La dialectique du système et du chaos

Daniel Cérézuelle

En assimilant le progrès à celui de la technique et de l’économie, la société du développement se délivre, certes, de la fatalité naturelle, mais elle crée en même temps une sur-nature sociale qui n’est souvent qu’une nouvelle fatalité qui risque soit de broyer l’individu dans des contradictions sociales ou écologiques, soit de l’absorber totalement et de liquider sa liberté au nom des nécessités de l’organisation collective.

« Ainsi une organisation sociale fondée sur l’idée d’un développement indéfini nous expose à deux risques qui sont dialectiquement liés et que Charbonneau résumait par deux principes :
Un développement indéfini dans un espace-temps fini est impossible. Le développement accéléré conduit donc au chaos.
Plus la puissance grandit, plus l’ordre doit être strict : Le développement accéléré appelle une organisation totale, si ce n’est totalitaire, de la vie sociale, collective et personnelle.
Ces deux logiques apparemment contraires sont, en pratique, unies dans une relation dialectique. Chaque progrès d’un des deux termes appelle un renforcement de l’autre. Ainsi la puissance de nos installations techniques (avions, usines, centrales nucléaires, trains à grande vitesse, laboratoires de génétique, etc.) les rend potentiellement très dangereuses en cas d’accident ou de sabotage : une politique de prévention des risques doit donc multiplier les contrôles et repérer à l’avance tous les agents potentiellement inadaptés ou déviants. Mais ce processus qui renforce le caractère systématique de l’organisation sociale crée des conditions favorables pour un nouveau bond en avant de la recherche et du développement de nouvelles techniques. On crée ainsi des risques de nouvelles dysfonctions, encore plus graves que les précédentes car résultant de la mise en œuvre de savoirs plus puissants, certes, mais toujours aussi incomplets et qui auront des effets directs et surtout indirects encore plus importants et imprévisibles. Pour éviter le désastre on repart alors pour un tour : mise au point de nouvelles régulations écologiques et sociales et, une fois la crise surmontée, production de nouveaux savoirs et mise en œuvre de nouvelles techniques, etc. »

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