Conseils pour faire fortune

Benjamin Franklin
Avis d'un vieil ouvrier à un jeune ouvrier.

Souvenez-vous que le crédit est de l'argent.

Si un homme me laisse son argent dans les mains après l'échéance de ma dette, il m'en donne l'intérêt, ou tout le produit que je puis en retirer pendant le temps qu'il me le laisse. Le bénéfice monte à une somme considérable pour un homme qui a un crédit étendu et solide, et qui en fait un bon usage.

Souvenez-vous que l'argent est de nature à se multiplier par lui-même.

L'argent peut engendrer l'argent; les petits qu'il a faits en font d'autres plus facilement encore, et ainsi de suite. Cinq francs employés en valent six; employés encore, il y en valent sept et vingt centimes, et proportionnellement ainsi jusqu'à cent louis. Plus les placements se multiplient, plus ils se grossissent; et c'est de plus en plus vite que naissent les profits. Celui qui tue une truie pleine en anéantit toute la descendance, jusqu'à la millième génération. Celui qui engloutit un écu détruit tout ce que cet écu pouvait produire, et jusqu'à des centaines de francs.

Souvenez-vous qu'une somme de cinquante écus par an peut s'amasser en n'épargnant guère plus de huit sous par jour.

Moyennant cette faible somme, que l'on prodigue journellement sur son temps ou sur sa dépense, sans s'en apercevoir, un homme avec du crédit, a, sur sa seule garantie, la possession constante et la jouissance de mille écus à cinq pour cent. Ce capital, mis activement en œuvre par un homme industrieux, produit un grand avantage.

Souvenez-vous du proverbe: Le bon payeur est le maître de la bourse des autres.

Celui qui est connu pour payer avec ponctualité et exactitude à l'échéance promise peut, en tout temps, en toute occasion, jouir de tout l'argent dont ses amis peuvent disposer; ressource parfois très utile. Après le travail et l'économie, rien ne contribue plus au succès d'un jeune homme dans le monde que la ponctualité et la justice dans toute affaire; c'est pourquoi, lorsque vous avez emprunté de l'argent, ne le gardez jamais une heure au delà du terme où vous avez promis de le rendre, de peur qu'une inexactitude ne vous ferme pour toujours la bourse de votre ami.

Les moindres actions sont à observer en fait de crédit. Le bruit de votre marteau qui, à cinq heures du matin, ou à neuf heures du soir, frappe l'oreille de votre créancier, le rend facile pour six mois de plus: mais s'il vous voit à un billard, s'il entend votre voix au cabaret, lorsque vous devez être à l'ouvrage, il envoie pour son argent dès le lendemain, et le demande avant de le pouvoir toucher tout à la fois. C'est par ces détails que vous montrez si vos obligations sont présentes à votre pensée; c'est par là que vous acquérez la réputation d'un homme d'ordre, aussi bien que d'un honnête homme, et que vous augmentez encore votre crédit.

Gardez-vous de tomber dans l'erreur de plusieurs de ceux qui ont du crédit, c'est-à-dire de regarder comme à vous tout ce que vous possédez, et de vivre en conséquence. Pour prévenir ce faux calcul, tenez à mesure un compte exact, tant de votre dépense que de votre recette. Si vous prenez d'abord la peine de mentionner jusqu’aux moindres détails, vous en éprouverez de bons effets; vous découvrirez avec quelle étonnante rapidité une addition de menues dépenses monte à une somme considérable, et vous reconnaîtrez combien vous auriez pu économiser par le passé, combien vous pouvez économiser pour l'avenir, sans vous occasionner une grande gêne.

Enfin, le chemin de la fortune sera, si vous le voulez, aussi uni que celui du marché. Tout dépend surtout de deux mots: travail et économie; c'est-à-dire qu'il ne faut dissiper ni le temps, ni l'argent, mais faire de tous deux le meilleur usage qu'il est possible. Sans travail et sans économie, vous ne ferez rien; avec eux, vous ferez tout. Celui qui gagne tout ce qu'il peut gagner honnêtement, et qui épargne tout ce qu'il gagne, sauf les dépenses nécessaires, ne peut manquer de devenir riche, si toutefois cet Être qui gouverne le monde, et vers lequel tous doivent lever les yeux pour obtenir la bénédiction de leurs honnêtes efforts, n'en a pas, dans la sagesse de sa providence, décidé autrement.

