Haendel

Romain Rolland
Présentation de l'homme Haendel.

Voici la présentation de l'article original: « Huit jours avant la première audition intégrale, à Paris, du Messie, qui doit être donnée avec l'orchestration originale, le 23 avril, au Trocadéro, par la Société Haendel, nous croyons intéressant de présenter ce portrait du maître, dont l'Allemagne et l'Angleterre viennent de célébrer le cent cinquantième anniversaire. »
On l'appelait le grand ours. Il était gigantesque, large, corpulent; de grandes mains, de grands pieds, les bras et les cuisses énormes. Ses mains étaient si grasses que les os disparaissaient dans la chair et formaient des fossettes (1). Il allait, les jambes arquées, d'une marche lourde et balancée, très droit, la tête en arrière, sous sa vaste perruque blanche, dont les boucles ruisselaient pesamment sur ses épaules. Il avait une longue figure chevaline, devenue bovine avec l'âge, et noyée dans la graisse, doubles joues, triple menton, le nez gros, grand, droit, l'oreille rouge et longue. Il regardait bien en face, une lumière railleuse dans l’œil hardi, un pli moqueur au coin de la grande bouche fine (2). Son air était imposant et jovial. « Quand il souriait, - dit Burney, - sa figure lourde et sévère rayonnait d'un éclair d'intelligence et d'esprit : tel, le soleil sortant d'un nuage. »

Il était plein d'humour. Il avait « une fausse simplicité malicieuse », qui faisait rire les personnes les plus graves, sans que lui-même il rît. Jamais homme ne conta mieux une histoire. « L'heureuse manière qu'il avait de dire les choses les plus simples autrement que tout le monde leur donnait une couleur amusante. S'il avait possédé l'anglais aussi bien que Swift, ses bons mots eussent été aussi abondants et de même nature. » Mais, « pour bien jouir de ce qu'il disait, il fallait presque savoir quatre langues : l'anglais, le français, l'italien et l'allemand, qu'il mêlait tout ensemble (3) ».

Ce salmigondis de langues ne tenait pas moins à la façon dont s'était formée sa jeunesse vagabonde, à travers les pays d'Occident, qu'à son impétuosité naturelle qui empoignait, pour répondre, tous les mots qu'il avait à sa disposition. Il était comme Berlioz : l'écriture musicale était trop lente pour lui; il aurait eu besoin d'une sténographie pour suivre sa pensée; il écrivait, au début de ses grands morceaux choraux, les motifs en entier pour toutes les parties; en route, il laissait tomber une partie, puis l'autre; il finissait par ne plus garder qu'une seule voix, ou même il terminait avec la basse seule; il courait tout d'un trait jusqu'au bout de l'ouvrage commencé, remettant à plus tard pour compléter l'ensemble, et, le lendemain du jour où il avait terminé une oeuvre, en commençait une autre, parfois en menait deux de front, sinon trois (4).

Jamais il n'aurait eu la patience de Gluck, qui commençait, avant d'écrire, par « faire le tour de chacun de ses actes, puis celui de la pièce entière, - ce qui lui coûtait ordinairement, disait-il à Corancez, une année, et le plus souvent une maladie grave ». - Haendel avait composé un acte, avant de connaître la suite de la pièce, et parfois avant que le librettiste eût eu le temps de l'écrire (5).

Le besoin de créer était si tyrannique qu’il avait fini par l’isoler du reste du monde. « Il ne se laissait, dit Hawkins, interrompre par aucune visite futile ; et l’impatience d’être délivré des idées qui affluaient constamment à son cerveau le retenait presque toujours enfermé. » - Sa tête ne cessait de travailler ; et, tout à ce qu’il faisait, il ne s’apercevait plus de ce qui l’entourait. Il avait l’habitude de se parler si haut que chacun savait ce qu’il pensait. Et quelle exaltation, quels pleurs, en écrivant ! Il sanglotait, en composant l’air du Christ : He was despised. - « J’ai entendu raconter, dit Shield, que quand son domestique lui apportait son chocolat, le matin, il restait souvent surpris à le voir pleurer et mouiller de ses larmes le papier sur lequel il écrivait. » - A propos de l'Halleluyah du Messie, il citait lui-même les paroles de saint Paul : « Si j'étais dans mon corps, ou hors de mon corps, en l'écrivant, je ne sais pas. Dieu le sait. »

Cette énorme masse de chair était secouée par des accès de fureur. Il jurait presque à chaque phrase. A l'orchestre, « quand on voyait vibrer la grosse perruque blanche, les musiciens tremblaient ». Lorsque ses chœurs étaient distraits, il avait une façon de leur crier : Chorus! d'une voix formidable, qui faisait sursauter le public. Même aux répétitions de ses oratorios chez le prince de Galles, à Carlston house, si le prince et la princesse n'arrivaient pas exactement, il ne prenait aucune peine pour cacher sa colère; et si des dames de la cour avaient le malheur de causer pendant l'exécution, il ne se contentait pas de jurer et de sacrer, mais il les interpellait violemment par leurs noms. - « Chut! chut! - faisait alors la princesse, avec sa bénignité ordinaire; - Haendel est méchant. »

