Sur Venise

Stendhal
15 février 1818

Lors de la venue d’Attila, des fugitifs de Padoue allèrent former Venise. Aujourd’hui Venise, ville artificielle, n’étant plus soutenue par rien, les familles vénitiennes accourent en foule à Padoue.

En 1790, Venise la superbe avait 180 000 habitants, Venise la misérable est à 84 000 en 1818 et sera à 30 000 en 1850. C’est dommage pour la volupté. Le hasard avait formé lentement pendant dix siècles de tranquilité une foule de bancs de sables, de récifs et de courants desquels naissait forcément la volupté. Chaque état se montrait par ce qu’il avait de plus aimable. Les parties haineuses de l’âme n’étaient pas cultivées. Aucune charte écrite ne peut donner cette Charte des habitudes. Et malheureusement jusqu’ici l’effet le plus assuré des chartes est de réveiller les parties haineuses de l’âme. Au lieu des aimables fats du siècle de Louis XV, nous avons eu le hideux ultra de 1815, avec ses lois d’exception et ses catégories.

Cette pauvre Venise! Si la circonstance de n’avoir jamais obéi qu’à ses propres lois, faites et conservées par ses propres citoyens, et pendant le long cours de treize siècles de s’être constamment préservée de la conquête est un titre de noblesse, aucune ville connue, pas même Rome, ne peut se vanter d’une noblesse égale à celle de la pauvre Venise. Les Vénitiens n’acquirent point leur sol par l’usurpation et par l’extermination d’autres hommes, mais en créant par une industrie aussi patiente que sagace le sol même sur lequel ils bâtissaient, étendaient leur ville (1), sorte de domination la plus juste de toutes. Là, parmi ces aimables Vénitiens s’est conservé le plus pur sang italien, toujours défendu contre les armées de terre par une mer profonde seulement de deux ou trois pieds, et inaccessible aux vaisseaux. Enfin c’est encore une gloire pour Venise, puisqu’il fallait finir, de ne succomber que sous les armes de ce Napoléon qui sera célèbre dans l’histoire pour avoir fait finir toutes les anciennes monarchies d’Europe et les avoir changées en gouvernements constitutionnels.

(1) Verri, 1, 29

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