La politique de la santé et du bien-être personnel et social

Groupe Réflexion Québec
Nous avons au Québec un Ministère de la santé et des services sociaux. Le fait que la santé et les services sociaux soient ainsi associés — ils ne le sont pas en Ontario par exemple — est une indication quant à la qualité de nos institutions dans ce domaine et quant aux principes qui règlent leur action.

Les efforts que nous avons faits au cours des trente dernières années pour améliorer nos services en quantité et en qualité, et pour les adapter aux réalités nouvelles, sont considérables. La Commission Rochon qui a eu, il y a quelques années, la responsabilité de repenser notre système a accompli avec rigueur une mission comparable à celle que la Commission Castonguay avait accomplie trente ans plus tôt et dans le même esprit. Peu après, une vaste réforme des services était amorcée.

On peut tenir pour acquis qu’il y a consensus au Québec sur les grandes orientations du système et l’on est également en droit de penser que le travail indispensable d’analyse et de réflexion a été fait de telle sorte que les nécessaires adaptations sont désormais possibles. Il reste à les réaliser. C’est la partie la plus difficile de l’opération, parce qu’elle implique des choix déchirants et une modification des rapports de force telle que la volonté générale puisse avoir préséance sur les intérêts corporatistes.
Présidente du comité:
Lucie Granger, directrice générale de l’association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec

Membres :
Jacques Dufresne, philosophe, directeur du journal L’Agora
Michel Lalonde, administrateur, consultant en communication
Luc Belleville, sociologue


I. La santé

On peut ramener à six les grands principes directeurs à propos desquels il y a actuellement au Québec un large consensus.

1) L’accent mis sur le citoyen

2) La décentralisation

3) La hiérarchisation des services

4) L’évaluation des résultats plutôt que la simple mesure de la quantité de services offerts

5) L’approche globale: la prise en compte de tous les déterminants de la santé: sociaux, psychologiques, environnementaux et biologiques évidemment

6) L’accès général à des services de qualité

La population a eu son mot à dire dans l’élaboration de cette politique mais on peut affirmer que cette dernière est d’abord l’oeuvre des experts et des fonctionnaires responsables de la recherche et de la préparation des rapports de tous genres.

Le moment est venu pour le citoyen d’entrer en scène de façon plus directe et plus active. La mise en application des grands principes de la réforme, dans un contexte politique et financier qui crée une obligation d’austérité, suppose des choix de plus en plus nombreux et difficiles. Si ces choix — sur les priorités en particulier — ne sont pas faits par les citoyens eux-mêmes, ils risquent fort de demeurer inopérants, ou ce qui serait peut-être pire, de provoquer dans la population un sentiment accru d’injustice.

Qui fera les choix ?

Le bon gouvernement dans ce domaine consiste désormais avant tout à créer les conditions dans lesquelles les citoyens feront eux-mêmes des choix dont on présume qu’ils voudront en assumer les conséquences, précisément parce qu’ils les auront faits eux-mêmes. Cela ne signifie pas que les titulaires du MSSS pourront se contenter d’enregistrer les résultats des discussions des citoyens entre eux. Cela fait toutefois apparaître la nécessité d’un nouveau leadership qui exigera plus de courage que l’ancien. Ce nouveau leadership consistera à exiger des citoyens qu’ils fassent preuve de cohérence dans l’établissement de leurs priorités.

Pour pouvoir être en mesure d’exiger cohérence et responsabilité des citoyens, les titulaires du MSSS devront eux-mêmes faire preuve de détermination et de cohérence dans leur façon d’adhérer aux grands principes déjà énoncés, lesquels sont déjà l’objet d’un consensus.

Il convient de reprendre ici chacun de ces six grands principes en précisant les conditions dans lesquelles les citoyens seront invités à en assurer la mise en application.

1. L’accent mis sur le citoyen
Cet objectif a donné lieu à une certaine démagogie. Certes le citoyen est le destinataire des services. Il est aussi celui qui les paie. Il est normal que les institutions aient comme finalité de se soumettre aux exigences du citoyen, de bien le servir plutôt que de songer d’abord à assurer leur survie et celle des dispensateurs de services. Si l’on s’arrête là toutefois, on risque fort de précipiter le citoyen dans la grave erreur de penser qu’il a plus de droits en tant que consommateur de services que de responsabilités en tant que contribuable.