Méchant, il ne l'était point. « Il était rude et péremptoire, dit Burney, mais entièrement dépourvu de malveillance. Il y avait dans ses plus vifs mouvements de colère un tour original qui, joint à son mauvais anglais, les rendait tout à fait plaisants. » Il avait le don du commandement, comme Lully et comme Gluck : ainsi qu'eux, il mêlait à une force colérique qui matait les résistances une spirituelle bonhomie qui savait panser les blessures d’amour-propre qu'il avait causées; il se faisait du rire l'arme la plus puissante. « Il était, pendant ses répétitions, un homme autoritaire; mais il avait dans ses remarques, et même dans ses réprimandes, un humour extrêmement comique. » A l'époque où l'Opéra de Londres était un champ de bataille entre les partisans de la Faustina et de la Cuzzoni et où les deux prime donne se prenaient aux cheveux, en pleine représentation, au milieu des hurlements de toute la salle, présidée par la princesse de Galles, - une farce de Colley Ciber, qui mettait en scène ce pugilat historique, représentait Haendel, seul conservant son flegme parmi le charivari, et disant : « Je suis d'avis qu'on les laisse s'escrimer en paix. Si vous voulez en finir, jetez de l'huile sur le feu. Quand elles seront fatiguées, leur fureur tombera d'elle-même. » Et, pour que la bataille fût plus vite terminée, il l'activait à grands coups de timbale (6). - Même lorsqu'il s'emporte, on sent qu'il rit, au fond. Ainsi, quand il empoigne par la taille l'irascible Cuzzoni, qui refusait de chanter un de ses airs, et que, la portant à la fenêtre, il menace de la jeter dans la rue, en disant d'un air goguenard : « Oh! madame, je sçais bien que vous êtes une véritable Diablesse; mais je vous ferai sçavoir, moi, que je suis Beelzebut, le chef des Diables. » (7)

***


Il resta, toute sa vie, d'une liberté admirable. Il haïssait toutes chaînes, et demeura en dehors des fonctions officielles : car on ne peut compter pour telle son titre de professeur des princesses; les grands emplois musicaux de la cour et les grasses pensions ne lui furent jamais accordés, même après sa naturalisation anglaise; de médiocres compositeurs en étaient gratifiés, à ses côtés (8). Il ne prenait pas soin de les ménager; il parlait de ses collègues anglais avec des sarcasmes méprisants. Peu instruit, semble-t-il, en dehors de la musique (9), il avait le dédain des Académies et des musiciens académiques. Il ne fut pas docteur d'Oxford, quoiqu'on lui eût offert ce titre. On lui prête ce mot :
    - Comment, diable, il aurait fallu que je dépensasse mon argent, pour être comme ces idiots (10)? Jamais de la vie!
Et, plus tard, à Dublin, quand on l'intitulait sur une affiche : « Dr Haendel », il se fâchait, et faisait bien vite rétablir sur les programmes : « M. Haendel ».

Quoiqu'il fût loin de faire fi de la gloire, - s'occupant, dans son testament, de son enterrement à Westminster, et fixant avec soin le prix qu'il voulait mettre à son propre monument, - il ne tenait aucun compte de l'opinion des critiques. Jamais Mattheson ne parvint à obtenir de lui les renseignements dont il avait besoin pour écrire sa biographie. Ses façons à la J.-J. Rousseau indignaient les hommes de cour. Les gens du monde, qui ont toujours eu l'habitude d'ennuyer les artistes, sans que ceux-ci protestent, éprouvaient du dépit de la sauvagerie hautaine avec laquelle il les tenait à distance. Dès 1719, le feld-maréchal comte Flemming écrivait à mademoiselle de Schulenburg, élève de Haendel :
    Mademoiselle!... J'ay souhaitté de parler à M. Haendel, et lui ay voulu faire quelques honettetés à votre égard, mais il n'y a pas eu moyen; je me suis servi de votre nom pour le fair venir chez moy, mais tantot il n'estoit pas au logis, tantot il estoit malade; il est un peu fol à ce qu'il me semble, ce que cependant il ne devroit pas être à mon égard, vu que je suis musicien... et que je fais gloire d'être un des plus fidèles serviteurs de vous, Mademoiselle, qui êtes la plus aimable de ses écolières; j'ay voulu vous dire tout ceci, pour qu'à votre tour vous puissiez donner des leçons à votre maître... (11)
En 1741, une lettre anonyme au London Daily Post (12) mentionne « le mécontentement déclaré de tant de messieurs de rang et d'influence » contre l'attitude de Haendel à leur égard.

Sauf pour le seul opéra Radamisto, qu'il dédia au roi Georges Ier, - et il le fit avec dignité, - il se refusa à l'humiliante et profitable habitude de mettre ses œuvres sous le patronage de quelque personne riche; et il ne se résolut qu'à la dernière extrémité, quand la misère et la maladie l'accablaient, à donner un concert à son bénéfice, - « cette façon, disait-il, de demander l'aumône ».

Depuis 1720 jusqu'à sa mort en 1759, il se trouva engagé dans une lutte de tous les instants avec le public. Comme Lully, il était à la tète d'un théâtre, il dirigeait une Académie de musique, il tâchait de réformer - ou de former - le goût musical d'une nation. Mais il n'eut jamais les moyens de gouvernement de Lully, qui fut un monarque absolu de la musique française; et, s'il s'appuyait, comme lui, sur la faveur du roi, il s'en fallait de beaucoup que cet appui eût pour lui l'importance qu'il avait pour Lully. Il était dans un pays qui n'obéissait pas au mot d'ordre venu d'en haut, - un pays qui n'était pas asservi à l'État, mais libre, d'humeur frondeuse, et, à part une élite, fort peu hospitalier, ennemi de l'étranger. - Et l'étranger, c'était lui, aussi bien que son roi hanovrien, dont le patronage le compromettait plus qu'il ne le servait.

