Traité de la peinture: du mouvement et de l'expression

Léonard de Vinci
VII. MOUVEMENT

404. — Les mouvements des animaux sont de deux genres: le local et l'actional: le local quand l'animal va d'un lieu à un autre, et l'actional, celui que l'animal fait sur lui-même, sans changer de place.

Le mouvement local a trois aspects: monter, descendre et marcher sur un terrain plan. À ces trois, deux s'ajoutent, lenteur et vélocité; plus deux autres, le mouvement droit et tortueux, et enfin un dernier, le saut.

Le mouvement actional est aussi varié que les opérations qui le causent, non sans grand dommage parfois, si par l'intervention de l'homme les mouvements se manifestent sous trois
formes, local, actional, simple, et mixte entre l'actional et le local.

419. — Les mouvements des figures déterminent la somme de force qu'elles doivent employer suivant leurs actions. Ne donne pas le même effort à celui qui lèverait son bâton et à celui qui lèverait une grosse poutre: que l'expression de l'effort soit proportionnée à la nature de l'effort et à sa quantité.

Ne fais jamais la tête droite sur le milieu des épaules, tourne-là, un peu à droite ou à gauche, même si elle regarde en haut ou en en bas, ou même tout droit à la hauteur des yeux: car il est nécessaire que l'attitude soit vive et active.

Ne dessine jamais une figure entièrement de profil ou entièrement de front ou de dos; car alors on verrait les parties situées au milieu du corps tomber à plomb, comme par alignement, les unes sur les autres: à la rigueur et suivant la circonstance, tu peux le faire aux figures de vieillards, à cause de leur lenteur naturelle; ne répète jamais les mêmes actions des bras ou des jambes, non seulement dans une figure, mais dans toutes celles qui sont proches ou autour de cette figure, à moins que le sujet n'y oblige absolument.

Fais les mouvements de tes figures appropriés aux événements de l'âme, et si tu en fais une irritée, que son visage exprime vraiment la colère et qu'elle soit telle enfin qu'on ne puisse la prendre pour l'allégresse, la mélancolie ou autre passion.

420. — Pas de grands mouvements dans les petites passions, ni de petits mouvements dans les grandes.

430. — L'attitude est la première partie et la plus noble de la figure: non que la bonne figure peinte en triste attitude soit laide, mais au point de vue de la suprême beauté, elle perd du prestige, quand ses actes ne s'accommodent pas avec son office. Sans doute; l'attitude est de plus grande spéculation que l'excellence de la figure peinte: car une excellente figure se peut faire en imitant la nature, mais le mouvement de cette figure doit naître de la grande estimation du génie; la seconde partie noble est le relief; la troisième, le bon dessin; la quatrième le bon coloris.

429. — Il est impossible à aucune mémoire de posséder les aspects et changements des membres de quelque animal que ce soit.

456. — Le peintre qui veut tirer honneur de son œuvre doit toujours chercher la vivacité de ses actions dans les actions naturelles faites inopinément et nées de passions fortes en leurs effets. Il en fera de brefs croquis en ses cahiers et les adaptera à ses projets, en faisant tenir le modèle dans la même attitude pour saisir la qualité et l'aspect des membres, tels qu'ils se présentent en cette attitude.

447. — La variété des mouvements procède de la variété des accidents et des fantaisies de l'esprit. Un accident fait plus ou moins d'impression selon le tempérament, l'âge, le caractère des passions. Dans la même occurrence, le mouvement du jeune homme est tout autre que celui du vieillard, il ne faut donc pas l'exprimer semblablement.


VIII. EXPRESSION

478. — La figure n'est pas louable, si son acte n'exprime pas autant qu'il est possible la passion de son âme.

472. — L'attitude des figures dans tous les membres doit être telle et si expressive qu'on puisse connaître les intentions de leurs âmes.

473. — On exprime l'action humaine selon l'âge et la qualité, et aussi selon l'espèce ou le sexe.