Il faut veiller à maintenir l’équilibre entre ces droits et ces responsabilités. Ce qui suppose qu’on crée progressivement les conditions dans lesquelles le citoyen se prendra progressivement pour ce qu’il est: le décideur. Au niveau municipal, on voit de mieux en mieux ce que peuvent faire des citoyens qui ont décidé de passer à l’action décisionnelle, de pratiquer la démocratie directe. Est-il nécessaire d’insister ici sur les divers incitatifs auxquels il conviendra de recourir? Les mécanismes de participation existent déjà: conseils d’administration des institutions, régies régionales, etc. Il faudra apporter aux citoyens ordinaires membres de ces conseils et régies tout le soutien dont ils auront besoin pour se sentir sur un pied d’égalité avec les gestionnaires du système et les représentants des professionnels et des employés. Ce soutien devra prendre la forme notamment d’une formation et d’une information adéquates.

Il existe une façon très simple de placer le citoyen en situation de pouvoir et de responsabilité. Puisque que c’est le citoyen qui ultimement paie la note, pourquoi fait-on actuellement en sorte qu’en tant que consommateur de soins il ait l’illusion que tout est gratuit? Ne conviendrait-il pas, du moins lorsque la chose est compatible avec une bonne pratique, que les professionnels et les institutions ne soient remboursés par l’État que lorsque que le client a signé la facture?

S’il prenait l’habitude de se percevoir lui-même comme le client qui paie et qui, par conséquent, devrait pouvoir déterminer les conditions dans lesquelles il reçoit le service, le citoyen en viendrait peut-être un jour à trouver normal, surtout quand il est âgé, que le médecin se déplace pour venir le voir à domicile. Il faudra éliminer tous les obstacles artificiels à cette pratique.

Autre signe de l’état d’impuissance dans lequel se trouve le citoyen: lui a-t-on déjà demandé s’il aimerait que certains traitements associés aux médecines douces fassent partie de la liste des services gratuits? Son éventuel avis sur cette question devrait être pris en considération dans le cadre de la nécessaire clarification des priorités.

2. La décentralisation
La réforme dans ce domaine semble assez bien engagée. L’est-elle assez pour qu’on échappe au risque d’avoir créé une nouvelle bureaucratie? Bureaucratie qui paraîtra bientôt superflue parce qu’on n’aura pas eu le courage de lui donner les moyens de faire le travail qui justifie son existence. Il n’y a rien de pire à cet égard que des réformes qui s’arrêtent à mi-chemin. Ne serait-ce pas le cas de la réforme Côté?

L’un des objectifs initiaux de la réforme en matière de décentralisation était d’assurer une juste répartition des services dans les diverses régions du Québec. Le seul moyen vraiment efficace d’atteindre ce but, c’était de donner aux régies régionales la responsabilité d’administrer leur part du budget de la RAMQ (Régie d’assurance-maladie du Québec). Ce budget, de l’ordre de deux milliards par année, permet de rémunérer les médecins. Si l’argent qui sert à les payer se trouve dans les régions, il est clair que les médecins devront s’y rendre s’ils veulent pratiquer leur profession. En dépit du fait qu’il y a trop de médecins dans l’ensemble du Québec, il n’y en a pas assez dans plusieurs régions. Les associations de médecins se sont opposées à la loi qui devait régler ce problème.

Convient-il que les choses continuent de se passer ainsi? Il faudra poser cette question directement à la population.

Si le budget de la RAMQ était administré au niveau des régions, beaucoup plus de gens connaîtraient à la fois le revenu des médecins et leur profil de pratique. N’est-ce pas là une chose normale et souhaitable? Comment se fait-il que dans le cas des médecins, l’employeur, —nous tous— ne connaisse pas le salaire des employés? On connaît le salaire du Premier ministre et celui des ministres. Comment se fait-il que celui des médecins soit tenu secret? L’information relative au profil de pratique est tout aussi importante. Certains médecins interviennent dans certains cas deux ou trois fois plus souvent que la moyenne de leurs collègues. Ne conviendrait-il pas que ces faits soient connus du premier intéressé: le consommateur de soins, qui est aussi le contribuable?

