilisation révolue. L'intérêt de ce rite aujourd'hui réside toutefois dans sa portée symbolique. La famille ayant été de tout temps la base essentielle de la vie privée, il convient de réfléchir sur ce que la famille fait. Elle est la matrice protectrice où les nécessités vitales, dormir, manger, se vêtir, se reproduire, s'accomplissent, et le refuge où se vivent les choses qui se fortifient loin des regards publics, tel l'amour.

La famille est aussi pour l'enfant la première porte d'entrée sur le monde et sur la culture. Elle forme en elle-même un petit monde qu'animent les légendes familiales, les rites journaliers, les jeux et les espiègleries des enfants, la rencontre de plusieurs générations, les histoires qu'on se raconte et les chansonnettes dont on se berce, les héros de famille dont on célèbre la mémoire ainsi que les fêtes et les moments solennels qui ponctuent l'existence de la maisonnée. C'est par cette vie symbolique dont la famille est le foyer que l'enfant se découvre uni à la chaîne des générations et se forge une identité. C'est par cette même vie transmise par les parents à leur progéniture qu'ils se lient au passé et assurent la suite du monde. Le feu sacré, dans son sens moderne, c'est cette chaleur primordiale dont la vie familiale attise les braises et qui éclaire l'existence quotidienne de ses lueurs. Sans ce feu sacré qui réchauffe le cœur de l'homme dans un foyer nourricier, comment peut-il avoir la force et l'assurance requises pour se lancer dans la sphère publique? Que cette chaleur primordiale soit la base de la civilisation, c'est ce que pressentit Saint-Exupéry: «Une civilisation […] est d'abord, dans l'homme, désir aveugle d'une certaine chaleur. L'homme, ensuite, d'erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.» (6) Mais hélas, dans bien des foyers modernes ne brille que la froide lumière du téléviseur, appareil dont le fonctionnement continuel parasite la vie familiale, atrophie sa vie symbolique et embrouille la frontière entre le privé et le public. Le grand Chateaubriand écrivait: «Chaque homme renferme en soi un monde à part, étranger aux lois et aux destinées générales des siècles.» Encore faut-il que ce monde naisse dans un temple que son habitant ne laisse point se profaner.


Notes
1) Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, Calmann-Lévy, Paris, 1983.
2) Bruce Ackerman, Au nom du peuple. Les fondements de la démocratie américaine, Calmann-Lévy, Paris, 1998.
3) Jean Baudrillard, À l'ombre des majorités silencieuses, Denoël/Gonthier, Paris, 1982.
4) Karl Popper et John Condry, La télévision: un danger pour la démocratie, Éditions 10/18, Paris, 1997.
5) Fustel de Coulanges, La cité antique, Librairie Hachette, Paris, 1960.
6) A. de Saint-Exupéry, Lettre à un otage.

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Josette Lanteigne


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