Il était entouré d'une presse de boule-dogues aux redoutables crocs, d'hommes de lettres anti-musiciens qui eux aussi savaient mordre, de confrères jaloux, de virtuoses orgueilleux, de troupes de comédiens qui se mangeaient les uns les autres, de coteries mondaines, de cabales féminines, de ligues nationalistes. Il était en proie à des embarras financiers, de jour en jour plus inextricables; et sans cesse il lui fallait écrire des pièces nouvelles pour satisfaire la curiosité d'un public que rien ne satisfaisait, qui ne s'intéressait à rien, pour lutter contre la concurrence des arlequinades et des combats d'ours, - écrire, écrire, non pas un opéra par an, comme faisait tranquillement Lully, mais souvent deux ou trois par hiver, - sans compter les pièces d'autres compositeurs qu'il lui fallait faire répéter et diriger. - Quel autre génie a jamais fait un tel métier, vingt ans?

Dans ce combat perpétuel, jamais il n'usa de concessions, de compromis, de ménagements, pas plus avec ses actrices qu'avec leurs protecteurs, les grands seigneurs, les pamphlétaires, et toute la clique qui fait la fortune des théâtres et la gloire ou la ruine des artistes. Il tint tête à l'aristocratie londonienne. La guerre fut âpre, impitoyable, ignoble de la part de ses ennemis. Il ne fut pas de petits moyens dont on n'usât pour l'acculer à la banqueroute.

En 1733, à la suite d'une campagne de presse et de salons, on fit le vide aux concerts où Haendel donnait ses premiers oratorios, et on réussit à les tuer; on se répétait déjà, en exultant, que l'Allemand découragé allait repartir pour son pays. - En 1741, la cabale des gens du monde en était venue au point de soudoyer de petits voyous, pour aller déchirer dans les rues les affiches des concerts de Haendel; et « elle usait de mille moyens aussi misérables, pour lui causer du dommage (13) ». Haendel eût très probablement alors quitté la Grande-Bretagne sans la sympathie inattendue qu'il trouva en Irlande, où il alla passer un an. - En 1745, après tous ses chefs-d'œuvre, après le Messie, Samson, Belsazar, Héraklès, la cabale se reforma encore, plus violente que jamais. Bolingbroke et Smollet mentionnent l'acharnement de certaines dames à donner des thés, des fêtes, des représentations, - qui n'étaient pas d'usage en carême, - les jours où devaient avoir lieu les concerts de Haendel, afin de lui enlever ses auditeurs. Horace Walpole trouve plaisante la mode qui était d'aller à l'opéra italien, quand Haendel donnait ses séances d'oratorios (14).

Bref, Haendel fut ruiné; et si plus tard, il finit par vaincre, ce fut pour des raisons étrangères à l'art. Il se passa pour lui, en 1746, ce qui se passa pour Beethoven en 1813, après qu'il eût écrit la Bataille de Vittoria et ses chants patriotiques pour l'Allemagne soulevée contre Napoléon : Haendel devint subitement, après la bataille de Culloden et les deux oratorios patriotiques, l'Occasional Oratorio et Judas Machabée, un artiste national. A partir de ce moment, sa cause fut gagnée, et la cabale dut se taire : il était une partie du patrimoine de l'Angleterre; le lion britannique se tenait à ses côtés. Mais si l'Angleterre ne lui a plus marchandé sa gloire depuis lors, elle la lui avait fait chèrement acheter; et ce n'est pas la faute du public londonien si Haendel n'est pas mort, au milieu de sa route, de chagrin et de misère. Deux fois il fit faillite (15); et une fois il fut frappé d'apoplexie, foudroyé sur les ruines de son entreprise (16). Mais toujours il se releva, et jamais il ne céda. - « Il n'aurait eu besoin pour rétablir sa fortune que de faire des concessions; mais sa nature s'y opposait (17)... Il répugnait à ce qui pouvait restreindre sa liberté, il était intraitable sur ce qui touchait à l'honneur de son art. Il ne voulait devoir sa fortune qu'à soi-même (18). » - Un caricaturiste anglais le représente, sous le nom de « la Brute enchanteresse », foulant aux pieds une banderole où est écrit : Pension, Bénéfices, Noblesse, Amitié. - Et, devant le désastre, il riait de son rire de Pantagruel cornélien. Se trouvant, un soir de concert, en présence d'une salle vide, il disait : « Ma musique en sonnera mieux. »