3. La hiérarchisation des services
On distingue trois lignes de services dont l’ensemble devrait ressembler à un entonnoir: une première ligne, large, constituée principalement des CLSC; une deuxième ligne, plus étroite constituée des hôpitaux généraux; une troisième ligne constituée des hôpitaux spécialisés.

On pourrait même ajouter une quatrième ligne: le domicile. Pour l’instant les soins à domicile relèvent des services de première ligne.

Cette hiérarchisation est la base et la condition de la rationalisation des services. Actuellement au Québec environ 50% des gens entrent dans le réseau par la deuxième ligne (urgence des hôpitaux) et même par la troisième. Cela entraîne des coûts inutiles. Il faut faire en sorte que les gens prennent l’habitude de frapper d’abord aux portes de la première ligne. Des initiatives comme le service téléphonique offert depuis quelques années dans la région de Hull-Aylmer prennent dans ce contexte un intérêt particulier. Le service répond à 50,000 appels par année et on a maintenant la preuve que bon nombre des personnes en cause ont pu, grâce à l’information reçue, éviter une visite à l’urgence. Les visites à l’urgence auraient coûté beaucoup plus et constitué une fatigue supplémentaire, par exemple pour les parents obligés d’accompagner un enfant.

En plus d’étendre à tout le Québec les services de ce genre, ne faudrait-il pas donner à la population une information telle qu’elle comprenne qu’en conservant l’habitude de se rendre d’abord à l’urgence, elle se condamne soit à devoir payer elle-même en partie d’autres services, soit à en être privée?

4. L’évaluation des résultats plutôt que la simple mesure de la quantité de services offerts
L’État paie actuellement une quantité de services, à partir des rapports qui lui sont faits par les institutions et les professionnels. Il ne paie pas pour des résultats obtenus. Ce diagnostic occupe la place centrale dans le rapport Rochon. Il est facile de comprendre que si on ne fait pas passer l’obligation de résultats au premier plan, la réforme des services de santé avortera.

On peut facilement accroître la quantité de services offerts sans que cela ait pour effet d’améliorer la santé des gens. Tout simplement parce que, parmi ces services, plusieurs sont inefficaces et inefficients. Tout le monde comprend le sens du mot efficace. Un service est dit efficient quand en plus d’être efficace, de faire réellement du bien, il est peu coûteux et par le fait même favorise l’accès à d’autres services efficaces.

Un résultat souhaitable est bien sûr l’accroissement de l’espérance de vie, — pas à n’importe quel prix cependant — mais aussi l’accroissement de l’espérance de vie en bonne santé. On peut préciser ces objectifs lointains et généraux par des objectifs-relais: améliorer la santé et les conditions de vie des enfants en bas âge, par exemple. On sait que tout ce qui se passe à ce moment de la vie de l’enfant a des effets déterminants pour le reste de son existence. On peut aussi choisir d’agir sur des déterminants comme l’environnement, le soutien social, la nutrition, l’exercice physique. Dans le remarquable document intitulé La politique de la santé et du bien-être, on trouve plusieurs exemples d’objectifs précis. L’objectif 11 est le suivant: «D’ici l’an 2002, réduire la prévalence des maux de dos de 10% et diminuer la durée de l’incapacité due à l’arthrite et aux rhumatismes.» Voici l’objectif 12: «D’ici l’an 2002, réduire de 10% la mortalité par maladie du système respiratoire.»