Avis nécessaires à ceux qui veulent être riches
La possession de l'argent n'est avantageuse que par l'usage qu'on en fait.

Avec six louis par an vous pouvez avoir l'usage d'un capital de cent louis, pourvu que vous soyez d'une prudence et d'une honnêteté reconnues.

Celui qui fait par jour une dépense inutile de huit sous, dépense inutilement plus de six louis par an, ce qui est le prix que coûte l'usage d'un capital de cent louis.

Celui qui perd tous les jours dans l'oisiveté pour huit sous de son temps, perd l'avantage de se servir d'une somme de cent louis tous les jours de l'année.

Celui qui prodigue, sans fruit, pour cinq francs de son temps, perd cinq francs tout aussi sagement que s'il les jetait dans la mer.

Celui qui perd cinq francs, perd non seulement ces cinq francs, mais tous les profits qu'il en aurait encore pu retirer en les faisant travailler, ce qui, dans l'espace de temps qui s'écoule entre la jeunesse et l'âge avancé, peut monter à une somme considérable.


Autre avis sur la manière d'acheter économiquement
Celui qui vend à crédit demande de l'objet qu'il vend un prix équivalent au principal et à l’intérêt de son argent, pour le temps pendant lequel il doit en rester privé; celui qui achète à crédit paye donc un intérêt pour ce qu'il achète; et celui qui paye en argent comptant pourrait placer cet argent à intérêt; ainsi, celui qui possède une chose qu'il a achetée paye un intérêt pour l'usage qu'il en fait.

Toutefois, dans ses achats, il est mieux de payer comptant, parce que celui qui vend à crédit, s'attendant à perdre cinq pour cent en mauvaises créances, augmente d'autant le prix de ce qu'il vend à crédit pour se couvrir de cette différence.

Celui qui achète à crédit paye sa part de cette augmentation. Celui qui paye argent comptant y échappe, ou peut y échapper.



Moyens d'avoir toujours de l’argent dans sa poche.
Dans ce temps, où l'on se plaint généralement que l'arpent est rare, ce sera faire acte de bonté que d'indiquer aux personnes qui sont à court d'argent le moyen de pouvoir mieux garnir leurs poches. Je veux leur enseigner le véritable secret de gagner de l'argent, la méthode infaillible pour remplir les bourses vides, et la manière de les garder toujours pleines.

Deux simples règles, bien observées, en feront l'affaire.

Voici la première: Que la probité et le travail soient vos compagnons assidus.

Et la seconde: Dépensez un sou de moins par jour que votre bénéfice net.

Par là, votre poche si plate commencera bientôt à s'enfler, et n'aura plus à crier jamais que son ventre est vide; vous ne serez pas maltraité par des créanciers, pressé par la misère, rongé par la faim, glacé par la nudité. Le ciel brillera pour vous d'un éclat plus vif, et le plaisir fera battre votre cœur.

Hâtez-vous donc d'embrasser ces règles et d'être heureux. Écartez loin de votre esprit le souffle glacé du chagrin et vivez indépendant. Alors vous serez un homme, et vous ne cacherez point votre visage à l'approche du riche; vous n'éprouverez point de déplaisir de vous sentir petit lorsque les fils de la fortune marcheront à votre droite; car l'indépendance, avec peu ou beaucoup, est un sort heureux, et vous place de niveau avec les plus fiers de ceux que décorent les ordres et les rubans. Oh! soyez donc sages; que le travail marche avec vous dès le matin; qu'il vous accompagne jusqu’au moment où le soir vous amènera l'heure du sommeil. Que la probité soit comme l'âme de votre âme, et n'oubliez jamais de conserver un sou de reste, après toutes vos dépenses comptées et payées; alors vous aurez atteint le comble du bonheur, et l'indépendance sera votre cuirasse et votre bouclier, votre casque et votre couronne; alors vous marcherez tête levée — sans vous courber devant des habits de soie, parce qu'ils seront portés par un misérable qui aura des richesses, — sans accepter un affront parce que la main qui vous l'offrira étincellera de diamants.