***


Cette puissante nature, ces violences, ces emportements de colère et de génie étaient dominés par une maîtrise souveraine de soi. En lui régnait cette paix que reflètent en leurs fils certaines unions robustes et tardives (19). Il garda, toute sa vie, dans son art, cette sérénité profonde. Aux jours où mourut sa mère, qu'il adorait, il écrivait Poro, ce bel opéra insouciant et heureux (20). La terrible année 1737, où il était mourant, au fond d'un abîme de misère, est encadrée entre deux oratorios débordants de joie et de force matérielle, la Fête d'Alexandre (1736) et Saül (1738), de même qu'entre des opéras lumineux : Giustino (1736), d'une douceur pastorale, et Serse (1738), où se montre une veine comique.
    ... La calma del cor, del sen, dell' alma...,
comme on chante, à la fin du calme Giustino... C'était le moment où le cerveau de Haendel craquait sous les soucis ! - Il y a de quoi triompher pour les antipsychologues, qui prétendent que la connaissance de la vie d'un artiste est sans intérêt pour l'intelligence de son oeuvre. Mais qu'ils ne se hâtent point : car ceci même est capital pour la compréhension de l'art de Haendel, que cet art ait pu être si indépendant de sa vie. Qu'un Beethoven se soulage de ses souffrances et de ses passions dans des oeuvres de souffrance et de passion, on le comprend sans peine. Mais que Haendel, malade, assailli d'inquiétudes, se distraye par des oeuvres d'allégresse ou de sérénité, cela suppose un équilibre d'esprit presque surhumain. Comme il est naturel que Beethoven, aspirant à écrire la Symphonie de la Joie, ait été fasciné par Haendel (21) ! Il devait considérer avec des yeux d'envie cet homme qui avait atteint l'état de maîtrise sur les choses et sur soi, auquel lui-même il aspirait, et où il devait arriver, par un effort d'héroïsme passionné. C'est cet effort que nous admirons : il est sublime, en effet. Mais la tranquillité avec laquelle Haendel se maintint sur ces sommets ne l'est-elle pas aussi? On s'est trop habitué à regarder sa sérénité comme l'indifférence flegmatique d'un athlète anglais :
    Gorgé jusques aux dents de rouges aloyaux,
    Haendel éclate en chants robustes et loyaux (22).
On ne s'est pas douté de la tension de nerfs et de volonté surhumaine qu'il lui a fallu pour défendre ce calme. A certains moments, la machine se détraque. Cette magnifique santé de corps et d'esprit est ébranlée jusque dans ses racines. En l'année 1737, les amis de Haendel crurent que sa raison était perdue pour jamais. Cette crise ne fut pas exceptionnelle dans sa vie. En 1745, lorsque l'hostilité de la société de Londres, s'acharnant contre ses chefs-d’œuvre Belsazar et Héraklès, le ruina pour la seconde fois, de nouveau sa raison fut près de sombrer. Le hasard d'une correspondance récemment publiée vient de nous l'apprendre (23). La comtesse de Shaftesbury écrit, le 13 mars 1745 :
    J'allai à la Fête d'Alexandre, avec un plaisir mélancolique. J'eus des larmes de chagrin, à la vue du grand et .malheureux Haendel, abattu, hâve, sombre, assis à côté du clavecin dont il ne pouvait pas jouer; j'étais triste, en pensant que sa lumière s'était brûlée au service de la musique.
Le 29 août de la même année, le révérend William Harris écrit à sa femme :
    Rencontré Haendel dans la rue. L'ai arrêté, lui ai rappelé qui j'étais. Sur quoi, je suis sûr que cela vous aurait divertie devoir ses gestes bizarres. Il a parlé beaucoup de son état précaire de santé.
Cet état dura sept ou huit mois. Le 24 octobre, Shaftesbury écrit à Harris :
    Le pauvre Haendel a l'air un peu mieux. J'espère qu'il se rétablira complètement, bien qu'il ait eu la tête tout a fait dérangée.
Il se rétablit complètement, puisqu'en novembre il écrivait son Occasional Oratorio, et bientôt après, son Judas Macchabée. Mais on voit sur quel abîme il était perpétuellement suspendu. C'est par la force des poignets qu'il se tenait, lui, le plus sain des génies, au-dessus, à deux doigts de la folie. Et, je le répète, ces fissures d'un moment dans l'organisme ne nous ont été révélées que par le hasard d'une correspondance. Il a dû en exister bien d'autres que nous ignorons. Pensons-y, et n'oublions pas que le calme de Haendel recouvre une dépense de passion prodigieuse. Haendel indifférent, flegmatique, c'est la façade. Qui le comprend ainsi ne l'a jamais compris, n'a jamais pénétré cette âme que soulevaient des transports d'enthousiasme, d'orgueil, de fureur et de joie, cette âme, par moments, oui, presque hallucinée. Mais la musique était pour lui une région sereine, où il ne voulait point que les troubles de sa vie eussent accès; quand il s'y livre tout entier, c'est malgré lui, emporté par son délire de visionnaire, - comme lorsque lui apparaît le Dieu de Moïse et des Prophètes dans ses Psaumes et ses oratorios, - ou trahi par son cœur, à des moments de pitié, de compassion, mais sans aucune sensiblerie (24). Il était, dans son art, comme un homme qui regarde sa vie de très loin, de très haut, à la façon de Goethe. Notre sentimentalité moderne, qui s'étale avec une complaisance indiscrète, est déroutée par cette réserve hautaine. Dans ce royaume de l'art, inaccessible aux hasards capricieux de la vie, il nous semble que règne parfois une lumière trop égale. Ce sont les Champs-Élyséens : on s'y repose de la vie; on l'y regrette souvent. Mais n'y a-t-il pas quelque chose d'émouvant dans le spectacle de ce maître serein au milieu des tristesses, qui reste le front sans rides et le cœur sans soucis?

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Un tel homme, qui vivait uniquement pour son art, était mal fait pour plaire aux femmes; et il ne s'en inquiéta guère. Elles furent pourtant ses plus chauds partisans et ses adversaires les plus venimeux. Les pamphlets anglais se sont égayés d'une de ses adoratrices, qui, sous le pseudonyme d'Ophelia, lui envoya, au temps de son Jules César, une couronne de laurier, avec un poème enthousiaste où elle le représentait comme le plus grand non seulement des musiciens, mais des poètes anglais de son temps. Et je faisais allusion tout à l'heure à ces dames du monde qui mettaient un acharnement haineux à le ruiner. Haendel passait, indifférent aux unes comme aux autres.