On sait, mille études l’ont montré, qu’au stade où en sont nos sociétés, un dollar consacré à l’amélioration d’un déterminant comme l’alimentation (des femmes enceintes en particulier) est beaucoup plus efficace et plus efficient qu’un dollar ajouté à un appareil curatif de pointe qui en consomme beaucoup plus. Il arrive toutefois que le dollar supplémentaire investi dans le curatif puisse se concrétiser dans la vie quotidienne des gens par le témoignage à la télévision d’une jeune mère de famille qui vient d’être sauvée par une greffe du foie; tandis que, pour rendre compte de l’efficacité de l’action sur un déterminant plus englobant, il faut recourir à des statistiques qui n’ont rien de sensationnel dans l’immédiat, et qui souvent n’ont de sens que si on prend le très long terme en considération. C’est seulement à la fin de la vie d’une personne que l’on peut connaître toutes les conséquences des lacunes qu’il y eut dans les soins et les attentions qu’elle reçut en bas âge.

Un miracle de la médecine contre une froide statistique! La partie est inégale. Et cette inégalité est accentuée par le fait que les médecins et les industries médicales ont plus intérêt à multiplier les miracles qu’à poser des gestes dont les effets positifs ne seront vraiment manifestes que dans plusieurs années et se traduiront surtout par cette chose qui ne fera jamais une nouvelle, bien qu’elle soit le but de chacun: la joie de vivre.

On aura compris que l’évaluation des services et des programmes en fonction d’objectifs précis, est une condition sine qua non d’un choix éclairé des citoyens. C’est pourquoi l’importance qu’il convient d’accorder à l’évaluation est un enjeu crucial qu’il faut bien expliquer aux citoyens. La volonté d’accomplir la réforme amorcée se mesurera toujours à l’importance accordée à l’évaluation.

Il faudra d’abord, par une politique de communication appropriée, faire en sorte que le citoyen comprenne que l’on doive investir davantage dans l’évaluation alors même que des restrictions s’imposent dans les autres domaines.

La politique de communication est donc aussi importante que l’évaluation elle-même. Au point de départ,le rapport de forces en matière de communication défavorise l’approche préventive et favorise nettement l’ensemble flou constitué par les industries médicales — au premier rang desquelles se trouvent les entreprises pharmaceutiques — et la médecine curative. À la télévision et même dans les journaux, il est devenu pratiquement impossible de faire la différence entre un publireportage télécommandé par l’industrie médicale et un reportage objectif qui donnerait aux gens l’information dont ils ont besoin pour faire un choix éclairé.

Si dans ce domaine, l’État n’a pas une politique de communication cohérente, percutante et intelligente, la balance penchera toujours du côté des techniques de pointe non évaluées et les principes qui sous-tendent la politique de la santé et du bien-être resteront lettre morte.

Quelle forme précise une telle politique de communication devrait-elle prendre? De nombreux experts se sont déjà penchés sur cette question, laquelle a aussi été abordée dans des colloques spécialisés. Les bonnes idées ne manquent pas. C’est la volonté politique qui fait défaut. Il faut trouver un moyen de soutenir les industries médicales établies au Québec autrement qu’en les subventionnant indirectement par l’abstention en matière de communication, ou par l’achat de médicaments d’origine qui coûteront chaque année 30 millions de plus que les médicaments génériques. (Quand une compagnie pharmaceutique met en marché un nouveau médicament, elle garde l’exclusivité de la formule pendant deux, dix ou vingt ans selon les pays. Par la suite, les autres compagnies peuvent vendre le même produit sous un autre nom. Il coûte alors beaucoup moins cher. Pour favoriser l’industrie pharmaceutique au Canada on a accru récemment le nombre d’années pendant lesquelles l’exclusivité d’origine est protégée. L’État québécois dépense plus de 500 millions de dollars par année pour rembourser les médicaments offerts à certains bénéficiaires. Il avait le choix cette année entre l’achat de médicaments au prix d’origine et l’achat au prix libre. Dans le but de soutenir l’industrie pharmaceutique il a choisi le prix d’origine, ce qui coûtera 30 millions de plus aux contribuables.)

Si les services de santé coûtent si cher aux États-Unis sans être accessibles à tous, c’est en grande partie parce que dans ce pays il n’y a rien du côté de l’information et de la prévention qui puisse faire contrepoids au dynamisme des industries médicales.

