Les médecines douces (1ère partie)

Jacques Dufresne
Le débat sur les médecines douces prend de l'ampleur. Québec Science y consacre son dernier numéro, le magazine Carrefour des Affaires sociales organe du MAS, fera de même bientôt et la Fédération des CLSC lancera le 16 septembre une brochure entièrement consacrée à ce sujet. Chacun a pu observer d'autre part les remous provoqués par une petite loi sur l'acupuncture votée au milieu des vacances.

    Cette controverse a permis de bien poser la question cruciale du contrôle des nouvelles thérapies. Ce contrôle, doit-on en confier la responsabilité à la Corporation des médecins, qui renforcerait ainsi son monopole? Doit-on plutôt miser davantage sur les lois du marché, comme le souhaite Mme Marie-Andrée L?Héreault, présidente de l'AQPS (Association québécoise pour la promotion de la santé) ? Québec Science rapporte ces propos d'elle: « Nous croyons que chaque personne a le droit de choisir la médecine qu?elle croit la meilleure pour elle. C?est pourquoi il faut rendre disponible le plus large éventail possible de moyens thérapeutique tout en s'assurant d'un contrôle efficace. Mais ce contrôle ne revient pas, absolument pas, à la Corporation des médecins, qui n?est pas compétente en ce domaine.

    Le problème de la formation des thérapeutes est tout aussi important. Depuis quelques années, dans les vingt ou trente nouvelles thérapies, les programmes de formation, allant de quelques semaines à quelques années, se multiplient partout au Québec. Des thérapeutes charismatiques, souvent français, font école; des écoles sans permis, sans diplôme officiel, mais aussi sans subventions.

    On peut voir dans cette floraison un signe réjouissant des temps nouveaux. Lors de la révolution tranquille toutes les réformes dans le secteur de la santé procédaient de l'État. Les employés du réseau n'avaient qu'à exécuter les plans conçus pour eux. Les malades devaient emprunter les corridors aménagés à leur intention. Les plus larges conduisaient aux salles d'urgence. Aucun ne menait chez les chiropraticiens ou les naturopathes. Et ils étaient tous à sens unique. Il était entendu que les médecins ne les emprunteraient pas pour aller chez les malades.

    Dans ce contexte les médecines douces apparaissent comme une revanche de la société. Ni les nouveaux thérapeutes ni leurs patients n'ont attendu de consignes étatiques pour créer leurs propres corridors et y circuler dans les deux sens.

    Mais même si on est enclin à penser que ce phénomène est avant tout un signe de vitalité sociale, on peut aussi y voir une forme d'anarchie dont pourraient profiter les charlatans de l'enseignement. Sans aller jusqu'à soutenir qu'il faille avoir reçu une formation médicale pour avoir droit au titre de thérapeute, le docteur Gilles Vézina, président de l'Association de médecine holistique du Québec, se montre presque aussi prudent que sa corporation: «Je m'opposerai toujours, dit-il, selon Québec Science à ce que quelqu'un s'appelle thérapeute s'il n'a pas une formation de base lui ayant permis de développer un certain sens critique par rapport à ses gestes thérapeutiques. » Il n'empêche que Gilles Vézina et ses quarante collègues sont dans une situation fort délicate puisque leur propre corporation leur interdit formellement de faire ce qu'ils font de plus en plus ouvertement.

    Ils peuvent répliquer qu'ils ont au moins reçu la formation de base qu'ils réclament pour tous les thérapeutes. Quand on entend l'expression «formation de base» au Québec, on pense immédiatement aux sciences et aux techniques de la santé telles qu'on les enseigne dans les cégeps et les facultés de médecine.

    Est-ce bien la solution? Le prodigieux succès de l?enseignement parallèle dans le secteur de la santé n'est-il pas la preuve que les institutions officielles n'ont pas su s'adapter à la demande, occupées qu'elles étaient à conserver les postes, privilèges et habitudes de tous leurs professeurs déjà bien en place? Si, pour entendre parler des rapports de l'âme et du corps, des anciens de nos facultés de médecine estiment devoir faire des déboursés importants ou suivre les cours d'un ostéopathe français, à qui la faute? Quand des institutions subordonnent le service à la clientèle aux exigences de la régie interne, la clientèle s'en va ailleurs, comme l?eau qui descend des collines crée de nouvelles rigoles quand on lui oppose un barrage.

    Faut-il empêcher cette eau de circuler sous prétexte qu'elle peut charrier des profiteurs? Des profiteurs, n'y en a-t-il pas aussi quelques-uns dans l'enseignement officiel ? Les défenseurs de cet enseignement se moquent volontiers des programmes parallèles qui peuvent prendre les formes les plus diverses tant au niveau du contenu qu'à celui de l'organisation. On pourrait en effet douter de la compétence d'un acupuncteur qui ouvrirait boutique après un cours intensif d'un mois. Mais dans cette souplesse, n'y a-t-il pas d'autre part une leçon dont pourraient profiter les institutions officielles? Est-il vraiment nécessaire, par exemple, que tout omnipraticien suive un programme spécialisé de cinq ans pour avoir droit au titre de psychiatre?

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