Eu Italie, quand il avait vingt ans, il eut quelques liaisons passagères, dont la trace survit en plusieurs de ses Cantates italiennes (25). On parle d'un amour qu'il aurait eu, à Hambourg, alors qu'il était second violon à l'orchestre de l'Opéra. Il s'était épris d'une de ses élèves, une jeune fille de bonne famille, et il voulait l'épouser; mais la mère déclara qu'elle ne consentirait jamais à ce que sa fille épousât un racleur de violon. Plus tard, la mère étant morte, et Haendel devenu célèbre, on lui fit savoir que tous les obstacles étaient levés maintenant; alors, il répondit que le temps était passé; et, - raconte son ami Schmidt, qui se plaît, j'imagine, en Allemand romanesque, à embellir l'histoire, - « la jeune dame tomba dans une langueur qui mit bientôt fin à ses jours ». - A Londres, un peu plus tard, nouveau projet de mariage avec une dame de la société élégante : c'était encore une de ses élèves; mais cette aristocratique personne eût voulu qu'il renonçât à sa profession. Haendel, indigné, « brisa des relations qui eussent entravé son génie » (26). Hawkins dit : « Ses sentiments sociables n'étaient pas très forts; et de là vient sans doute qu'il passa toute sa vie dans le célibat : on assure qu'il n'eut aucun commerce avec les femmes. » - Schmidt, qui le connut beaucoup mieux que Hawkins, proteste que Haendel n'était pas insociable, mais que son furieux besoin d'indépendance « lui faisait craindre de s'amoindrir, et qu'il avait peur des liens indissolubles ».

A défaut de l'amour, il connut et pratiqua fidèlement l'amitié. Il inspira des affections touchantes, comme celle de ce Schmidt qui abandonna sa patrie et les siens pour le suivre, en 1716, et qui ne se sépara plus de lui, jusqu'à sa mort. Certains de ses amis étaient des esprits les plus nobles du temps : tel, l'intelligent docteur Arbuthnot, dont l'épicurisme apparent recouvrait un mépris stoïque des hommes, et qui écrivait, dans sa dernière lettre à Swift, ce mot admirable : « Laisser, pour le monde, la voie de la vertu et de l'honneur, le monde n'en vaut pas la peine. » - Haendel avait aussi un sentiment profond et pieux de la famille, qui jamais ne s'effaça (27), et qu’il traduisit en quelques figures émouvantes, comme la bonne mère dans Salomon, et comme Joseph.

Mais le plus beau sentiment, le plus pur qui fût en lui, a été son ardente charité. Dans un pays qui vit, au XVIIIe siècle, un magnifique mouvement de solidarité humaine (28), il fut un des plus dévoués à la cause des malheureux. Sa générosité ne s'exerça pas seulement à l'égard de tel ou tel, qu'il avait personnellement connu, comme elle fit pour la veuve de son ancien maître, Zachow : elle se répandit constamment, abondamment, au profit de toutes les oeuvres charitables, - surtout de deux d'entre elles qui lui tenaient au coeur : l'Oeuvre des Pauvres Musiciens, et celle des Enfants assistés.

The Society of Musicians avait été fondée en 1738 par un groupe des principaux artistes de Londres, de tous les partis, pour venir en aide aux musiciens sans ressources et à leurs familles. Un musicien âgé recevait par semaine 10 shillings; une veuve de musicien, 7 shillings. On veillait aussi à leur donner une sépulture convenable. Haendel, si gêné qu'il fût, se montra plus libéral que les autres. Le 20 mars 1739, il dirigea, au bénéfice de la société, tous frais payés, la Fête d'Alexandre, avec un nouveau concerto d'orgue, spécialement écrit pour l'occasion. Le 28 mars 1740, dans ses plus mauvais jours, il dirigea Acis et Galatée et la petite Ode à sainte Cécile. Le 18 mars 1741, il donna un spectacle de gala, très onéreux pour lui, le Parnasso in Festa, avec décors et costumes, plus cinq concerti soli exécutés par les plus célèbres instrumentistes. Il fit à la société le legs le plus important qu'elle reçût : 1000 livres.

Quant au Foundling Hospital, fondé en 1739 par un vieux marin, Thomas Coram, « pour l'assistance et l'éducation des enfants abandonnés », « on peut dire, écrit Mainwaring, qu'il dut à Haendel son établissement et sa prospérité (29) ». Haendel écrivit pour lui en 1749 son bel Anthern for the Foundling Hospital. En 1750, il fut élu governor (administrateur) de cet hôpital, après le don qu'il lui avait fait d'un orgue. On sait que son Messie fut exécuté d'abord, et presque uniquement réservé, dans la suite, au bénéfice d’œuvres de charité. La première audition à Dublin, le 12 avril 1742, en fut donnée au profit des pauvres. Le produit du concert fut intégralement partagé entre la société des Prisonniers pour dettes, l'Infirmerie des pauvres (30), et l'Hôpital Mercer. Quand le succès du Messie se fut confirmé à Londres, - non sans peine, - en 1750, Haendel décida d'en donner des auditions annuelles, au bénéfice de l'Hospice des Enfants assistés. Même devenu aveugle, il continua de diriger ces exécutions. De 1750 à 1759, date de la mort de Haendel, le Messie rapporta à l'Hospice 6955 livres sterling. Haendel avait fait défense à son éditeur Walsh de rien publier de l’œuvre, dont la première édition ne parut qu'en 1763; et il légua à l'Hospice une copie de la partition, avec toutes les parties. Il en avait donné une autre à la société des Prisonniers pour dettes de Dublin, « avec permission d'en user, autant qu'elle voudrait, pour leur service ».

