Un combat naval fameux
Le cinquième septembre [1697], à six heures du matin,... je découvris trois navires à trois lieues sous le vent à moi qui louvoyaient pour gagner la rade [du fort Nelson]. Ne les connaissant pas bien, je me mis sous les voiles et fis les signaux de reconnaissance, auxquels ils ne répondirent pas. Voyant que c'étaient des Anglais, je me préparai à les combattre et les mettre hors d'état d'entrer dans la rivière [Nelson] et de secourir le fort, en attendant l'arrivée de mon frère Cde Sérigny] et des autres vaisseaux [le Palmier, le Wesp et le Profond], étant d'une nécessité absolue pour la réussite de cette entreprise de ne pas les laisser entrer, quelque inégales que fussent nos forces aux leurs, ayant affaire à un vaisseau de 50 canons et deux de 32.
Après avoir pris l'avis des officiers, que je trouvai très disposés à périr plutôt que de les laisser entrer [dans la rade du fort Nelson], j'arrivai sur eux et nous commençâmes à nous combattre à neuf heures et demie du matin. À une heure après midi, ayant arrivé sur les deux de 32 canons, leur donnant des volées de fort près pour les désemparer et mettre hors d'état de secourir le fort, le gros [Hampshire] venant à moi et moi à lui,... ayant de la peine à me servir de ma batterie de dessous le vent, j'arrivai sous le vent de lui tout mon canon pointé à couler bas; passant vergue à vergue, l'abri de ses voiles faisant dresser mon vaisseau, je lui tirai ma bordée et le coulai bas sur-le-champ, ne faisant pas trois fois sa longueur de chemin; je tournai de bord aussitôt et fus sur le Hudson Bay pour l'aborder,... qui amena [pavillon], ne voulant pas attendre l'abordage. Je chassai sur l'autre qui fuyait au nord-est, n'étant encore qu'à portée de canon de lui, allant aussi bien que moi, qui n'osais forcer de voiles, ayant plusieurs haubans coupés et beaucoup de manoeuvres et sept coups de canon à l'eau qui m'en donnaient plus que je n'en pouvais pomper.
Ayant eu deux pompes crevées dans le combat, je revirai de bord et fus amariner l'Hudson [Bay]... pendant que je me raccommodais. Ce qui fut bientôt fait, et rechassai le vaisseau qui fuyait et avait bien trois lieues devant moi. Sur le soir, le vent venant au nord et brumeux, je le perdis de vue, ce qui m'obligea de revenir joindre la prise et mouiller contre elle, proche du navire coulé bas, duquel on n'a pu sauver personne. J'ai su de ces prisonniers que c'était un navire de guerre de 54 canons... nommé le Hammechère [Hampshire], qu'il avait deux cent trente hommes d'équipage, que celui qui fuyait était le Deringue [Dering] de 32 canons et quatre-vingts hommes, appartenant à la compagnie de la Baie d'Hudson...
Dieu merci ! dans le combat, je n'ai eu personne de tué, seulement dix-sept blessés, tout l'équipage y a parfaitement bien fait son devoir, surtout les officiers, qui y ont tous fait, chacun dans leur poste, ce que de braves gens expérimentés y pouvaient faire. Ils espèrent, Monseigneur, que vous serez content de leurs actions et que vous voudrez bien vous souvenir d'eux pour leur avancement, et moi pareillement.
source: extrait d’une dépêche d’Iberville à Pontchartrain, datée du 8 novembre 1697. Archives nationales du Québec, « Manuscrits relatifs à l'histoire de la Nouvelle-France », 2e série, vol. 8 (1696-1699), p. 4567-4576.
II. Point de vue britannique
Le 26 août 1697 (1), à environ six heures du matin, ils virent du côté du vent un vaisseau qui se trouva être un vaisseau de guerre français appelé le Pellican, commandé par M. D'Breville, qui se dirigeait quelquefois sur eux, puis tenait le vent; ledit vaisseau le Hampshire, avec les vaisseaux marchands, tournèrent au vent pour le rejoindre, et entre huit et 9 heures des coups de canon furent tirés de part et d'autre, suivis d'autres coups tirés de loin jusqu'à environ onze heures; alors, le Hampshire courut la bordée, se tint au vent, arriva sur son adversaire et lui lâcha deux bordées, vergue à vergue (autant que les déposants purent distinguer); puis après que le Hampshire eut lâché la seconde bordée, gonflant sa voile de l'avant et virant lof pour lof, il coula; il se produisit alors une risée de vent, mais les déposants ne peuvent dire si c'est le vent ou le dommage que peut avoir causé l'ennemi qui fit couler le vaisseau; en outre ledit Samuel Clarke dit qu'il fut pris par les Français et pendant qu'il se trouvait à bord du vaisseau de guerre français, dont ledit M. D'Breville avait le commandement au retour, lui, ledit Samuel Clarke, déclare que le frère dudit capitaine français [de Sérigny], qui parlait l'anglais, dit au déposant que le capitaine Fletcher, commandant du Hampshire, était un brave et que, un instant avant de lâcher sa dernière bordée, il appela ledit M. D'Breville lui demandant d'abaisser pavillon et que celui-ci refusant, le capitaine Fletcher prit un verre et but à la santé de son adversaire en disant qu'il dînerait immédiatement avec lui; là-dessus ledit capitaine français but aussi un verre à la santé de son adversaire et sur ce, ses hommes firent une décharge de petits plombs sur le Hampshire à laquelle on répondit par une semblable décharge sur le vaisseau français; après quoi ledit capitaine Fletcher disparut; on supposa que ledit capitaine Fletcher avait été tué, suivant ce que le frère dudit capitaine français dit au déposant Samuel Clarke.
(1) Cette date, déterminée d'après le calendrier julien, dont les Anglais se servaient à l'époque, correspond au 5 septembre du calendrier grégorien.
source: déposition assermentée de Th. Morriss et de Samuel Clarke, officiers anglais à bord du Hampshire et du Hudson Bay, Rapport des Archives canadiennes, Ottawa, 1934, p. 7.