5. L’approche globale: la prise en compte de la personne et tous les déterminants de la santé: sociaux, psychologiques, environnementaux et biologiques évidemment
L’efficience et l’efficacité supposent qu’on accorde toujours plus d’importance à la prévention; quant à la prévention, elle est une une approche globale accorde leur juste importance aux divers déterminants de la santé. Les données établissant l’importance des divers déterminants existent en surabondance. Ici encore, et pour les mêmes raisons que dans le cas de l’évaluation, l’information est cruciale.

La problématique du coût des soins de santé est dans une large mesure liée à deux phénomènes dont le premier est inéluctable: le vieillissement de la population et la réalité socio-économique difficile. Attardons- nous tout d’abord aux conséquences sur la santé de la population des conditions économiques difficiles que nous traversons, depuis que le mot «récession» fait partie de notre vocabulaire courant.

Toutes les manifestations suivantes sont fortement exacerbées par les tensions qui résultent de la crise économique et de la crise des valeurs qui l’accompagne:

— alcoolisme et toxicomanie (pour rendre la vie «artificiellement» supportable);
— surconsommation de médicaments par les personnes âgées (elles rejoignent ainsi les jeunes dans leur tentative de briser l’isolement et l’aliénation dans une société qui ne leur fait pas de place);
— malnutrition liée à la pauvreté et au manque de connaissances;
— isolement social (phénomène urbain, où il n’y a plus de communauté, où on ne connaît même pas son voisin);
— violence conjugale et familiale (le désespoir mène souvent à la violence).

Devant l’ampleur de tels phénomènes, la riposte se doit d’être vigoureuse et articulée, puisque la santé est avant tout affaire d’organisation sociale et d’hygiène publique. Encore une fois, il faut recourir à l’éducation,

de façon à permettre à chacun d’acquérir dès l’enfance les habiletés-santé requises. De plus, il faudra prévoir des ressources et des moyens en vue de soutenir ces efforts, car le maintien de bonnes habitudes de vie est beaucoup plus laborieux que le glissement vers des habitudes jugées moins saines. Il faut revaloriser le capital-santé de la personne; pour cela, il faut lui redonner confiance et dignité, principalement par le travail. En effet, le sentiment d’être utile joue un rôle déterminant dans la motivation à prendre soin de sa personne, alors que le sentiment contraire mène souvent à l’auto-destruction.

On comprend dès lors que la santé ne saurait se résumer à un ensemble de soins curatifs, et qu’être en santé, ce n’est pas ne pas être malade. La santé n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui permet à l’individu de jouer un rôle plus actif et pour plus longtemps dans la société. Ce serait en quelque sorte une police d’assurance face à toutes les autres difficultés de la vie. Dans cette optique, les gouvernements doivent s’atteler à mettre au point une stratégie globale de promotion de la santé, car la santé d’un individu n’est pas une donnée isolée.

La façon dont les institutions structurent la vie collective a une influence majeure sur la santé des individus. L’emploi, les conditions économiques, l’éducation, les programmes d’aide et d’insertion sociale, les stratégies anti-drogues et d’enrichissement collectif, tous ces facteurs se conjuguent pour tracer le profil-santé d’un individu. Il y a toutefois des limites aux efforts de responsabilisation-santé: on ne peut intervenir qu’auprès de l’individu, alors que son mode de vie est largement tributaire de son environnement social et culturel. D’autre part, en ce qui concerne la santé, coercition et responsabilisation ne font pas bon ménage, et le développement de saines habitudes ne doit pas tourner à l’obsession.

Pour assurer la santé d’une personne, on doit veiller à ce que sa vie «sociétale» soit la plus créatrice, gratifiante, conviviale et équitable possible. Soulignons en passant le mérite du réseau des CLSC québécois, qui, malgré les difficultés inhérentes à ce type d’intervention et un manque flagrant de ressources, s’efforcent de combattre l’isolement des personnes âgées par des actions communautaires qui intègrent services sociaux et services médicaux.

Le vieillissement de la population
Comme on l’a mentionné précédemment, l’une des causes de l’augmentation fulgurante des coûts du système de santé, au cours des dernières années, est le vieillissement de la population. Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il ira en s’amplifiant au cours des prochaines décennies. En effet, tous les baby-boomers vont arriver en même temps sur le «marché de la vieillesse». Eux qui ont grandi avec le pouvoir, comment vont-ils composer avec la perte d’autonomie qui les frappera à divers degrés?