Cet amour pour les pauvres inspira à Haendel certains de ses accents les plus intimes, comme telles pages du Foundling Anthem, pleines d'une bonté touchante, ou comme l'évocation pathétique des orphelins et des enfants délaissés, dont les voix grêles et pures s'élèvent toutes seules, toutes nues, au milieu d'un chœur triomphal du Funeral Anthem, pour attester la bienfaisance de la reine morte.

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Un an, presque jour pour jour, avant la mort de Haendel, on relève sur les registres de l'Hôpital des Enfants assistés le nom d’une petite Maria-Augusta Haendel, née le 15 avril 1758. C'était une enfant trouvée, à qui il avait donné son nom.

***


La charité, ce fut pour lui la vraie foi. Il aimait Dieu dans les pauvres.

Pour le reste, il était peu religieux, au sens strict du mot, - sauf à la fin de sa vie, après que la perte de la vue l'eût comme retranché de la société des hommes et presque totalement isolé. Hawkins le vit alors, dans ses trois dernières années, assidu au service de sa paroisse, - St. George, Hannover Square, - « à genoux, et manifestant par ses gestes et ses attitudes la plus fervente dévotion ». Pendant sa dernière maladie, il disait : « Je voudrais pouvoir expirer le Vendredi Saint, dans l'espoir de joindre mon bon Dieu, mon doux Seigneur et Sauveur, le jour de sa Résurrection (31). »

Mais, dans le cours de sa vie et la plénitude de sa force, il ne pratiquait guère. Luthérien de naissance, et répondant ironiquement à Rome, quand on voulait le convertir, qu'« il était décidé à mourir dans la communion où il avait été élevé, qu'elle fût vraie ou fausse » (32), il n'éprouvait pourtant aucune gêne à se conformer au culte anglais, et il passait pour assez incroyant.

Quelle que fût sa foi, il avait l'âme religieuse, et une haute idée des devoirs moraux de l'art. Après la première exécution du Messie à Londres, il disait à un grand seigneur : « Je serais fâché, milord, si je faisais plaisir aux hommes; mon but est de les rendre meilleurs. » (33)

Dès son vivant, « son caractère moral était reconnu publiquement », - comme Beethoven l'écrivait fièrement de lui-même (34). - Même à l'époque où il était le plus discuté, de clairvoyants admirateurs avaient senti la valeur morale et sociale de son art. Des vers, publiés en 1745 dans les journaux anglais, vantaient le pouvoir miraculeux qu'avait la musique de Saül d'adoucir la douleur, en glorifiant la douleur. Une lettre du 18 avril 1739 au London Daily Post disait qu'« un peuple qui sentirait la musique d'Israël en Egypte, n'aurait rien à craindre, en quelque temps que ce fût, si toute la puissance d'une invasion se levait contre lui » (35).

Aucune musique au monde ne rayonne une telle force de foi. C'est la foi qui soulève les montagnes, et, comme la verge de Moïse, fait jaillir du rocher des âmes endurcies le flot de l'éternité. Telle page d'oratorio, tel cri de résurrection, est un miracle vivant, Lazare qui sort du tombeau. Tel, à la fin du second acte de Theodora (36), l'ordre foudroyant de Dieu qui éclate, au milieu du sommeil lugubre de la mort :

« Lève-toi ! » cria Sa voix. - Et le jeune homme se leva.

Tel encore, dans le Funeral Anthem, le cri enivré, presque douloureux de joie, de l'âme immortelle, qui se délivre de la dépouille du corps et tend les bras vers Dieu (37).

Mais rien, pour la grandeur morale, n'approche du chœur qui termine le second acte de Jephté. Rien, plus avant que l'histoire de cette oeuvre, ne fait pénétrer dans la foi héroïque de Haendel.

Quand il commença de l'écrire, le 21 janvier 1751, il était en pleine santé, malgré ses soixante-six ans. Il composa le premier acte, d'un trait, en douze jours. Nulle trace de soucis. Jamais son esprit n'avait été plus libre, et presque indifférent au sujet qu'il traitait (38). Au cours du second acte, sa vue tout à coup s'obscurcit. L'écriture, si nette au début, se brouille et tremble (39). La musique prend aussi un caractère douloureux (40). Il venait de commencer le chœur final de l'acte II : Combien sombres, ô Seigneur, sont tes desseins! A peine avait-il écrit le mouvement initial, un largo aux modulations pathétiques, qu'il dut s'arrêter. Il marque, au bas de la page :
    Suis arrivé jusqu'ici, le mercredi 13 février. Empêché de continuer, à cause de mon oeil gauche.
Il s'interrompt, dix jours. Le onzième, il marque sur son manuscrit :
    Le 23 février, vais un peu mieux. Repris le travail.
Et il met en musique ces paroles, qui contenaient une allusion tragique à son propre malheur :
    Notre joie s'en va en douleur… comme le jour disparaît dans la nuit.
Péniblement, en cinq jours, - lui à qui cinq jours, naguère, suffisaient à écrire un acte entier, - il se traîne jusqu'à la fin de ce sombre chœur, qu'illumine, dans la nuit qui l'enveloppe, une des plus superbes affirmations de la foi sur la douleur. Au sortir de pages mornes et tourmentées, quelques voix (ténor et basse) à l'unisson murmurent tout bas :
    Tout ce qui est...
Elles hésitent un moment, semblent reprendre haleine, puis, toutes les voix du chœur ensemble affirment, avec une conviction inébranlable :
    ... est bien.
L'héroïsme de Haendel et de sa musique intrépide, qui souffle la vaillance et la foi, se résume en ce cri d'Hercule mourant.


