A la frontière de l’Humanité - Hymne satanique à l’Intime

JP Costes

 

 

            Notre œil inquisiteur s’invite sans pudeur à chacun de leurs repas. De midi à minuit, notre assiduité ne se dément pas. A l’image de tous les démons, la curiosité a des raisons que la Raison ignore. Peu importe que les piteux que nous voyons se comportent comme des porcs. Qu’ils se vautrent dans le stupre sous le regard des autres. Des latrines à leur couche, de la piscine à leur douche, qu’ils dévoilent ingénument leur laideur assassine. Qu’au confessionnal ils avouent béatement leurs turpitudes, pervers interlude ! Quand la pupille se faufile dans le trou de la serrure, l’esprit humain n’a plus que faire d’être pur ou impur. Cachez donc ces saints que nous ne saurions voir ! Notre cœur corrompu exige de traverser le miroir. Il a faim de détails sordides. Il ne bat que pour entrer dans les zones les plus fétides. En bon sadique, il se réjouit de la mode du confinement cathodique. Quoi de mieux qu’un long enfermement pour se délecter d’une poitrine ou d’un fondement ? No privacy in the kingdom of Secret Story! Pas d’intimité au royaume de la publicité! Peste soit de la Morale, cette devise libérale nous sied…

            Si le Diable existe et hante la Terre, la « télé-réalité » est l’une des boîtes dans lesquelles il prospère. Si Dieu demeure notre fidèle allié, au mépris des incrédules qui se rient du Sacré, nous avons le devoir de jeter l’Antéchrist au bûcher. Si le règne des passions médiatiques n’a pas anéanti le sens commun, il convient néanmoins de n’en rien faire et de regarder sans défaillir le Malin en face. Que percevons-nous dans ses yeux dont Dante a dit qu’ils étaient de glace ? L’Homme digne de respect est celui qui cultive un jardin secret. Il est le sage par qui le scandale n’arrive pas. Il se moque éperdument du vedettariat. L’enfer des indiscrets fortunés l’indiffère. Il sait qu’aliéner son intériorité, c’est faire le deuil de toute probité. Il est soucieux de sa décence et entend garder, pour lui seul, le mystère de son essence. La Société de consommation peut bien exploiter les territoires encore vierges de l’Intime, il n’a cure de ses chevaliers à la triste figure. Il n’a pour eux aucune estime. L’Individu a en son sein des trésors plus précieux qu’une mine d’or. Il en est convaincu. Pour rien au monde il ne se mettrait à nu.

            D’aucuns jugeront que ces rimes sont pauvres. Mais au pays des macaques, même les vers libres sont riches. Baudelaire entonna, en son temps, les Litanies de Satan. Pourquoi diable ne pas faire don d’un hymne aux médiocres et aux méchants ? Gloire à toi, Lucifer, le « porteur de lumière » ! Les singes grimaçants que tu nous montres, par ta caméra en bateau ivre, éclairent le chemin que nous ne devons pas suivre. Tes créatures nauséeuses sont des phares dans la nuit de notre ignorance. Ton vice a des vertus qui nous épargnent la souffrance. Il nous rappelle avec éclat que la honte de soi est le propre de l’Homme. Adam l’a compris en se régalant de la Pomme. Prince des Ténèbres, gardons tous en mémoire ton message infernal. En exhibant l’ignoble, tu nous dissuades de cueillir les fleurs du Mal. L’Intimité, rugis-tu de ton antre abyssale, est un fortin sur la frontière qui nous sépare de l’Animal.

 

 




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