Oseront-ils exiger qu’un État de plus en plus démuni se saigne à blanc pour préserver leur «droit» à la santé et à la dignité?

Car les données sont irréfutables: l’espérance de vie continuera à croître, ce qui se traduira par un nombre de plus en plus élevé de citoyens qui requerront diverses formes de soins. Conjugué à l’éclatement de la cellule familiale, ce phénomène entraînera une demande considérable de soins institutionnels. Il en résultera une sur-utilisation des ressources hospitalières de courte durée (qui constituent, rappelons-le, la ressource la plus coûteuse) au détriment de personnes qui en auraient réellement besoin. Pourtant, si l’on se dotait collectivement de programmes adéquats résultant d’une véritable stratégie sociale à l’égard des aînés, beaucoup de personnes âgées en perte d’autonomie relative pourraient soit rester chez elles, soit utiliser des ressources d’hébergement adaptées à leurs besoins.

On ne pourra pas éviter encore longtemps le débat de fond sur le principe de la responsabilité de l’État face à la prise en charge des problèmes liés à la perte d’autonomie d’une population vieillissante. Mais d’ici là, plusieurs avenues s’offrent à nous pour alléger le fardeau de la société tout en améliorant le sort des personnes âgées. Mentionnons notamment:

— une ré-allocation des ressources vers le maintien à domicile ou les ressources d’hébergement;
— des dégrèvements fiscaux à l’égard des familles qui prennent soin de leurs aînés;
— des incitatifs réels à la prise en charge à domicile par les professionnels de la santé;
— un programme de soutien au logement adapté;
— le développement d’un réseau de services communautaires pour aider les personnes âgées à exécuter les tâches de la vie quotidienne. On sait que depuis quelque temps, l’idée de mettre à contribution les assistés sociaux gagne du terrain; s’agirait-il d’une voie qui mérite d’être explorée plus à fond?
— l’amélioration/bonification des régimes de retraite existants en vue de permettre l’épargne pour subvenir aux besoins futurs en termes de soins de santé. Mentionnons au passage l’avènement aux États-Unis d’une formule très intéressante: le «long term care». Il s’agit en bref d’un régime qui permet de contribuer hors taxe, à partir de 45 ans, à une «assurance soins prolongés» pour les maladies qui frappent les personnes âgées et nécessitent des soins prolongés en institution ou à domicile. La prestation est alors versée sous forme de ...bien. Le régime peut être assorti de la formule «loving care» qui permet d’indemniser un proche qui doit s’absenter du travail pour prodiguer des soins.

6. L’accès général à des services de qualité
Tout le monde sait que les coûts des services de santé augmentent plus vite que les revenus de l’État. Tout le monde doit aussi logiquement en conclure qu’il faut, soit continuer de retirer des services du programme universel et gratuit, soit accroître la participation des gens au paiement d’une gamme de services qui pourrait dès lors être élargie.

La démagogie qui a entouré le débat sur le ticket modérateur nous oblige à poser le problème en des termes différents. Dans cette démagogie il y a chez les uns une volonté de sanctionner les consommateurs dont on exagère facilement les abus, chez les autres une manière déguisée d’accroître la part du PNB consacrée à la santé.

Il est relativement facile de réfuter les arguments de ceux qui songent surtout à sanctionner les citoyens; ceux qui songent au ticket modérateur comme moyen d’accroître les dé- penses globales de santé ont la partie plus belle.

Il faudrait d’abord répondre à la question suivante: qu’avons-nous à gagner d’un accroissement de la part du PNB consacrée à la santé? Ce sont les citoyens et eux seuls qui ultimement répondront à cette question.

Il y a à l’heure actuelle une foule de services, de techniques et de médicaments qui n’ont jamais été évalués sérieusement. S’il y a un accroissement global des dépenses de santé, il sera dû surtout à ce vaste archipel où les habitudes importent plus que les résultats.

