Pline l'Ancien et la zoologie

Ferdinand Hoefer
Pline l’ancien, dont la mort (en 79 de notre ère) marque la date de l’ensevelissement d’Herculanum et de Pompéi par les cendres du Vésuve, a consacré à la zoologie proprement dite les livres VIII, IX, X et XI de l’ouvrage encyclopédique, qui porte le titre modeste de Historia naturalis. L’éléphant ouvre la série des animaux, dont la principale classification est empruntée aux milieux (terre, eau, air), où ils sont appelés à vivre. Compilateur plutôt qu’observateur, Pline n’est pas toujours heureux dans le choix des auteurs qu’il abrège ; à côté d’êtres réels, il en place de fantastiques, tels que la martichore, animal à tête d’homme et à corps de taureau, le catoblépas, dont le regard est mortel, le monocéros (unicorne), le cheval ailé, etc. En copiant Ctésias, il est loin de soupçonner un sens symbolique aux animaux que ce médecin historien avait vus dans les hiéroglyphes de Persépolis. Les descriptions qu’il donne sont, en général, insuffisantes pour faire reconnaître les espèces auxquelles elles pourraient s’appliquer.

Après avoir traité, dans le huitième livre, des animaux terrestres, l’auteur parle, dans le neuvième, des animaux aquatiques. On voit que de son temps les baleines venaient jusque dans le golfe de Gascogne et que les Basques paraissent s’être les premiers livrés à la pêche de ces grands cétacés. Peu à peu les baleines fuyaient devant les attaques réitérées de l’homme, si bien qu’à l’époque de Juvénal (vers la fin du premier siècle) on n’en trouvait plus que sur les côtes de l’Angleterre. – Dans le dixième livre, qui est consacré aux oiseaux, Pline confond le phénix, animal fabuleux qui, emblème hiéroglyphique du soleil, renaît de ses cendres, avec le phénix, faisan doré qui fut apporté de la Colchide à Rome et montré à l’assemblée du peuple pendant le censure de l’empereur Claude (vers l’an 45). Cependant l’oiseau qu’il décrit sous le nom de tragopan, « plus grand que l’aigle, ayant sur les tempes deux cornes recourbées », et qui a été longtemps regardé comme fabuleux, a été reconnu pour le faisan cornu de Buffon (penelope satyra de Gmelin), qui vit dans les montagnes du nord de l’Inde. – Le onzième livre commence par une description des travaux et du gouvernement des abeilles. Avec toute l’antiquité, Pline nomme roi ce qu’on appelle aujourd’hui reine. Plein de foi dans la génération spontanée, il croit que si l’espèce des abeilles était complètement détruite, on pourrait la régénérer avec le ventre d’un bœuf fraîchement tué et enterré dans des matières en décomposition. Quel besoin d’imaginer ce qu’aucune expérience ne sanctionne !

Dans le même livre on trouve les premiers détails que l’on ait sur la soie. Pline nous apprend qu’elle fut de fort loin (probablement de la Chine) apportée à Rome ; qu’elle est produite par un insecte qui vit sur la mûrier, ainsi que par des insectes autres que celui qui vit sur le mûrier ; enfin que l’on ne commença que sous le règne d’Héliogabale à porter des vêtements de soie. Le livre se termine par une zoologie générale en sorte d’anatomie comparée, en tous points inférieure à celle d’Aristote.

Dans l’éloge que Buffon a fait de Pline, il n’y a de vrai que ce qui concerne le style et une certaine élévation de pensée. Cuvier, tout en reconnaissant dans l’Histoire naturelle de Pline un des monuments les plus précieux que nous ait laissés l’antiquité, fait une plus juste part d’éloge et de blâme. « Ce n’est pas, dit-il, un observateur tel qu’Aristote, encore moins un homme de génie. Son mérite est dans son talent d’écrivain… Pline n’est rien moins que savant; il peut amuser; il n’instruit pas. »

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