Notes
(1) Quand il jouait du clavecin, dit Burney, ses doigts étaient si recourbés et collés ensemble qu'on ne pouvait remarquer aucun mouvement, et tout au plus les doigts.
(2) Voir le portrait gravé de W. Bromley, d'après la peinture de Hudson. Il est assis, les jambes écartées, le poing sur la cuisse; il tient un feuillet de musique; la tête haute, l’œil ardent, les sourcils très noirs sous la perruque blanche, sanglé à éclater dans son pourpoint fermé, il déborde de santé, de fierté, d'énergie.
Non moins intéressant, et beaucoup moins connu est le beau portrait gravé par J. Houbraken d'Amsterdam, d'après la peinture de F. Kyte, en 1742. On y voit Haendel sous un aspect assez exceptionnel, après une grave maladie qui faillit l'emporter, et dont les traces sont marquées sur son visage. Il est épaissi, fatigué, l'œil lourd, la figure massive; sa force semble assoupie : on dirait un gros chat, qui dort les yeux ouverts, mais la même lueur railleuse flotte toujours dans le regard endormi.
(3) Ce portrait est tracé d'après les peintures de Thornhill, Hudson, Donner, Kyte, d'après le monument de Roubilliac à Westminster, et d'après les descriptions de contemporains, tels que Mattheson, Burney, llawkins et Coxe.
Voir aussi les biographies de Haendel par Schoelcher et Chrysander.
(4) Je donnerai comme exemple de cette fièvre de création les deux années 1736-38, où Haendel était malade, où il faillit mourir. En voici le résumé :
En janvier 1736, il écrit la Fête d'Alexandre. En février-mars, il dirige une saison d'oratorios. En avril, il écrit Atalanta et le Wedding Anthem.. En avril-mai, il dirige une saison d'opéras. Du 14 août au 7 septembre, il écrit Giustino; du 15 septembre au 14 octobre, Arminio. En novembre, il dirige une saison d'opéras. Du 18 décembre au 18 janvier 1737, il écrit Berenice. En février-mars, il dirige une double saison d’opéras et d’oratorios.
En avril, il est frappé de paralysie; il semble perdu, pendant tout l’été. Les bains d’Aix-la-Chapelle le guérissent. Il revient à Londres, au commencement de novembre 1737.
Le 15 novembre, il commence Faramondo; le 7 décembre, il commence le Funeral Anthem, qu’il fait exécuter à Westminster, le 17 décembre ; le 24 décembre, i1 a terminé Faramondo ; le 25 décembre, il commence Serse, qu’il a terminé le 14 février 1738. Le 25 février, il donne la première représentation d’un pasticcio nouveau : Alessandro Severo.Et, quelques mois plus tard, nous le voyons écrire Saül, du 23 juillet au 27 septembre 1738, commencer Israël en Egypte, le 1er octobre, et le terminer, le 28 octobre. Dans ce même mois d’octobre, il fait paraître son premier recueil des Concertos d’orgue, et livre à l’éditeur le recueil des 7 Trios ou Sonates à deux parties avec basse, op. 5.
Je répète que cet exemple est celui des deux années où Haendel a été le plus gravement malade, presque à la mort ; et je défie qu’on puisse trouver la moindre trace de maladie dans ces œuvres.
(5) Le poète Rossi dit dans sa préface de Rinaldo que Haendel lui avait donné à peine le temps d'écrire le poème, et que l'ouvrage entier, poème et musique, fut composé en quatorze jours (1711). - Belsazar a été composé, au fur et à mesure que Ch. Jennens envoyait à Haendel les actes du poème, trop lentement au gré du musicien, qui ne cessait de le talonner, et qui, en désespoir de cause, pour occuper le temps, écrivit dans le même été (1744) son sublime Héraklès.
(6) The Contre-Temps, or the Rival Queens, joué le 27 juillet 1727, au Drury-Lane.
(7) En français dans le texte cité par Mainwaring. - Haendel employait volontiers le français, qu'il savait fort bien, et dont il faisait usage presque exclusivement dans sa correspondance, même avec sa famille.
(8) Il était professeur de musique des princesses royales, avec un traitement de 200 livres, - traitement inférieur, comme le montre Chrysander, à celui du maître de danse, Anthony l'Abbé, qui recevait 240 livres, et qui était toujours nommé le premier sur la liste. Morice Green, organiste de Westminster et docteur en musique, au profit duquel on réunit, en 1735, les deux grandes charges musicales, - la direction de la musique de la cour et la direction de la chapelle royale, jusque-là exercées par John Eccles et par le Dr Croft, - touchait 400 livres.
(9) D'après Hawkins, il avait pourtant fait d'assez bonnes études. Son père le destinait à la jurisprudence, et en 1793 Haendel était encore inscrit à la faculté de droit de Halle, où il avait pour maître le célèbre Thomasius. Ce ne fut qu'à dix-huit ans passés qu'il se consacra définitivement à la musique.
(10) Ses confrères, Pepusch et Greene.
(11) 6 octobre 1719, Dresde. - En français dans le texte.
(12) 4 avril 1741. - Voir Chrysander
(13) Lettre du 4 avril 1741 au London Daily Post.
(14) Voir Schoelcher.
(15) En 1735 et en 1745.
(16) En 1737.
(17) Gentleman's Magazine, 1760.
(18) Coxe.
(19) Le père de Haendel avait soixante-trois ans quand naquit Georges-Frédéric.