Compte tenu du fait que nous manquons déjà de ressources pour soutenir des programmes communautaires qui, en plus d’être une nécessité sur le plan social, sont l’une des conditions de la santé, il convient, nous semble-t-il, d’éviter d’accroître le budget global du MSSS.

Pour cela, il faut répartir les ressources différemment, en mettant l’accent comme nous l’avons déjà proposé, sur les services de première ligne et sur la prévention.

Mettant à profit l’évaluation des techniques et des programmes, il faudrait ensuite s’attaquer au principal défi: demander au citoyen consommateur et décideur de choisir entre a) maintenir la gratuité pour des services de plus en plus réduits et inaccessibles à bien des gens, surtout dans les régions éloignées; b) établir une tarification pondérée, ce qui pourrait permettre d’élargir la gamme de services offerts et accessibles sans accroître le coût global.

Dans l’une ou l’autre hypothèse, il faudra établir des priorités et faire preuve de cohérence. Dans l’hypothèse «a», il faudra expliquer à la population qu’elle a le choix entre, par exemple dans le cas de la grossesse, maintenir la gratuité des deux échographies — devenues une routine sans que l’efficacité et l’efficience de la chose n’aient été démontrées — et apporter un soutien alimentaire adéquat à toutes les mères de milieu défavorisé. Dans l’hypothèse «b», il faudrait trouver des critères médicaux, sociaux et éthiques tels que les tarifs imposés accroissent l’efficience du système sans priver la population de services à la fois essentiels et efficaces.

Jamais de tels choix ne pourront être faits dans l’harmonie si, en tant que citoyens, nous ne nous rendons pas tous à l’évidence qu’il nous faut apprendre à mourir élégamment. Qui donc a dit que nous travaillons toute notre vie pour nous offrir trois mois de coma à la fin? Cette boutade met en relief un fait bien connu: plus de la moitié des dépenses de santé est consacrée aux derniers mois de la vie des gens.

Savoir partir... Nous quittons ici la sphère de la politique pour entrer dans celle de la morale. Il y a toutefois une question qu’aucun gouvernement ne peut éviter, même si elle touche à la morale: la vie a un prix, en ce sens que l’argent consacré au prolongement forcé de la vie des uns n’est plus disponible pour faciliter l’entrée des autres dans la vie.

Certes, il n’appartient pas aux gouvernements de dicter aux gens la manière dont ils quitteront la vie ou dont ils y entreront. Il leur appartient toutefois de les mettre devant les conséquences de leurs choix. Il est clair que si nous n’apprenons pas à penser aux jeunes générations au moment de quitter la vie, nous créerons très vite une situation telle qu’il deviendra impossible de respecter le principe de l’égalité qui est la base de notre système de soins de santé.


II. Le bien-être personnel et social

La politique de santé que nous venons d’esquisser, on l’aura remarqué, fait une large place aux déterminants sociaux. S’il est vrai que la santé n’est pas la seule finalité de la vie sociale, il est tout aussi vrai qu’une société vivante, comportant de solides solidarités, constitue un soutien précieux pour l’individu soucieux de protéger sa santé.

Il est normal que notre attention soit d’abord retenue par le problème des coûts du système de santé, car la manoeuvre dont nous disposons pour la mission sociale est largement déterminée par la façon dont nous nous acquittons de la mission sanitaire. Sur le budget de 12 milliards du MSSS, quelque 9 milliards sont consacrés aux services médicaux-hospîtaliers.

Cela dit, sur le plan social, l’heure est venue de formuler les diagnostics justes qui vont permettre de proposer un projet de société que les gens pourront prendre au sérieux.

Nous sommes témoins d’un véritable décrochage civique qui se manifeste aussi bien dans les rapports avec l’État que dans les rapports avec, par exemple, les compagnies d’assurance. À l’origine, les compagnies d’assurance étaient des associations de personnes unies par une véritable mystique de la solidarité. Aujourd’hui les assurés ne se sentent nullement solidaires de leurs co-assurés. Ils ne se sentent pas en bonne compagnie avec les compagnies. Il leur paraît normal et même mérité d’en tirer le maximum d’avantages. Non sans quelques bonnes raisons, car les compagnies d’assurance fonctionnent plus dans l’intérêt des actionnaires et des gestionnaires que dans celui des assurés qui en sont la raison d’être. L’État est victime des mêmes comportements à la fois égoïstes et méfiants.