466. — Fais la figure en tel acte qu'il suffise à montrer ce que le personnage a dans l'âme, sinon ton art ne sera pas louable.

474. — Le peintre doit noter l'attitude et les mouvements qu'il surprend au moment même; les ayant notés et mis en son esprit, il n'attendra que le modèle contrefasse la douleur, quand il n'a pas l'occasion de pleurer.

Une action sans cause morale ne sera ni vive ni naturelle. Il est avantageux d'avoir observé les choses sur le vif, et ensuite de faire tenir le modèle dans la position pour s'aider l'imagination et découvrir quelque chose qui aille à ce sujet qu'on peindra ensuite.

475. — Les assistants d'un événement remarquable font diverses figures expressives comme lorsque la justice punit les criminels, ou bien si le sujet est de piété, tous les assistants lèvent les yeux avec des marques de dévotion, comme à l'élévation de l'hostie à la messe, et en d'autres cérémonies semblables, ou s'il s'agit d'une extravagance qui fasse rire ou qui donne compassion.

465. — Les figures des hommes ont des actions propres à leur opération, de sorte qu'en les voyant tu entends ce qu'ils pensent et ce qu'ils disent. Ceux-là, seraient bien enseignés qui imiteraient les mouvements des muets qui parlent avec le mouvement des mains et des yeux et des sourcils et de toute leur personne, dans leur volonté d'exprimer le concept de leur âme. Et ne te moque pas de moi, parce que je te propose un précepteur sans langue qui saura t'enseigner cet art qu'il ne connaît pas, parce qu'il t'enseignera avec des faits alors que les autres n'auraient que des paroles. Il ne faut pas mépriser ce conseil, car les muets sont les maîtres en matière de mouvement; ils entendent de loin de quoi quelqu'un parle, quand celui-là accompagne ses paroles de mouvements des mains.

469. — Le bon peintre a à réaliser deux choses principales, savoir: l'homme et le concept de son esprit. Le premier est facile, le second difficile, parce qu'il doit le figurer avec les gestes et le jeu des membres; et cela doit être appris des muets, qui le font mieux qu'aucune autre sorte d'hommes.

470. — La figure, dont les mouvements n'expriment pas les passions et ce qu'elle pense, n'aura pas des membres correspondant à la signification de la figure, et en jugeant cette figure on conclura que l'artiste n'a guère de valeur.

Le mouvement doit être approprié à la circonstance morale de la figure qui doit être faite très vive, montrant dans quelle affection et ferveur, sinon cette figure sera dite deux fois morte, parce qu'elle est peinte et morte une seconde fois, parce qu'elle n'exprime rien ni de l'âme ni du corps.

Les mouvements d'attitudes doivent manifester la circonstance morale du personnage de façon qu'elle ne puisse rien signifier d'autre, ni servir à une autre scène.

Autres articles associés à ce dossier

Traité de la peinture - Apologie de la peinture

Léonard de Vinci

Du Traité de la peinture de Léonard, le Carrache a dit que de l'avoir connu lui eût épargné vingt années d'efforts stériles. Le peintre est pou

De la peinture - 2e partie

Leon Battista Alberti


De la peinture - 1e partie

Leon Battista Alberti


Génie du christianisme et peinture

François-René de Chateaubriand

Extraits du chapitre sur les Beaux-arts du Génie du christianisme dans lequel Châteaubriand défend le rôle de l'institution chrétienne dans le dÃ

Un regard de Boccace

Jocelyn Giroux


Francisco Pacheco et l'Art de la peinture

Jules Dumesnil

Le traité du peintre Francisco Pacheco qui s'inspire de Léonard et de Alberti est une source essentielle sur la peinture espagnole à l'époque de V

À lire également du même auteur

Traité de la peinture - Apologie de la peinture
Du Traité de la peinture de Léonard, le Carrache a dit que de l'avoir connu lui eût épargné vin




Articles récents