(20) Voici les dates de la mort et de l'enterrement de sa mère : 27 décembre 1730 et 2 janvier 1731. J'en rapproche les dates suivantes, inscrites par Haendel sur le manuscrit de Poro :
« Fini d'écrire le premier acte de Poro : 23 décembre 1730.
Fini d'écrire le second acte : 30 décembre 1730.
Fini d’écrire le troisième acte : 16 janvier 1731. »
(21) Beethoven écrivait, en 1824 : « Haendel est le plus grand compositeur qui ait jamais vécu. Je voudrais m’agenouiller sur sa tombe. » Il disait de sa musique : « Das ist das Wahre » (« Voici la vérité ! »). On sait qu’après la Neuvième Symphonie, il projetait d’écrire de grands oratorios, à la façon de Haendel.
(22) Maurice Bouchor. - La perpétuelle dépense d'énergie, le travail sans relâche, expliquent la voracité maladive de Haendel. Les contemporains ont raillé souvent, de la façon la plus injurieuse, cet ogre qui se commandait des dîners pour trois, et qui, lorsqu'on lui demandait où était la compagnie, répondait : « Je suis la compagnie ». Mais il fallait bien que ce monstrueux travailleur réparât ses forces épuisées; et, après tout, il ne semble pas qu'il se soit jamais trouvé mal de ce régime : c'était donc que ce régime lui était nécessaire. Comme le dit Mattheson, « il serait aussi peu à propos de mesurer le manger et le boire de Haendel sur ceux des hommes ordinaires que si l'on voulait que la table d'un marchand de Londres fût la même que celle d'un paysan suisse ».
(23) William Barclay-Squire : Haendel in 1745 (publié dans le H. RiemannFestschrift, 1909, Leipzig).
(24) Dans le Funeral Anthem, dans le Foundling Anthem, et dans certaines pages des dernières oeuvres, de Theodora, de Jephté.
(25) Par exemple, dans la cantate, intitulée : Départ de Rome (Partenza di G. B. cantata di G. F. Haendel, 1708).
(26) Voir Chrysander et Coxe : Anecdotes of Haendel and Smith.
(27) Il eut surtout un grand amour pour une sœur, qui mourut en 1718, et pour sa mère, qui mourut en 1730. Plus tard, son affection se reporta sur la fille de sa sœur, Johanna Friderica, née Michaelsen, à qui il légua tous ses biens.
(28) Fondations d'hôpitaux et de sociétés de bienfaisance. - Ce mouvement, admirable dans toute l'Angleterre, vers le milieu du XVIIIe siècle, se fit sentir en Irlande avec une ardeur spéciale.
(29) On trouvera dans le Musical Times du 1er mai 1902 beaucoup de renseignements et de documents relatifs au Foundling Hospital et à la part que Haendel prit à sa direction.
(30) Infirmerie gratuite, fondée en 1726 par six chirurgiens.
(31) Il mourut, le matin du Samedi Saint.
(32) Mainwaring.
(33) Cité par Schœleher.
(34) Lettre à la municipalité de Vienne, 1er février 1819.
(35) Il y a exactement, dans le texte : « Si toute la puissance du papisme se levait contre nous ».
Il semble que Haendel lui-même ait été frappe par ces lignes. Sept ans plus tard, alors que l'Angleterre était envahie par les troupes papistes, et que l'armée du prétendant Charles-Édouard s'avançait jusqu'aux portes de Londres, Haendel, écrivant l'Occasional Oratorio, ce grand hymne épique à la patrie menacée et à Dieu qui la défend, reprit pour la troisième partie de l’œuvre les plus belles pages d'Israël.
(36) Chœur : « Il vit le jeune homme qui dormait. »
(37) Chœurs : « Mais sa gloire est éternelle », alternant avec les chœurs funèbres : « Son corps est allé se reposer dans le tombeau ». Le motif en a été emprunté par Haendel à un motet d'un vieux maître allemand du XVIe siècle, son homonyme Handl (Jakobus Gallus) : Ecce quomodo moritur justus. Mais un simple changement rythmique a suffi à donner des ailes au vieux choral, en a fait un élan d'extase, qui se brise soudain, haletant d'émotion, ne pouvant plus parler. Huit fois, ce cri s'élève au cours du morceau.
(38) Plusieurs airs d'lphis sont bâtis sur des rythmes de danse : au premier acte, The smiling dawn, sur un rythme de bourrée; au second acte, Welcome as the cheerful Light, sur un rythme de gavotte.
(39) On peut suivre exactement les progrès du mal sur le manuscrit autographe, dont le fac simile a été publié par Chrysander dans la grande collection Breitkopf, en 1885.
(40) Le changement de ton commence, dans le second acte, au cri d'horreur que pousse Jephté, en apercevant sa fille venue à sa rencontre. C'est d'abord une suite d'airs douloureux de Jephté, de la mère et du fiancé d'lphis, puis un quatuor, tout imprégné de larmes, où les parents d'Iphis mêlent leurs gémissements. A ces pleurs répond la pure voix d'lphis qui les console, dans un récitatif qui semble ouvrir le ciel, et dans un air très simple, d'une résignation courageuse qui cache bien de la peine, bien de la peur, au fond. L'émotion grandit. Jephté chante un air-récitatif, qui fait penser à ceux d'Agamemnon dans Iphigénie en Aulide; à la fin, le récit s'entrecoupe, se ralentit, défaille de douleur et d'horreur; certaines phrases semblent écrites par Beethoven. Enfin s'élève le chœur, au milieu duquel la maladie foudroya Haendel.

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