Au même moment, dans la même société, on assiste à la multiplication des associations de tous genres, on constate que le bénévolat prend une importance croissante et, surtout, on pressent à mille indices que les gens n’attendent qu’un signal digne de foi pour montrer de quelle générosité, de quelle solidarité ils sont capables.

Sans sous-estimer le sens de l’universel dont les gens sont capables, notamment en ce qui a trait à l’environnement, il faut reconnaître que c’est à l’échelle locale et à celle des petits groupes que les forces latentes de cohésion peuvent le mieux se manifester.

Dans un tel contexte, la première responsabilité des gouvernements est de soutenir toutes les initiatives et tous les mouvements constituant un lieu d’expression pour la générosité latente, ou mieux encore, de faire disparaître les obstacles à l’expression de cette générosité.

Nous aurons besoin des solidarités nouvelles et anciennes pour faire face aux grands défis de l’heure:

— le partage de l’emploi et des revenus dans une conjoncture où la croissance économique ne se traduit plus par un accroissement du nombre d’emplois.
— le partage des ressources entre des personnes âgées de plus en plus riches et des jeunes dont la situation est de plus en plus précaire.
— l’apport de soutien aux enfants et aux adolescents dans une conjoncture où la famille traditionnelle est une cellule qui semble toujours sur le point d’éclater.

Telles devront être les principales caractéristiques du nouveau pacte social. Un tel pacte suppose aussi que l’équilibre entre les droits et les obligations soit repensé sur la base du droit à un revenu minimum garanti, accompagné d’une liste d’obligations telle qu’aucun citoyen ne recevrait une aide quelconque sans être tenu de remplir une obligation par laquelle il établirait son utilité dans la société.

Le pacte social devrait tendre à éliminer les situations qui donnent aux citoyens tantôt une clé pour ouvrir le trésor public à leur profit, tantôt une échappatoire pour éviter d’y contribuer.


III. La sécurité publique

Faire une place aux jeunes
Au chapitre de la sécurité publique, l’un des problèmes les plus préoccupants de l’heure est le taux élevé de délinquance et de criminalité chez les jeunes. Ce n’est pourtant que le reflet d’une société qui, pour des raisons liées aux impératifs socio-économiques, ne donne pas à ceux-ci la place et l’«égalité des chances» qu’elle leur accordait traditionnellement.

On ne parviendra à endiguer ce phénomène que lorsqu’on aura redonné aux jeunes de l’espoir, des emplois et une confiance en l’avenir. Quels modèles leur propose-t-on aujourd’hui, outre des super-héros «made in Hollywood» et des personnages de jeux vidéo?

L’école et le milieu naturel (on n’ose plus trop parler de «famille») ont le devoir d’inculquer aux jeunes le respect des autres, de leur différence et de leur complémentarité. Ces instances doivent viser à faire d’eux des adultes responsables qui respectent une certaine forme d’autorité morale, adaptée aux réalités d’aujourd’hui, sans laquelle s’installe l’anarchie.

On dit que les jeunes sont cyniques et désabusés. Mais peut-on vraiment les blâmer, eux qui ont grandi en temps de récession et qui voient plus de portes fermées qu’il n’y en a d’entrouvertes? Malgré leurs bonnes intentions, ont-ils vraiment les moyens de se tailler une place au soleil? Alors ils prennent parfois les moyens les plus rapides: petits larcins, intimidation, fuite dans la drogue.

Parallèlement au capital-santé dont nous avons parlé plus tôt, il faut s’employer à valoriser le capital civique des individus, particulièrement des jeunes, qui sont à tous égards les plus «malléables». Mais pour cela, il faut plus que des voeux pieux et des rappels à l’ordre: il faut leur proposer des modèles crédibles et des choix adaptés à leurs besoins particuliers.

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