Le fief ou les dépenses inutiles
À mon avis, il serait très possible pour nous de tirer de ce bas monde beaucoup plus de bien, et d'y souffrir moins de mal, si nous voulions seulement prendre garde de ne donner pas trop pour nos sifflets. Car il me semble que la plupart des malheureux qu'on trouve dans le monde sont devenus tels par leur négligence de cette précaution.

Vous demandez ce que je veux dire? Vous aimez les histoires, et vous m'excuserez si je vous en donne une qui me regarde moi-même.

Quand j'étais un enfant de cinq ou six ans, mes amis, un jour de fête, remplirent ma petite poche de sous. J'allai tout de suite à une boutique où on vendait des babioles; mais étant charmé du son d'un sifflet que je rencontrai en chemin dans les mains d'un autre petit garçon, je lui offris et lui donnai volontiers pour cela tout mon argent. Revenu chez moi, sifflant par toute la maison, fort content de mon achat, mais fatiguant les oreilles de toute la famille; mes frères, mes sœurs, mes cousines, apprenant que j'avais tant donné pour ce mauvais bruit, me dirent que c'était dix fois plus que la valeur. Alors ils me firent penser au nombre de bonnes choses que j'aurais pu acheter avec le reste de ma monnaie, si j'avais été plus prudent; ils me ridiculisèrent tant de ma folie, que j'en pleurai de dépit, et la réflexion me donna plus de chagrin que le sifflet de plaisir.

Cet accident fut cependant, dans la suite, de quelque utilité pour moi, l'impression restant sur mon âme; de sorte que, lorsque j'étais tenté d'acheter quelque chose qui ne m'était pas nécessaire, je disais en moi-même: Ne donnons pas trop pour le sifflet, et j'épargnais mon argent.

Devenant grand garçon, entrant dans le monde et observant les actions des hommes, je vis que je rencontrais nombre de gens qui donnaient trop pour le sifflet.

Quand j'ai vu quelqu'un qui, ambitieux de la faveur de la cour, consumait son temps en assiduités aux levers, son repos, sa liberté, sa vertu, et peut-être même ses vrais amis, pour obtenir quelque petite distinction, j'ai dit en moi-même: Cet homme donne trop pour son sifflet.

Quand j'en ai vu un autre, avide de se rendre populaire, et pour cela s'occupant toujours de contestations publiques, négligeant ses affaires particulières, et les ruinant par cette négligence: Il paye trop, ai-je dit, pour son sifflet.

Si j'ai connu un avare qui renonçait à toute manière de vivre commodément, à tout le plaisir de faire du bien aux autres, à toute l'estime de ses compatriotes et à tous les charmes de l'amitié, pour avoir un morceau de métal jaune: Pauvre homme, disais-je, vous donnez trop pour notre sifflet.

Quand j'ai rencontré un homme de plaisir, sacrifiant tout louable perfectionnement de son âme et toute amélioration de son état aux voluptés du sens purement corporel, et détruisant sa santé dans leur poursuite: Homme trompé, ai-je dit, vous vous procurez des peines au lieu des plaisirs: vous payez trop pour votre sifflet.

Si j'en ai vu un autre, entêté de beaux habillements, belles maisons, beaux meubles, beaux équipages, tous au-dessus de sa fortune, qu'il ne se procurait qu'en faisant des dettes, et en allant finir sa carrière dans une prison: Hélas! ai-je dit, il a payé trop pour son sifflet.

Quand j'ai vu une très belle fille, d'un naturel bon et doux, mariée à un homme féroce et brutal, qui la maltraite continuellement: C'est grande pitié, ai-je dit, qu'elle ait tant payé pour un sifflet.

Enfin j'ai conçu que la plus grande partie des malheurs de l'espèce humaine viennent des estimations fausses qu'on fait de le valeur des choses, de ce qu'on donne trop pour les sifflets.

Néanmoins, je sens que je dois avoir de la charité pour ces gens malheureux, quand je considère qu'avec toute la sagesse dont je me vante, il y a certaines choses, dans ce bas monde, si tentantes, que si elles étaient mises à l'enchère, je pourrais être très facilement porté à me ruiner par leur achat, et trouver que j'aurais encore une fois donné trop pour le sifflet.

Conseil général.
Si quelqu’un vous dit – que vous pouvez vous enrichir autrement que par le Travail et l’Économie, ne l’écoutez pas; — C’est un empoisonneur!

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